Chapitre XI

Par quel hasard renouvelé rencontrai-je Mauricette une seconde fois dans l’escalier, à deux marches de ma porte ? Je ne sais, mais je n’en fus qu’à peine surpris. Ces sortes de hasards se renouvellent plus souvent qu’ils ne varient.

Muette et boudeuse, elle détourna la tête quand je l’embrassai ; puis elle me suivit librement chez moi. Oh ! pour me faire une scène ! Je m’y attendais bien, j’étais en effet inexcusable : je l’avais abordée la première ; elle s’était donnée ; elle m’avait envoyé elle-même sa mère et ses sœurs par esprit de famille mais depuis deux jours je l’oubliais, elle, Ricette, à qui je devais tout. Les hommes sont des monstres : qu’allait-elle me dire !

J’avais des remords. J’en eus même davantage une minute après ; car Ricette me parut plus jolie que l’avant-veille, et nos remords sont très sensibles aux fluctuations de nos tendresses. Qu’allait-elle me dire ! Je préparais en hâte quelques réponses aux reproches que j’attendais ; mais si j’avais prévu quelque phrase, ce n’était certes pas celle que Ricette avait sur les lèvres :

« Tu vas me dépuceler », dit-elle à mi-voix.

Il ne manquait plus que cela ! Et comme malgré moi ma physionomie montrait plus de stupéfaction que d’empressement, Ricette n’attendit même pas la réponse :

« Ah ! bien ! fit-elle. Tu es gentil !… Je t’ai montré mon pucelage avant-hier, tu peux le prendre aujourd’hui ; et tu n’en veux pas ? »

Je la pris sur mes genoux, elle se laissa faire et, avant que j’eusse dit un mot, elle continua :

« Quel drôle de caractère ! tu fais toujours le contraire de ce qu’on te demande ! Pendant trois heures, Charlotte t’a supplié de l’appeler putain ; ça l’excite quand elle va jouir : et tu n’as pas voulu ; elle nous a dit qu’elle n’avait jamais vu un homme aussi entêté. Mais le lendemain, c’est maman que tu as appelée dix fois putain parce qu’elle n’aime pas ça. Es-tu rosse !

— Non. Pas rosse du tout.

— Oh !… Et c’est pas fini !… Tu sais que maman et Charlotte ont le goût de se faire enculer. Alors tu leur as dit que tu n’aimais qu’une chose, c’était de baiser. Mais moi j’ai un pucelage à vendre, je te le donne…

— Tu es un amour !

— Va donc ! Quand Charlotte en veut par-derrière, tu lui en demandes par-devant et moi, quand je me donne par-devant, tu ne me prends pas. »

Je poussai un profond soupir. Être obligé de s’expliquer longuement et savoir d’avance qu’on ne sera pas compris est une pénible situation. Je renonçai donc aux arguments les meilleurs pour ne retenir que ceux dont Mauricette pouvait sentir la raison :

« Écoute-moi. Tu as quatorze ans et demi ?

— Oui, et je peux baiser puisqu’on m’encule.

— Bien. On peut te dépuceler ; mais tu sais qu’à ton âge ça te fera beaucoup plus de mal par-devant que par-derrière ?

— Ça m’est égal, fit-elle tendrement.

— Et tu sais que ça me fera mal à moi aussi ?

— Ça, je m’en fous encore plus ! dit-elle avec gaieté.

— Et qu’est-ce qui arrivera le soir ? Comme vous êtes gousses toutes les quatre, ta mère et tes sœurs verront le soir même que ton pucelage est enfoncé. Ta mère sera furieuse. Nous serons tous brouillés à mort. Et que nous restera-t-il de tout cela ? Le souvenir d’une demi-heure où nous aurons eu, toi et moi, beaucoup plus de mal que de plaisir. Et pendant que je te regretterai, tu baiseras avec les autres. Faisons le contraire. Laisse-toi dépuceler par quelqu’un, et ensuite nous baiserons tant que tu voudras. »

Mauricette demeura songeuse. Je sus plus tard qu’elle avait failli me dire : « Pourquoi ça vaut-il deux mille francs situ n’en veux pas pour rien ? » Mais elle garda le silence et, pendant qu’elle réfléchissait, il me vint une idée qui, heureusement, finit par la séduire.

« Pourquoi ne me donnes-tu pas ton autre pucelage ? Lequel ? » fit-elle avec stupeur.

Elle ne comprenait pas du tout. Comme elle était toujours sur mes genoux je la serrai contre moi et je lui dis plus bas :

« Voyons. Je ne te gronderai pas devant tes sœurs ; mais personne ne nous entend. Est-ce que tu n’es pas honteuse, à ton âge, de ne pas encore savoir sucer ? »

Oh ! si elle était honteuse ! Elle devint rouge comme une enfant à qui son confesseur reproche un péché mortel.

« Comment, tu vas avoir quinze ans et tu ne sais pas !

— Ah ! si je te racontais…

— Oui ; mais c’est de l’enfantillage. II faut te guérir de ça. Veux-tu essayer ? Veux-tu essayer toute seule avec moi ? »

Elle me mit les bras autour du cou et, cachant sa tête confuse entre ma joue et mon épaule, répondit :

« Oui, je veux bien essayer avec toi. »

À peine avait-elle accepté ma proposition que je regrettai de la lui avoir faite. « Comment ! me disais-je, voilà une gosse que je refuse de dépuceler pour ne pas la faire saigner et je lui offre cela en échange quand je sais que cela lui donne le haut-le-cœur ? Mais, enfin, si elle vomit ?… Ainsi, je ne veux pas lui laisser le souvenir d’une souffrance et je risque de lui laisser le souvenir d’une nausée ? Ce sera gai pour elle et moi si l’expérience finit ainsi ! »

Ces tristes réflexions se dissipèrent lentement. Je trouvais idée plaisante de donner une leçon à une fille de Teresa. Et puis, la difficulté même de la tentative m’attirait. J’espérais un peu qu’avec moi ce ne serait point comme avec les autres ; nul ne se confond avec la foule ; et puisqu’il fallait bien qu’un jour Mauricette apprît à sucer, pourquoi ne serait-ce pas moi qui lui en donnerais le goût ? Oui ; je disais « le goût », je ne doutais de rien.

Mauricette revint nue du cabinet de toilette et elle m’enhardit dès le premier mot :

« Je sens que ça ira bien. »

Elle ajouta malheureusement :

« Ousqu’on peut cracher ?

— Cracher ? Mais ça ne se crache pas ! En voilà des principes ! Comment, tu sors d’un pensionnat où l’on t’a élevée avec des petites filles du monde et elles ne t’ont pas dit qu’elles avalent ?

— Oh ! si ! elles me l’ont dit ! et Dieu sait ce qu’elles n’avaleraient pas ! J’en ai vu qui auraient appris des choses à Lili. Mais moi, je ne suis pas du monde, je ferai comme au bordel, je cracherai.

— Vous avalerez, mademoiselle, et tout de suite, au lieu de garder ça dans la bouche pendant trois minutes jusqu’à ce que vous ayez fini de téter ; comprenez-vous ? On vous a bien mal élevée dans votre famille. »

Sans répondre, elle se jeta sur moi et me dit lèvre à lèvre, d’une voix plus chaude :

« C’est vrai que tu vas me décharger dans la bouche ?… Alors donne-moi ta langue d’abord. Et jure que tu me donneras encore ta langue après… Moi aussi je vais te jurer quelque chose : jamais je n’ai bu du foutre d’homme, jamais !… Alors si je te rate, tu ne m’en voudras pas pour ça, dis ?… Et si je réussis, tu ne vas pas t’imaginer que je t’aime ! Je t’aime pas du tout, du tout, du tout ! »

Sur ces derniers mots, elle me donna le baiser le plus gentil que j’eusse encore reçu de toute cette famille si diverse en natures et en caractères. Je pensai à un vers de Clément Marot… mais je n’eus pas le loisir de rêver. Mauricette s’était déjà mise au travail.

« Oh ! tout simplement ! lui dis-je. Tu t’y prends comme avec une gousse. Nous n’en sommes pas au cours supérieur. Ne t’occupe donc pas de me faire plaisir. El ne s’agit que de toi en ce moment. Ce que j’ai sous les yeux, ce n’est pas un jeune une satyre qui s’abandonne à la lubricité… Non. Pas ça du tout. Je ne vois rien qu’une délicieuse petite Ricette qui est jolie et timide comme une biche au bois et qui va me dire : “Ce n’est que ça ?” quand elle aura fini.

— Mais tu me préviendras ?

— Chut ! Quand on suce on ne parie pas. Premier principe : ne pas rouvrir la bouche pour demander au monsieur des nouvelles de sa grand-mère. Et puis, on ne rit pas non quand on suce.

— Mais c’est toi qui…

— Chut ! Continue. Je te préviendrai. Veux-tu que je me presse ? Oui ? C’est facile. Presse-toi aussi. Et rappelle-toi ce est convenu : tu avales tout de suite, tu dis que c’est bon et tu en redemandes… Ricette chérie ! je suis si bien dans ta bouche ! »


Cette dernière phrase lui lit un plaisir que j’aurais dû prévoir et la piqua au zèle. Les félicitations qui nous flattent le plus, sont celles que l’on adresse aux talents que nous possédons le moins. Et puis, les jeunes filles qui n’ont pas l’habitude de sucer font cela tout à fait comme elles font l’amour : elles ont donc besoin de se monter jusqu’à un certain degré de passion.

Je continuai sur le même ton. En quelques mots. Ricette se laissa « monter » au point où il fallait qu’elle fût… Je la prévins… Elle frémit, ferma les yeux, pâlit comme si elle accomplissait une prouesse en face du danger… et quand elle eut fini, elle resta stupéfaite, assise sur les talons, la bouche ouverte… Hébétée. elle me regardait. Je lui tendis les bras. Elle s’y jeta, toute fière et surprise et honteuse et tendre et si émue surtout que je sentais battre son cœur à travers son sein gauche.

« Je l’ai fait, dit-elle. Ce n’est pas possible ! Moi qui n’avais jamais pu ! Et j’ai tout avalé, mais tout ! comme tu m’as dit. Je n’en reviens pas.

— Et ce n’est pas si mauvais, voyons ? Il y a tant de jeunes filles qui aiment ça !

— Je ne sais pas si c’est bon ou mauvais, dit-elle d’un air encore rêveur. Mais ça m’a fait plaisir. Parce que tu jouissais. »

Et comme je l’embrassais pour ce mot, elle reprit tout inclinée :

« Et puis… et puis… crois-tu que ton foutre est comme le foutre des autres ?

— Mais oui.

— C’est pas vrai.

— Si.

— Non. »

Elle rêva encore et dit en croisant les mains :

« C’est maman qui va être épatée ! Elle ne voudra jamais le croire.

— Comment faire ?

— On recommencera ! s’écria Ricette. On recommencera devant elle ! »

Ce mot valait une récompense ; nous en eûmes l’idée tous deux à la fois ; mais Ricette parla la première, et j’étais à cent lieues d’imaginer ce qu’elle allait me demander.

Toujours les bras à mon cou, elle me dit mollement :

« J’ai envie de quelque chose. Dis oui.

— Je dis oui. Qu’est-ce que c’est ?

— Tu vas être bien attrapé. Je sais que tu n’aimes pas ça mais tu as dit oui d’avance. Et j’en ai envie.

— Envie de quoi ? »

Elle prit un temps comme une jeune actrice ; puis elle me dit à l’oreille tout haut malgré elle, avec un rire qui faisait trembler ses mots :

« J’ai envie de me branler.

— Petite horreur ! et tu crois que je vais te laisser faire ? Demande-moi n’importe quoi, mais…

— Rien du tout. Plus tard. Tu m’as répondu oui d’avance, et puis tu le sais bien que j’en ai l’habitude. Je te l’ai dit avant hier.

— Alors, tu es comme Charlotte ? Quand tu as envie de te branler, tu te branles ? Même devant un homme ?

— Surtout.

— Et on ne peut rien t’offrir à la place ?

— Tout à l’heure, supplia-t-elle. Ça n’empêche rien. »

Vraiment, c’était le vice de la famille ; mais je ne pouvais m’y accoutumer et je ressentais une sorte de jalousie à voir cette petite qui prenait son plaisir elle-même. Elle se touchait à peine, avec lenteur et sans secousses du doigt. Au début, voyant que je cédais, elle devint taquine.

« Regarde mon pucelage, regarde ! dit-elle en ouvrant les cuisses.

— Veux-tu bien finir ?

— Il faut bien que je le branle puisque tu ne le prends pas. »

Cette plaisanterie me mit en fureur ; mais Mauricette gardait un si gentil visage que je m’efforçais de plaisanter aussi.

« Mademoiselle, est-ce que vous avez aussi l’habitude de la flagellation ?

— Oui, monsieur, comme ma sœur Charlotte.

— Alors, allez donc chercher le martinet. Ce que vous venez de dire là, ça vaut bien trente coups de fouet sur les fesses.

— Oh ! et quand je serai en sang, tu m’enculeras, dis ? dit-elle en riant. Penses-tu que je te prenne pour un homme à me fouetter ?

— Tu sais que je ne veux pas te dépuceler parce que je ne te reverrais plus et tu viens me branler ton pucelage sous le nez comme si je n’étais pas capable de le prendre ! Tu trouves que ça ne vaut pas le fouet ? »

Il était dit qu’avec les quatre femmes de cette famille, j’irais de surprise en surprise. Mauricette devint sérieuse et me dit simplement :

« Donne-le-moi. »

Puis elle eut une petite crise qui rappelait à un moindre degré celles de Charlotte et de Teresa. Toute tremblante dans mes bras, elle reprit :

« J’ai envie que tu me fasses du mal.

— À toi, ma chérie ? À toi qui as quatorze ans et qui viens toute nue dans mon lit ? mais je serais un monstre !

— Tu m’en as déjà fait sans le savoir. Avant-hier, je n’ai mouillé qu’avec ma salive quand tu m’as enculée. C’était bon. C’était comme si tu m’écorchais par-derrière, et plus je souffrais plus je me branlais.

— Comment, tu es si vicieuse que ça ?

— Non ; mais j’ai envie que tu me fasses du mal pendant que je me branle, répéta-t-elle en allongeant les yeux et en se mordant la lèvre.

— C’est ton plaisir ?

— Prends-moi le bout des seins entre tes dents et serre ! je te le donnerai, mon pucelage de devant pour que tu me fasses mal avec ta queue, pour que tu le crèves et qu’il y ait du sang. Maintenant que j’ai bu ton foutre, je suis à toi. Serre-moi dans tes bras, je vais jouir. Serre-moi de toutes tes forces. Casse-moi... »

Décidément, pensai-je à part moi, Lili est la seule raisonnable. Les trois autres sont toquées.


Pourtant, je commençais à comprendre pourquoi Charlotte m’avait dit : « Cette gosse-là nous dégotera toutes les trois. » Charlotte à vingt ans était encore presque enfantine. Mauricette à quatorze ans était femme. Autant la sœur aînée avait l’esprit lent, autant la seconde avait les sens précoces, la chair prompte et l’instinct du vice.

On ne pouvait savoir encore ce que deviendrait Liii à la puberté. Mais cette année-là, ce jour-là, c’était Mauricette qui me rappelait sa mère de plus près.

Je voulais la faire parler et je lui dis un mot dont j’ai honte comme d’un crime. Il n’est pas de plus jolis vers latins que ceux où Tibulle sourit aux mensonges amoureux. Et je ne puis sourire à ceux que j’ai faits. Ceci est une confession. Je dis tout ; mais j’aurais plus de plaisir à inventer un conte où je me donnerais (et si facilement !) un rôle toujours sympathique.

Concevez l’âge de Mauricette, sa précocité, son ardeur... Imaginez par-dessus tout le sentiment illimité qu’elle devait avoir de son sacrifice ! et combien... Mais pourquoi vous le dire ? Vous ne m’avez déjà que trop condamné ! J’aimais bien Mauricette : je ne l’aimais pas comme on aime ; et, pour la faire parier, sans autre motif, je lui dis sur les lèvres : « Je t’adore.

— Je t’adore aussi », murmura-t-elle, sans savoir qu’elle répétait presque la réponse de Mélisande.

Et comme il était aisé de le prévoir, elle paria ; mais tout de suite, sans transition. Mauricette avait des crescendos brusques semblables à ceux de Teresa :

« Tu ne m’as pas crue ? Eh bien ! tu le verras ! Tu me déchireras les fesses à coups de fouet et tu m’enculeras dans mon sang !

— Moi, je te ferai cela !

— Oui, tu me le feras si tu m’aimes. Je viens de faire pour toi ce que je n’avais jamais fait pour personne. J’ai avalé ton foutre... Tu n’as jamais fouetté une gosse ? Tant mieux ! Tu as horreur de ça ? Tant mieux ! Moi aussi, je t’apprendrai quelque chose ! »

Pas une seconde je n’eus la pensée d’y consentir ; mais au lieu de répondre, j’interrogeai :

« Comment as-tu ce goût à ton âge ?

— Parce que je suis la fille de maman.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? Que tu lui ressembles par le sang ? Ou qu’elle t’a...

— Qu’elle m’a dressée ? Dis-le donc ! C’est son mot. Oui, elle m’a dressée comme un chien savant. Et j’aime ça. Je voudrais en faire autant qu’elle.

— Comment s’y est-elle prise ?

— Oh, ça n’a pas été long ! Comme elle a le même goût, elle a vu tout de suite que moi aussi... Alors, comme on fait au cirque, elle m’a exercée tous les jours avant de... Enfin, tu sais bien la manière de dresser les chiens ; ils font leurs tours avant de manger ; moi, c’était avant de jouir. Et peu à peu maman a vu jusqu’où... jusqu’où je pouvais aller... »

Je haussai les sourcils. Elle hésita et, de cette voix voluptueuse que prennent parfois les très jeunes filles :

« Tu veux que je te dise ? Ça m’excite presque autant d’y penser près de toi que si tu me le faisais.

— Et moi, j’aime cent fois mieux t’écouter que te battre.

— Me battre ? Si ce n’était que ça ! Tu ne connais pas maman ! »

Et, en phrases définitives, elle trancha sa famille comme il suit :

« Je ne peux pas faire comprendre à Lili que maman n’est pas une putain. Mais toi, je pense que tu l’as vu ? Charlotte est une bonne fille. Lili est une putain ; c’est la seule putain de nous quatre. Et maman est un miché. Quand elle donne une séance avec une de nous devant un client, c’est maman qui bande, c’est maman qui jouit... Et je suis comme maman ! ajouta Ricette. Moi aussi, je suis un miché et quand j’ai reçu ton foutre dans la bouche...

— Oh ! alors... Et tu vas me donner une bague ?

— Oui ! une bague toute neuve : mon pucelage de devant. »

Par la promptitude et la souplesse de sa repartie, elle était remontée d’un bond au point d’où ma stupide plaisanterie avait failli la jeter à terre. Et, vite, elle reprit son récit avec le même accent de joie :

« Tu le sauras comment elle s’y est prise, maman, quand elle a vu que... enfin que j’aimais ça. Elle m’a dit : “c’est simple comme tout, nous verrons jusqu’où tu peux avoir mal sans que ça t’empêche de jouir.”

— Simple comme tout ! répétai-je. Et c’est elle-même qui te faisait mal ?

— Naturellement, dit-elle en toute innocence. Et elle m’en a fait plus que les autres, tu penses bien.

— Comprends pas.

— Voyons ! Charlotte ne t’a pas dit que personne au monde ne fait minette ni ne branle une fille comme maman ? Alors, quand c’était maman, elle pouvait me martyriser et elle me faisait jouir quand même.

— Te martyriser ?

— Et comment ! Charlotte pleurait tout de suite et sortait de la chambre. Elle ne pouvait pas voir ça. Mais moi je ne pleurais jamais, je serrais les dents pour ne pas crier... Ah ! tu ne sais guère ce que tu vas entendre !... Regarde mes nichons. On n’y voit rien ?

— Je l’espère.

— Parce que les aiguilles étaient flambées.

— Les aiguilles ?

— En me branlant comme elle branle et en s’arrêtant vingt fois quand j’étais sur le point de jouir, maman a été jusqu’à me planter trente-deux aiguilles dans les seins ! trente-deux ! avant que je lui dise : “je ne peux plus !”

— Ta mère ?

— Ce n’est rien. Regarde encore mon pucelage. Il n’a pas de marques non plus ? tu vois si elle sait s’y prendre ? Eh bien, là, à l’endroit où c’est le plus sensible, elle m’arrachait les poils par touffes de quatre et ça me faisait plus de mal que les aiguilles... Mais surtout, ce que Charlotte ne pouvait pas voir, c’était quand maman s’arrêtait de me faire minette pour me mordre.

- Mordre ton pucelage ?

— Oui. Les lèvres. Oh ! ce que ça fait mal ! Les dernières fois, elle les a mordues jusqu’au sang et alors... »

Ricette me jeta les bras autour du cou comme pour s’excuser elle-même et, après quelque silence, elle dit :

« Oh ! quoi ! tu la connais, maman ! Je te l’ai dit, c’est pas une putain, c’est un miché. Pendant qu’elle me suçait le sang, elle était comme folle, elle aurait eu besoin de Charlotte qui s’était sauvée… alors maman se branlait en serrant les dents, et j’avais encore plus de peur que de mal ; je me disais : “Quand elle va décharger, elle arrachera le morceau !”... Oh ! et puis flûte ! je t’en ai dit assez, puisque tu ne comprends pas ces choses-là.

— Pas assez, si tu veux que je comprenne. Donc, ta mère t’a enseigné l’art de jouir pendant que tu souffres et elle te l’a si bien appris que maintenant tu as besoin de souffrir pendant que tu jouis ?

— C’est ça. Tiens, je vais te dire encore quelque chose. Sais-tu comment je me branle à table ?

— Tu te branles à table ?

— Comme si tu ne savais pas que nous nous branlons toutes après le déjeuner ! Mais moi... Tu vas voir si j’aime à souffrir en jouissant !... Je me barbouille le bouton avec de la moutarde et je me branle à travers. Et s’il y a de la salade de piment, j’y mets de la salade de piment. »

Mais elle était enragée ! Mais c’était la pire des trois !

Je posai une dernière question :

« Et qu’est-ce que tu te laisses faire par les hommes ?

— Oh ! pas ce que m’a fait maman ! Avec les hommes, rien que le fouet et les verges. »

Elle allait sourire, mais baissa les yeux et prit une expression plus triste :

« Pauvre Charlotte !... Si tu nous voyais l’une près de l’autre dans ces moments-là !... Moi, je m’excite, je tends les fesses. Elle, au premier coup de fouet elle pleure ; alors, comme je l’aime bien je ne peux plus... Et on ne nous prend plus guère ensemble... Mais on me prend avec maman, parce que, pour ça, maman et moi nous sommes toutes pareilles, tu le sais bien.

— Je le sais bien ? répétai-je sans comprendre.

— Oh ! »

Mauricette avait poussé le cri de sa franchise indignée comme si je lui avais menti. Et soudain redressée, assise sur les talons, les genoux dans les mains :

« II faut que j’apprenne ça aussi ? Qu’avant-hier, maman est rentrée en me disant : “Il m’a empoigné les poils et il m’a fait si mal que j’ai failli décharger.”

— Si tu crois que je l’ai fait exprès !

— Et qu’elle m’a dit ce matin qu’elle avait réussi à se faire battre et que c’était plus difficile que de...

— Oh ! les coups de poing sur l’épaule et la flagellation, ça n’a aucun rapport.

— Pour toi ! dis pour toi ! mais pas pour maman. Comment, tu as couché trois fois avec elle et tu ne sais pas ce qu’elle aime ?

— Ses filles.

— Tu ne crois pas si bien dire ! II lui faut une de ses filles sous elle quand on la fouette. Mais alors on peut tout lui faire… C’est effrayant. Elle crie, elle jouit, j’ai du sang dans les cheveux, du foutre sur la figure... »

Mauricette, échevelée, s’interrompit, agita la tête et se jeta sur moi :

« Si c’est vrai que tu m’aimes, si c’est vrai, je prendrai sa place, je me mettrai sur elle et tu m’enculeras dans mon sang pendant que maman me fera minette ! À son tour elle aura mon sang dans les cheveux et mon foutre sur la figure pendant que j’aurai ta queue, moi, ta queue dans le derrière... »

Je n’avais jamais vu Ricette aussi exaltée et je la croyais au paroxysme quand cette exaltation grandit encore devant la découverte d’une nouvelle infamie.

« Non ! dit-elle. Tu me dépucelleras en levrette sur la figure de maman ! »

Et elle avait dit cela d’un ton ! mais d’un tel ton que j’appris d’elle en cet instant ce que c’est que de recevoir un ordre.

Elle continua d’une voix brève et chaude.

« Tu aimeras mieux me baiser que de m’enculer, je le sais. Moi, j’ai envie que tu m’encules et que je me branle et que tu me fasses mal, mais, puisque tu aimes baiser, tu me baiseras. J’ai compris mieux que toi pourquoi tu n’as pas voulu : c’est que tu n’achètes pas les pucelages et que le mien est à vendre et que tu veux pas le voler ? Eh bien, non ! mon pucelage n’est pas à vendre. Je dirai ce soir à maman que je le donne et qu’elle verra bien à qui puisqu’elle aura la bouche dessous. »

Secouant sa tête et ses cheveux, elle sourit, et elle eut alors une explosion de sincérité qui me révéla ce que je ne soupçonnais pas :

« Tu crois qu’elle nous dira non ? Ha ! elle sera trop contente, la vache ! Quand je lui dirai que tu vas me dépuceler sur elle, qu’elle me verra bien saigner, qu’elle n’en perdra pas une goutte, qu’elle aura la gueule pleine de foutre et de sang, mais elle va se branler pendant quatorze heures... Je t’ai dit que je l’aimais bien ? Oui, j’aime sa langue, son doigt, son corps, elle excite mon tempérament de miché. Et je t’ai dit que ce n’était pas une putain, elle non plus ! Non : mais c’est une garce. »


Le déchaînement de Mauricette m’étonna peut-être moins que n’avait fait celui de Charlotte. D’abord, c’était pour moi une répétition de changement à vue, comme il l’est pour vous. Les mémoires sont plus monotones que les romans ; il faut leur pardonner les erreurs de métier que la vie commet et qui nous désolent, parce que nous saurions si bien, d’un trait de plume, tout arranger ! La mine égale le crayon, disait M. Ingres. Ce mot de dessinateur devrait être un dogme pour les romanciers ; mais on ne doit pas l’apprendre aux mémorialistes.

Et puis... mais il faudrait avoir connu les deux jeunes filles... Elles offraient une série de contrastes que vous n’auriez pas la patience d’entendre si j’avais celle de vous les dire. Dans sa quinzième année, Ricette piaffait à chaque mot, et Charlotte à vingt ans n’était que langueur. La précocité de la plus jeune laissait place à moins de surprises que l’aspect las, passif, de la triste Charlotte.

D’ailleurs, je ne me crus pas permis de garder un silence distrait pour me livrer à un exercice de parallèle psychologique.

II me fallait répondre. Je n’avais que trop attendu.

Une jeune fille était venue m’offrir son pucelage comme si c’était de l’or, la myrrhe et l’encens. — Éternel malentendu ; les jeunes filles s’abusent un peu sur le plaisir que nous prenons à recevoir un tel cadeau ; et les jeunes hommes comprennent rarement que si les pucelles, par une erreur qui est une innocence, rêvent que leur présent vaut tout notre amour, c’est qu’elles nous offrent avec lui tout leur amour qui vaut bien le nôtre pour ne pas dire plus.

Donc, j’avais prouvé à cette jeune fille qu’une imprudence nous séparerait à jamais et elle avait découvert un moyen de tout arranger. Moyen extravagant comme un théorème de géométrie dans l’espace, mais irréfutable à première vue, sinon par les principes de la chasteté que je ne pouvais plus sans audace ou plutôt sans ridicule invoquer pour ma défense. Je répondis oui, avec tous les baisers de tendresse, d’empressement, de reconnaissance que chacun donne en pareil cas.

Le calme des commentaires que je viens de prolonger ici par distraction (car cette histoire ne m’excite pas du tout, j’aime mieux vous le dire et j’écris ces pages avec la même tranquillité que si je vous contais comment j’ai appris la grammaire grecque)... Je suis même si distrait que je commence une phrase sans pouvoir la finir, ce qui ne m’est jamais arrivé. Pour la beauté du fait je ne la bifferai pas.

Bref, très probablement vous avez oublié que nous avons laissé Mauricette en délire, Mauricette changée en bacchante, échevelée, pourpre, convulsive, crachant des injures atroces contre sa mère et des obscénités qu’elle n’eût jamais dites une heure auparavant.

Mon « oui » changea de pôle son courant nerveux. Au contraire du philosophe antique dont parle Renan et dont le sperme était remonté au cerveau, le désir de Mauricette quitta son imagination et prit chair.

« J’ai envie de baiser, murmura-telle. J’ai envie de baiser parce que tu baises et que tu m’en donneras le goût. Est-ce vrai que j’ai avalé ton foutre ? Est-ce vrai que j’ai bu du foutre d’homme pour la première fois et que c’est le tien ? Qu’est-ce que c’est que baiser auprès de cela ?... Et n’aie pas peur de me faire mal ! Quand maman me fait minette, rien ne me fait souffrir, je ne sens que sa langue si je veux ; mais toi, plus tu me déchireras, plus je jouirai. »

Soudain, avec sa souplesse de métamorphose elle releva la tête et me rappela d’un mot son âge véritable.

« Veux-tu jouer ?

— Oui, mais pas à te dépuceler !

— Si. On va jouer à me dépuceler par où je ne suis pas pucelle ! fit-elle en riant.

— Quelle gosse tu fais ! Et quel rire tu as ! Comment ! C’est la même Ricette qui vient de me raconter ces histoires de sang, de sperme, d’inceste, de saphisme, de sadisme...

— Oh ! et quoi encore ! En voilà des mots à septante-cinq centimes, comme disent les Belges !

— Tu as quatorze ans et demi ? Non. Il y a des minutes où tu as trente-neuf ans et d’autres où tu en as sept.

— Maman aussi. »

Cette réponse me laissa muet. C’est un des mots les plus justes et les plus extraordinaires que j’aie entendus. Il me parut que Ricette pensait : « Tu es plus gosse que moi, sinon tu saurais bien que c’est vrai pour toutes les femmes et quel que soit leur âge. » Elle le pensa, mais ne voulut pas le croire, car les jeunes filles n’aiment guère à s’imaginer plus sages que leurs amants. Toute excellence qu’elles leur prêtent est même une excuse qu’elles se donnent de se laisser entraîner par tant de perfections. Et, sûres de s’en parer à leurs propres yeux, elles nous couvrent de qualités pour le seul plaisir d’être généreuses.

Cela dit, Mauricette reprit son idée :

« Tu m’auras pris deux pucelages sur trois. J’aurais voulu te donner aussi le troisième... ou le premier... celui que je n’ai plus... celui que j’ai laissé vendre… enfin le pucelage de mon derrière... Tu comprends le français ?

— Et tu veux le refaire ? Avec de l’eau d’alun ?

— Oh ! maquerelle ! fit-elle en riant. Ne crois pas que mon pucelage de devant soit refait. Les pucelages raccommodés, on les vend très cher ; on ne les donne pas. »

Et elle rit aux éclats sur ce qu’elle venait de dire. Puis, se frottant à moi de tout son jeune corps, elle remonta en quelques mots jusqu’à un état moyen entre la gosserie et la lascivité : deux mots presque synonymes.

« On va jouer. Oublie que tu m’as enculée avant-hier. Oublie-le.

— Je ne m’en souviens plus du tout.

— Je suis une gosse toute seule. Maman n’est pas là. Je ne sais rien, pas même ce que c’est qu’une queue. Toi, tu es un satyre et tu vas me violer par le trou du cul.

— Te violer ?

— Veux-tu jouer comme ça ? Ou me répondre “zut” chaque fois que je te fais une proposition ?... Je dis “zut” parce que je suis putain. Si j’étais une jeune fille du monde, je dirais que tu me réponds “merde”.

— Ma Ricette chérie, fis-je en riant, ne me dis pas que tu es putain maintenant. Jamais je n’ai mieux compris ton petit tempérament de miché. Tu es vicieuse comme un vieux magistrat. Mais moi je suis incapable de violer une femme. La résistance me glace au lieu de me tendre. Jouer à violer... ce n’est qu’un jeu... Essayons... mais si je te rate ? J’en serai désespéré, tu m’en voudras et tu...

— Mais elles ne résistent pas, les pucelles qu’on viole ! fit Mauricette qui s’énervait. Je ferai comme elles, je ferai semblant de pleurer sur mon bras et j’ouvrirai les fesses.

— Et à quoi sentiras-tu que je te viole ?

— À quoi je le sentirai ? dit-elle en serrant les dents. Jamais je ne me suis fait enculer à sec ; tu vas me le faire et tu me demandes à quoi je sentirai que tu me violes ? À quoi je pourrai m’imaginer que tu me dépucelles ?

— Alors, répète-moi que tu le veux ! que c’est ton plaisir ! Sinon, je te jure que je ne pourrai pas.

— Je le veux ! Je le veux ! Je le veux ! fit-elle doucement, les yeux grands ouverts. Viole-moi par le cul ! Et plus je te crierai que j’ai mal, plus ça voudra dire que je t’aime ! »

Il m’est plus que pénible, vraiment, de raconter la scène suivante avec force détails. Je ne le puis. Elle me fait honte. Je n’avais à aucun degré le vice que Mauricette me demandait de satisfaire. Il m’était arrivé de battre les femmes qui veulent être battues, mais ce n’est rien, ce n’est rien auprès du souvenir que cinq minutes d’égarement...

Bref, quand j’eus « violé » Mauricette, je sentis par la chair mieux que je n’avais compris par la pensée combien le plaisir et la douleur étaient nécessaires à sa volupté. Je me rappelai la dernière de ses confidences ou plutôt de ses tentations, et comme j’eusse effleuré une femme sensible aux caresses, je meurtris les lèvres si tendres de cette virginité qui aimait les morsures. Je les meurtris entre mes doigts, lentement, longtemps et plus cruellement sans doute que Teresa ne les avait mordues, car après quelques minutes d’une endurance et d’une excitation sexuelle également extraordinaires, Mauricette éclata en sanglots. Je n’oublierai jamais cet instant de ma vie.

Ce ne fut qu’un instant. Aussitôt après, sanglotant toujours mais se retournant pour m’étreindre, elle me dit, elle me cria, bouche à bouche entre vingt baisers :

« Pardon ! Pardon de pleurer ! Pardon !... Mais veux-tu te taire ! C’est moi qui suis honteuse !... Ah ! que tu me torturais bien ! C’était bon ! J’ai joui comme si je mourais ! Et puis... je ne sais pas pourquoi... j’ai pleuré comme une bête !... C’est qu’aussi... c’est qu’aussi... »

Je l’entendis haleter, à croire qu’elle suffoquait ; puis elle sanglota de nouveau, me serra de toutes ses forces et, avec un accent admirable, elle trouva ce cri d’amour :

« Jamais personne ne m’a fait aussi mal que toi ! »