Les Liaisons dangereuses (Laclos)

1782



Préface du rédacteur

Lettre I à XV
Lettre XVI à XXX
Lettre XXXI à XLV
Lettre XLVI à LX
Lettre LXI à LXXV
Lettre LXXVI à XC
Lettre XCI à CV
Lettre CVI à CXX
Lettre CXXI à CXXXV



Ce livre, s'il brûle, ne peut brûler qu'à la manière de la glace. - Baudelaire, projet d'étude sur Les Liaisons dangereuses.

J'étais en garnison à l'île de Ré, et après avoir écrit ces quelques élégie de morts qui n'en entendrons rien, quelques épîtres en vers dont la plupart ne seront jamais imprimées, très heureusement pour le public et pour moi, étudié un métier qui ne devait me mener ni à un grand avancement ni à une grande considération, je résolus de faire un ouvrage qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit, et qui retentît encore sur la terre quand j'y aurai passé [note de Tilly : ces expressions un peu oratoires et dont je me rappelle comme si c'était hier, me frappèrent d'autant plus que sa conversation froide et méthodique n'était nullement de cette couleur-là]. - Les Mémoires du comte de Tilly, retranscrivant des paroles de Laclos.

Il paraît superflu de dire quelle importance ont Les Liaisons dangereuses. Livre mâle il préface l'amour moderne qu'expérimenteront plus tard Constant et l'Obermann. Il existe un amour qui n'est pas l'adolescent des contes bleus. Celui-là a de robustes épaules et quelques rides sur le front. Il part de plus profond que les amourettes de Daphnis. Il a tous les caractères de la sexualité. Il est mâle. Peu de voix ont fait entendre son accent. - Robert Desnos.

Laclos (...) a poussé à son extrême la théorie racinienne en éliminant l'amour du personnage amoureux et en lui substituant l'érotisme ; je veux dire qu'il a situé la vraie lutte entre l'homme et la femme non dans la résistance, mais dans la facilité. Il montre, et c'est en cela que réside le caractère subversif des Liaisons pour ces romantiques naissants, que le combat ne se livre qu'à partir du moment où la femme est facile, et que la vertu de la femme est en accord tacite avec le vice de l'homme.
Il n'y a pas hostilité lorsque l'homme essaye de prendre un bien que personne ne peut avoir. Toutes les époques héroïques et honnêtes marquent au contraire entre les deux sexes la concorde. La lutte de Tristant et Yseult, de Chimère et du Cid sont des sortes d'ententes absolues, et les luttes en commun de deux amants contre une série de difficultés extérieures qu'ils sont deux à haïr et à combattre. Toutes nos héroïnes imprenables sont des amies de l'homme, et le fait de se refuser à tous, même à celui qu'elle aime, implique chez une femme une foi assez naive dans la grandeur masculine et la grandeur de l'amour. Le combat commence au moment où chaque sexe se met à regarder l'autre comme son complice; où, en se donnant, une femme a moins le sentiment de se donner soi-même, cadeau alors douteux et fragile, que d'être sa propre entremetteuse; où l'homme sent, devant la femme qui lui plaît, qu'il a moins à la séduire qu'à suborner justement cette entremetteuse par laquelle ses gestes sont commandés; où la femme a honte d'être conquise, non par la violence physique, mais par la parole, et où l'homme en lui faisant sentir que c'est moins elle qu'elle prostitue que son sexe tout entier, lui impose pour le genre féminin en général cette humiliation qu'à d'autres époques elle n'éprouve qu'en particulier. C'est par cet oubli complet ou cette négligence de la légende de la résistance féminine que le livre de Laclos est compromettant pour l'humanité. Il a, pour l'ensemble des femmes, quelque chose d'une histoire de famille louche. - Giraudoux.

Des mesures angulaires calculées par Laclos naquit l'esprit littéraire moderne ; c'est là qu'en découvrit les premiers éléments Baudelaire, un explorateur raisonnable et raffiné de la vie ancienne, mais dont les vues sur la vie moderne impliquent toutes une certaine folie. C'est avec délices qu'il avait inspiré les bulles corrompues qui montent de l'étrange et riche boue littéraire de la Révolution où, près de Diderot, Laclos, fils intellectuel de Richardson et de Rousseau, eut comme continuateurs les plus remarquables : Sade, Restif, Nerciat et tous les conteurs philosophiques de la fin du XVIIIe siècle. - Apollinaire, Préface aux Fleurs du Mal.