Chapitre XI

HISTOIRE DE JÉRÔME

Les premières actions de mon enfance annoncèrent, à ceux qui se connaissent en hommes, que je devais être un des plus grands scélérats qui eût encore existé sur le sol français. J'avais reçu de la nature des inclinations si perverses ; cette nature âpre s'exprimait en moi d'une manière si contraire à tous les principes de la morale, qu'il fallait nécessairement établir, en me voyant, ou que j'étais un monstre né pour déshonorer cette mère commune du genre humain, ou qu'elle avait eu quelque motif en me créant ainsi, puisque sa main seule avait inculqué dans moi le malheureux penchant aux vices infâmes dont je donnais journellement de si frappants exemples.
Nous sommes de Lyon. Mon père y exerçait le commerce avec un succès assez grand pour nous laisser un jour une fortune plus que suffisante à notre existence, lorsque la mort vint l'enlever, pendant que j'étais encore au berceau. Ma mère, qui m'adorait, et qui prenait de mon éducation des soins inimaginables, m'éleva avec une sœur, née un an après moi, dans la même semaine de la mort de mon père : on la nommait Sophie ; et, quand elle eut atteint l'âge de treize ans, époque où je vais lui faire jouer un rôle sur la scène de mes aventures, on pouvait dire, avec vérité, que c'était la plus jolie fille de Lyon. Tant d'attraits ne tardèrent pas à me faire sentir que tous les prétendus freins de la nature s'évanouissent quand on bande, et qu'elle n'en connaît plus d'autres alors que ceux qui, réunissant les deux sexes, les invitent à jouir ensemble de tous les plaisirs de l'amour et de la débauche : ces derniers, plus piquants sur mon cœur que ceux d'un sentiment qui ressemblait trop à une vertu pour que je l'adoptasse jamais, furent les seuls qui se firent entendre en moi ; et j'avoue que dès que j'eus démêlé les grâces et les attraits de Sophie, ce fut son corps que je désirais, et nullement son cœur. C'est avec vérité que je puis dire n'avoir jamais connu ce sentiment factice de la délicatesse qui, rapportant tout au moral de la jouissance, paraît n'en admettre de vive que celle dont il fait les frais. J'ai joui de beaucoup d'objets dans ma vie ; mais je puis certifier que pas un ne fut cher à mon cœur ; il m'est même impossible de comprendre qu'on puisse aimer l'objet dont on jouit. Oh ! combien cette jouissance serait triste pour moi, si quelqu'autre sentiment que le besoin de foutre en composait les éléments. Je n'ai jamais foutu de ma vie que pour insulter l'objet de ma luxure, et n'ai démêlé, dans cette action, d'autre charme que l'outrage produit sur l'objet ; je le désire avant la jouissance, je l'abhorre quand le foutre est à bas.
Ma mère élevait Sophie à la maison et, comme je n'était qu'externe à la pension où l'on m'éduquait, je passais presque toute ma journée avec cette charmante sœur. Sa délicieuse physionomie, ses cheveux superbes, sa taille enchanteresse, me firent brûler, ainsi que je viens de vous confier, du désir de voir, le plus tôt possible, quelle était la différence de son corps au mien, et d'admirer ces différences, en lui faisant observer celles que la nature devait également avoir placées dans moi. Ne sachant trop comment expliquer tout ce que je sentais à ma sœur, je me déterminai à la surprendre plutôt qu'à la séduire : il y avait, dans le premier de ces modes, une sorte de trahison qui me divertissait. Je fis donc, pendant un an, l'impossible pour y parvenir, sans jamais pouvoir en venir à bout. Je sentis alors qu'il faudrait me résoudre à des demandes ; mais j'y voulais toujours la teinte de la trahison ; je n'eus jamais bandé sans cela. Voici donc comme je m'y pris. La chambre de Sophie était assez éloignée de celle de ma mère, pour me permettre d'y essayer une tentative ; et, prétextant une incommodité qui me mit dans le cas de me retirer de bonne heure, je fus lestement me cacher sous le lit du délicieux objet de mes désirs, avec la ferme résolution de me fourrer dedans aussitôt que je l'y sentirais établi. Je n'avais pas pensé à l'extrême frayeur qu'une telle démarche allait causer à Sophie. On raisonne mal quand on bande bien. N'apercevant que mon seul objet, ce ne fut absolument que vers lui seul que se dirigèrent toutes mes actions. Sophie rentra ; je l'entendis qui priait Dieu. Je vous laisse à penser si je m'irrite de ces délais ; j'en maudissais l'objet avec autant de sincérité que je pourrais le faire aujourd'hui, ou, plus éclairé sur ce chimérique Dieu, j'insulterais, je crois, celui que je verrais le prier de bon cœur.
Enfin, Sophie se couche : elle l'est à peine, que me voilà près de son chevet. Sophie s'évanouit ; je la presse sur mon sein ; et, plus occupé de l'examiner que de la secourir, j'ai le temps d'inventorier tous ses charmes avant que sa prudence puisse nuire à mes projets. Voilà donc ce qu'est une femme, dis-je en maniant la motte de Sophie ; eh ! qu'y a-t-il donc de beau là ? Ceci, continuai-je en palpant les fesses, vaut infiniment mieux ; mais rien n'est moins joli que ce devant ; et par quelle singulière contrariété la nature n'a-t-elle donc point enrichi de toutes ses grâces la partie du corps de la femme qui la différencie de nous ? Car c'est là, sans doute, ce que les hommes recherchent ; et que peut-on désirer où l'on ne trouve rien ? Est-ce cela qui les flatte ? poursuivais-je en maniant les plus jolis tétons. Je ne devine pas trop ce que ces deux boules, aussi gauchement placées sur la poitrine, peuvent avoir de bien piquant. Toutes réflexions faites, je ne vois que cela, ajoutai-je en maniait le cul, qui soit vraiment digne de notre hommage ; et, puisque nous en avons autant que les femmes, je ne comprends pas qu'il soit nécessaire de les rechercher avec autant de soin. Allons, c'est une chose très ordinaire qu'une femme ; je suis fort aise de l'avoir parcouru sans enthousiasme... Mon vit dresse pourtant en la considérant ; je sens que je m'amuserais de tout cela : mais l'adorer, comme on prétend que font les hommes... l'adorer... moi... ma foi, non. Sophie, dis-je alors assez brusquement ; car voilà le ton qu'on emploie avec les femmes, quand on sait les mettre à leur place ; réveille-toi donc Sophie ; es-tu folle d'avoir ainsi peur de moi ? Et, comme elle reprenait ses sens : Ma sœur, continuai-je, je ne viens point ici pour te faire du mal ; j'ai voulu regarder ton corps, je me suis satisfait : vois l'état où il me met ; apaise mes feux : quand je suis seul... tiens, regarde-moi, en deux tours de poignet... cela coule, et je suis tranquille. Mais, puisque nous voilà réunis, évite-moi cette peine, Sophie ; il me semble que j'aurai plus de plaisir quand ta main fera la besogne. Et, sans autre forme de procès, je place mon vit entre ses doigts ; Sophie le serre, elle m'embrasse. Oh ! mon ami, me dit-elle, il est inutile de te le cacher, il y a longtemps que je combine, comme toi, la différence qui peut exister dans les sexes, et j'avais, sans oser te le dire, la plus grande envie de t'examiner ; la pudeur m'en a empêchée ; ma mère ne cesse de me recommander d'être sage... vertueuse... modeste ; et, pour établir toutes ces vertus dans mon âme, elle vient de me mettre entre les mains du vicaire de la paroisse, homme dur... revêche, qui ne parle jamais que de l'amour de Dieu, et de la retenue qui convient aux filles ; et, d'après de tels sermons, mon ami, si tu n'avais pas fait les avances, je n'aurais osé te parler de rien.
- Sophie, dis-je alors à ma sœur, en m'établissant dans son lit, chair contre chair, je ne suis ni beaucoup plus âgé, ni beaucoup plus instruit que toi, mais la nature m'en a dit assez, pour me convaincre que tous les cultes, tous les mystères religieux ne sont que d'exécrables absurdités. Va, mon ange, il n'y a d'autre Dieu que le plaisir ; c'est à ses seuls autels que nous devons sacrifier.
- Crois-tu, Jérôme ?
- Oh ! oui, oui, c'est mon cœur qui me le dit, et c'est mon cœur qui te l'assure.
- Mais, comment faut-il s'y prendre pour connaître ce plaisir ?
- Se branler, tu le vois. Quand on a bien secoué cela, il en sort une liqueur blanche, qui nous fait pâmer d'aise ; à peine a-t-on fini, que l'on voudrait recommencer... Mais pour toi, dès que tu n'as rien, je ne vois pas trop comment il faudrait s'y prendre.
- Tiens, Jérôme, répondit ma sœur, en plaçant une de mes mains sur son clitoris ; la nature m'a parlé comme à toi, et si tu veux chatouiller cette petite crête que tu vois se durcir et s'élever sous tes doigts ; si, dis-je, tu veux la remuer légèrement ; pendant que je secouerai ce que tu me fais empoigner ; ou je me trompe fort, mon ami, ou nous aurons du plaisir tous deux.
A peine eus-je fait ce que désirait ma sœur, que je la vis s'étendre... soupirer ; et la petite friponne m'inonda les doigts : je me pressai de répondre à cet élan de volupté ; et, me courbant sur elle en baisant sa bouche, et me branlant moi-même, je la payai de la même monnaie. Ses cuisses, sa motte furent inondées de cette liqueur enchanteresse, dont l'écoulement me faisait goûter d'aussi doux plaisirs. Nous éprouvâmes, après, cet instant de stupidité, suite nécessaire des crises libidineuses, qui prouve par sa langueur à quel puissant degré l'âme vient d'être fortement émue, et le besoin qu'elle a de repos. Mais, à l'âge que nous avions alors, les désirs sont bientôt rallumés.
- Ô Sophie ! dis-je à ma sœur, je crois que nous sommes encore bien ignorants ; sois sûre que ce n'est pas ainsi qu'il faut goûter ce plaisir ; nous oublions quelques circonstances apparemment méconnues de nous. Il faut être l'un sur l'autre ; et puisque tu es creuse, et que quelque chose s'allonge dans moi, il faut absolument que ce qui s'élève entre dans ce qui est profond ; il faut que tous deux s'agitent pendant cette jonction ; et voilà, sois-en bien certaine, tout le mécanisme de la volupté.
- Je le crois comme toi, mon ami, me dit ma sœur ; mais j'ignore où est ce trou dans lequel il faut que tu pénètres.
- Si je ne me trompe, si je suis les inspirations que la nature me donne, ce doit-être celui-là, répondis-je, en enfonçant un de mes doigts dans le trou du cul de Sophie.
- Eh bien ! essaye, dit ma sœur, je te laisserai faire si je n'en éprouve pas une trop grande douleur.
A peine ai-je le consentement de Sophie, que je l'établis sur le ventre au bord de son lit ; et, bien maître de son derrière, me voilà promptement aux prises. Comme je n'étais pas encore extrêmement bien pourvu, le déchirement fut médiocre : et Sophie, qui brûlait d'envie d'en venir au fait, se prêta avec tant de soumission qu'elle fut bientôt enculée.
- Oh ! que j'ai souffert, me dit-elle, quand l'opération fut finie.
- Bon, répondis-je, c'est parce que c'est la première fois, je parierais bien qu'à la seconde tu n'éprouverais plus que du plaisir.
- Eh bien ! recommence, mon ami, je suis décidée à tout.
Je la rencule, mon foutre coule, et Sophie décharge à son tour.
- Je ne sais si nous nous sommes trompés, dit ma sœur ; je ne le puis croire à l'extrême plaisir que j'ai eu... Qu'en penses-tu, Jérôme ?
Mais ici la tête commençait à se démonter : il n'y avait aucun amour dans mon fait ; le désir purement physique de jouir de ma sœur était le seul mouvement qui m'eût agité ; et ce désir venait d'être cruellement refroidi par la jouissance. Il n'y avait plus d'enthousiasme dans l'examen que je faisais du corps de Sophie. Faut-il l'avouer ? Ces appas qui venaient de m'enflammer, ne m'inspiraient plus que du dégoût. Je répondis donc froidement à ma petite putain, que je n'imaginais pas que nous nous fussions trompés ; et que n'ayant suivi l'un et l'autre que les inspirations de la nature, il était impossible qu'elle eût voulu nous égarer ; que je croyais, au reste, qu'il était prudent de nous quitter, qu'un plus long séjour dans sa chambre nous compromettrait sûrement, et que j'allais me remettre au lit. Sophie voulait me retenir.
- Tu me laisses en feu, me dit-elle ; je serai contrainte à m'apaiser seule. Ô Jérôme ! ne m'abandonne point encore.
Mais l'inconstant Jérôme avait déchargé trois fois et, quelque jolie que fut sa chère sœur, il lui fallait absolument un peu de repos, pour que l'illusion pût renaître.
L'engagement que j'ai pris de développer ici les plus secrets replis de mon cœur ne me permets pas de vous taire mes réflexions ; sitôt que je me vis seul, elles ne furent pas à l'avantage de l'objet qui venait d'éteindre mes feux. Plus de prestige ; le charme était dissipé ; et Sophie ne m'excitant plus m'irritait dans un autre sens. Je rebandais ; mais ce n'était plus pour fêter ses charmes, c'était pour les flétrir : je dégradais Sophie dans mon imagination ; et, passant insensiblement du mépris à la haine, j'en étais au point de lui désirer du mal. Je suis fâché de ne lui avoir pas cherché querelle, me disais-je, désespéré de ne l'avoir pas battue ; il doit y avoir du plaisir à battre une femme quand on en a joui... mais je puis me dédommager de cette retenue... je puis lui faire de la peine, je n'ai qu'à divulguer sa conduite ; elle sera perdue de réputation ; ne pouvant jamais se marier, elle deviendra sans doute extrêmement malheureuse ; et cette affreuse idée, faut-il le dire ? fit aussitôt jaillir mon foutre avec mille fois plus de volupté que lorsqu'il s'écoulait dans le cul de Sophie.
Rempli de cet affreux projet, j'évitai ma sœur le lendemain, et fus confier toute mon aventure à un jeune cousin germain, plus âgé que moi de deux ans, de la plus jolie figure du monde, et qui, pour me prouver l'effet de ma confidence, me fit à l'instant palper un vit très dur et très gros.
- Tu ne me dis rien que je n'aie éprouvé, me dit Alexandre ; j'ai, comme toi, foutu ma sœur, et, comme toi, je déteste aujourd'hui l'objet de mes luxures ; va, mon ami, ce sentiment est bien naturel ; il est impossible d'aimer ce que l'on a foutu. Veux-tu me croire : mêlons nos jouissances et nos haines. La plus grande marque de mépris que l'on puisse donner à une femme est de la prostituer à un autre. Je te livre Henriette, elle est ta cousine germaine ; elle a quinze ans, tu sais comme elle est belle ; fais-en ce que tu voudras, je ne te demande que ta sœur en retour : et, quand nous serons tous deux bien las de ces putains, nous aviserons aux moyens de leur faire pleurer longtemps leur coupable abandon et leur imbécile complaisance.
Cette délicieuse coalition m'enchanta : je saisis le vit de mon cousin ; je le branle.
- Non, non, tourne-toi, me dit Alexandre ; il faut que je te traite comme tu as traité ta sœur.
Je présente les fesses et me voilà foutu.
- Mon ami, me dit Alexandre, dès qu'il m'eut déchargé dans le derrière, voilà comme il faut agir avec les hommes ; mais, si tu t'en es tenu là avec ma cousine, assurément tu ne lui as pas fait tout ce que tu aurais pu lui faire ; non pas que cette manière de jouir d'une femme ne soit assurément la plus lubrique, et par conséquent la meilleure : mais il en est une autre, et tu dois la connaître : mets-toi promptement aux prises avec ta sœur, et je perfectionnerai les leçons dont il me semble que tu ne lui as donné que les premiers éléments.
Je savais que ma mère devait aller bientôt à une foire célèbre ; qu'elle laisserait, pendant son voyage, Sophie sous la garde d'une gouvernante facile à séduire : je prévins Alexandre de faire tout ce qui dépendait de lui pour pouvoir disposer de sa sœur à la même époque. Il réussit : Henriette parut avec son frère ; et Micheline, notre duègne, consentit à nous laisser goûter tous quatre, pourvu qu'à notre tour nous ne révélions pas qu'elle allait passer l'après-midi chez son amant.
Si mon cousin était l'un des plus beaux garçons qu'il fût possible de voir, Henriette, sa sœur, âgée, comme je vous l'ai dit, de quinze ans, pouvait également passer pour l'une des plus jolies filles de Lyon ; elle était blonde, d'une blancheur éblouissante, la couleur de la rose embellissait son teint, les plus belles dents ornaient sa bouche, et sa taille souple et flexible était déjà fort au-dessus de son âge.
A peine avais-je parlé à Sophie, je l'évitais depuis que j'en avais joui. Une fois déterminé, je lui déclarai que mon intention était qu'elle fit avec mon cousin tout ce qu'elle avait fait avec moi. Cette belle fille, continuai-je en montrant Henriette, sera le prix de votre obéissance : jugez donc le chagrin que me ferait éprouver vos refus.
- Mais, mon ami, dit Henriette à son frère, vous ne m'avez point parlé de cet arrangement ; je ne serais point venue si je l'eusse su.
- Allons donc, Henriette, tu veux faire la prude, dit Alexandre avec humeur : quelle différence y a-t-il entre mon cousin et moi ? et pourquoi ferais-tu des difficultés pour lui accorder ce que j'ai reçu ?
- Ces demoiselles n'en feront point, dis-je, en lâchant moi-même le cordon des jupes de Sophie ; tiens, mon ami, reçois ma sœur de ma main, livre-moi la tienne, et ne nous occupons plus que de plaisir. Des larmes coulèrent des yeux de nos deux novices : elles s'approchent, elles s'embrassent ; mais Alexandre et moi les ayant assurées qu'il ne s'agit point ici de scènes de larmes, que c'est du foutre et non pas des pleurs qu'il nous faut, nous les déshabillons à l'instant, et nous nous les cédons mutuellement. Dieu ! comme Henriette était belle ! quelle peau ! quel embonpoint ! quelles ravissantes proportions ! Je ne concevais plus comment on pouvait bander pour Sophie, après avoir vu ma cousine ; j'étais dans le délire ; et certes Alexandre n'était pas moins enthousiasmé que moi en parcourant les beautés de ma sœur : il la baisait, il la maniait partout ; et la pauvre Sophie, jetant des yeux humides sur moi, semblait me reprocher ma perfidie. Henriette se conduisait de même : il était facile de voir que ces deux charmantes créatures n'avaient écouté que la voix du plaisir, en se livrant à leurs amoureux respectifs ; mais que la pudeur combattait violemment en elles la prostitution à laquelle on les forçait.
- Allons, trêve de pleurs, de regrets et de cérémonies, dit Alexandre ; mettons-nous à l'ouvrage, et tâchons que la plus lascive volupté préside aux jeux que nous allons célébrer tous quatre.
Assurément ses vœux furent remplis, et rien d'aussi luxurieux que les orgies où nous nous livrâmes. Mon cousin foutit ma sœur deux fois en con et trois fois en cul. Il redressa mes idées sur la jouissance des femmes : j'essayai ; et l'épreuve ne servit qu'à me convaincre que, si la nature avait placé là l'autel de la génération, elle n'y avait pas réuni celle du plaisir. M'appesantissant peu sur l'inconséquence, je ne pensai qu'à la venger par un hommage constant au dieu que j'ai toujours servi, et que j'invoquerai sans cesse jusqu'au dernier jour de ma vie. Henriette fut donc beaucoup plus sodomisée qu'enconnée ; et j'assurai mon instituteur que, si, comme il le disait, l'espèce humaine ne se reproduisait que par le con, il fallait donc que la nature n'eût pas grand besoin de production, puisqu'elle affectait à ce travail celui de ses deux temples dont le mérite était si médiocre.
Après nos inconstants hommages, Alexandre et moi revînmes à nos premiers plaisirs. Il jouit de sa sœur devant moi ; j'enculai la mienne à ses yeux ; nous nous fîmes branler ; nous nous sodomisâmes ; nous nous liâmes tous les quatre ; nous nous gamahuchâmes. Alexandre m'apprit mille épisodes voluptueux, que j'étais trop jeune pour savoir encore, et nous finîmes par un repas splendide. Nos jeunes maîtresses, parfaitement remises, et maintenant très apprivoisées, se livrèrent aux plaisirs de la bonne chair avec autant de délices qu'à ceux de la luxure ; et nous ne nous quittâmes qu'avec les plus certaines promesses de recommencer bientôt. Nous tînmes si bien parole, et si souvent, que le ventre de nos donzelles gonfla. Malgré mes précautions et mes infidélités en faveur du cul de ma cousine, il fut démontré que l'enfant dont Henriette accoucha m'appartenait : c'était une fille à laquelle vous verrez jouer un rôle dans le cours de cette histoire. Ce double accident, que nous ne parvînmes à cacher qu'avec infiniment d'art, acheva de nous refroidir sur nos princesses.
- Eh bien ! me dit Alexandre, quelques mois après, penses-tu toujours de même sur le compte de ta sœur ?
- C'est plus cruellement que jamais, répondis-je, que je conçois le ferme projet de me venger de l'illusion où mes attraits ont pu me jeter ; je la vois comme un monstre en horreur à mes yeux ; mais, si tu l'aimes, cela va me retenir.
- Qui ? moi, dit Alexandre, moi, chérir une femme, après l'avoir foutue ! ne t'ai-je donc pas dévoilé mon cœur ? Sois sûr qu'il ressemble au tien ; convaincs-toi bien que ces deux filles sont maintenant abhorrées par moi, et que, si tu le veux, nous ne nous occuperons que de les perdre.
- Faisons-en le serment, répondis-je, et que rien ne l'enfreigne jamais.
- Il est fait, me dit Alexandre ; mais quel moyen allons-nous employer ?
- Le mien est sûr, dis-je : laisse-toi surprendre avec ma sœur par ma mère ; je connais sa sévérité, elle deviendra furieuse et Sophie est perdue.
- Comment perdue ?
- Elle la mettra au couvent.
- La belle punition ! oh ! je veux mieux que cela pour Henriette.
- Et jusqu'où veux-tu porter ta rage ?
- Je veux qu'elle soit déshonorée, flétrie, ruinée sans ressource ; je veux qu'elle mendie son pain à ma porte ; et jouir du plaisir de lui en refuser.
- Bon, dis-je à mon ami ; en ce cas, j'avais bien raison de penser que je l'emporterais sur toi... Mais, silence, je ne puis rien expliquer maintenant. Convenons d'agir chacun de notre côté, et nous nous rendrons compte de nos opérations ; celui des deux qui l'emportera recevra de l'autre une discrétion, le veux-tu ?
- J'accepte, me dit Alexandre ; mais il faut en jouir de nouveau, avant que de les travailler.
Et comme ma mère était encore absente, nous arrangeâmes la dernière entrevue où s'était passée la première. Nous nous livrâmes cette fois à bien plus de libertinage, que nous ne l'avions fait jusqu'alors, et nous finîmes par insulter grièvement les anciennes idoles de nos cultes. Nous les liâmes ventre contre ventre, et les fustigeâmes toutes deux près d'un quart d'heure en cette posture ; nous les souffletâmes, nous leur imposâmes des pénitences ; en un mot, nous les avilîmes, au point de leur cracher au visage et de leur chier sur la gorge, de leur pisser dans la bouche et dans le con, tout en les accablant d'injures et de sarcasmes. Elles pleurèrent ; nous en rîmes : nous ne voulûmes pas qu'elles mangeassent avec nous cette fois ; elles nous servirent nues ; et, les ayant fait rhabiller, nous prîmes congé d'elles, à grands coups de pieds au cul. Ah ! combien les femmes deviendraient plus modestes, si elles pouvaient sentir dans quelle dépendance leur libertinage les met [Qu'on ne vienne donc plus nous dire que cet ouvrage est immoral, dès qu'il sert de preuve à cette assertion].
Comme nous nous étions promis d'agir chacun de notre côté, sans nous rien dire, je perdis Alexandre de vue pendant près de six semaines, et profitai de cet intervalle pour dresser contre l'infortunée Sophie les batteries dont vous allez voir les effets. Ma sœur, naturellement très ardente, céda avec autant de facilité aux instigations d'un autre de mes amis qu'elle s'était rendue à mon cousin, et ce fut avec cet ami que je la fis surprendre. Je ne vous peins point la fureur de ma mère, elle fut extrême.
- Préviens cette sévérité, dis-je à Sophie ; hâte-toi, tu es enfermée, si tu ne la devances ; débarrasse-toi de ce monstre ; ose attenter aux jours de cet incommode argus, je t'en fournirai les moyens.
Sophie, troublée, hésite, et finit par céder. Je prépare la fatale boisson ; ma sœur la fait prendre à sa mère, elle expire !
- Oh ! juste ciel ! m'écriai-je alors en accourant avec le plus grand bruit... ma mère, que vous arrive-t-il ?... C'est Sophie, c'est ce monstre que votre juste indignation menaça, et qui se venge de vos équitables rigueurs ; je veux qu'elle porte la peine de son crime... il m'est connu, il m'est dévoilé. Qu'on arrête Sophie ; qu'on s'assure de ce lâche instrument d'un parricide affreux ; il faut qu'elle périsse, il faut du sang aux mânes de ma mère.
Et, en disant cela, je dépose, aux mains d'un commissaire accouru, le poison trouvé dans la chambre de ma sœur, et enveloppé dans son propre linge.
- Peut-il y avoir du doute maintenant, monsieur ? continué-je en m'adressant à l'homme de justice ? le crime n'est-il pas avéré ? Il est affreux pour moi de dénoncer ma sœur ; mais je préfère sa mort à son déshonneur, et ne balance point entre la cessation de son existence et les suites dangereuses de l'impunité. Faites votre devoir, monsieur ; je serai le plus malheureux des hommes ; mais je n'aurai pas au moins à me reprocher le crime de ce monstre.
Sophie, confondue, me lance d'affreux regards... elle veut parler, la rage, la douleur et le désespoir rendent ses efforts inutiles ; elle s'évanouit, on l'emporte... La procédure eut son cours ; je parus, j'appuyai, je démontrai mes déclarations. Sophie voulut récriminer, m'indiquer comme auteur de ce fatal projet. Ma mère, qui respirait encore, prit ma défense, et devint elle-même l'accusatrice de Sophie ; elle dévoile sa conduite, en faut-il davantage pour éclairer l'opinion des juges ? Sophie est condamnée. Je vole chez Alexandre.
- Eh bien ! lui dis-je, où en es-tu ?
- Vous allez le voir, monsieur l'homme de bien, me répond Alexandre ; n'avez-vous pas entendu parler d'une fille qui doit être pendue ce soir, pour avoir voulu empoisonner sa mère ?
- Oui : mais cette fille est ma sœur ; c'est celle dont tu as joui ; et ces complots sont mon ouvrage.
- Tu te trompes, Jérôme, c'est la mienne.
- Scélérat, dis-je, en sautant au cou de mon ami, je vois que, sans nous rien dire, nous avons agi par les mêmes moyens ; est-il rien au monde qui prouve mieux combien nous sommes faits l'un pour l'autre ?... Volons ; la foule s'assemble ; nos sœurs vont arriver au pied de l'échafaud ; allons jouir de leurs derniers instants.
Nous louons une croisée ; à peine y sommes-nous que nos victimes s'approchent.
- Ô Thémis ! m'écrié-je, que tu es aimable de servir ainsi nos passions.
Alexandre bandait, je le branle, il me rend le même service ; et nos lunettes, braquées sur le cou pris de nos deux putains, nous nous arrosons mutuellement les cuisses de foutre, au même instant où les tristes jouets de notre scélératesse expirent par nos soins de la plus cruelle des morts.
- Voilà, me dit Alexandre, de véritables plaisirs ; je n'en connais pas au monde de plus vifs.
- Oui, dis-je. Ah ! si pourtant il en faut de tels à notre âge, qu'inventerons-nous donc, quand les passions éteintes rendront les stimulants plus nécessaires ?
- Ce que nous pourrons, me dit Alexandre ; mais, dans l'incertain espoir d'exister, n'ayons pas la folie de ménager nos plaisirs : ce serait une extravagance.
- Et ta mère, vit-elle ? demandé-je à mon cousin.
- Non.
- Eh bien, dis-je ; tu es donc moins heureux que moi ; la mienne respire, et je vais la finir. J'y cours, j'exécute ; c'est de mes propres mains que j'achève le crime. Et ce double forfait me fit passer la nuit dans un océan de lubricités solitaires, mille fois supérieures à celles que le libertinage se permet au sein des plus doux objets de son culte.
Notre commerce ayant assez mal tourné dans les dernières années de la vie de ma mère, je résolus de réaliser le peu que j'avais : ce fut l'affaire de trois ou quatre ans pour me mettre absolument en règle. Je me déterminai ensuite à voyager : je laissai en pension la fille que j'avais eue de ma cousine, avec l'intention de la sacrifier un jour à mes plaisirs, et je partis. L'éducation que j'avais reçue me mettant à même de prendre le métier d'instituteur, quoique bien jeune encore, j'entrai à Dijon avec cette qualité près du fils et de la fille d'un conseiller au Parlement.
La profession que j'embrassai flattait beaucoup ma lubricité ; je ne voyais déjà pour moi que des victimes de cette passion dans les sujets qui m'allaient être donnés. Oh, quelles délices, me disais-je, d'abuser, comme je vais le faire, et de la confiance des parents, et de la crédulité des élèves. Quelle pâture pour ce sentiment interne de méchanceté qui me dévore, et qui me porte à me venger de la plus cruelle manière des faveurs que je dérobe ou que j'obtiens volontairement. Pressons-nous d'endosser le manteau de la philosophie ; il sera bientôt pour moi celui de tous les vices. Et c'était à vingt ans que je raisonnais ainsi.
Moldane était le nom du robin chez lequel je me présentais : il ne tarda pas à me donner toute sa confiance. Il s'agissait d'élever ensemble un jeune homme de quinze ans, qui se nommait Sulpice, et la sœur de ce jeune homme, nommée Joséphine, qui n'avait encore que treize ans. C'est sans exagération que je puis vous assurer, mes amis, n'avoir vu de mes jours rien d'aussi joli que ces enfants. D'abord la gouvernante de Joséphine présidait aux leçons : peu après cette précaution parut inutile, et les deux charmants objets de mes ardents désirs me furent abandonnés sans réserve.
Le jeune Sulpice ; que j'étudiais avec attention, me laissa bientôt apercevoir deux côtés faibles en lui : d'abord, un tempérament de feu ; secondement, un amour excessif pour sa sœur. Bon, me dis-je, dès que j'eus découvert ces deux points, me voilà bientôt sûr du succès. Ô doux jeune homme ! j'avais envie d'allumer en toi le flambeau des passions, et ton aimable naïveté me découvre aussitôt la mèche.
Dès le commencement du second mois de mon séjour chez M. de Moldane, je préparai mes premières attaques : un baiser sur la bouche, une main dans la culotte décidèrent aussitôt mon triomphe. Sulpice bandait comme un lutin, et au quatrième mouvement de mes doigts le fripon m'arrosa de foutre. Je retourne aussitôt la médaille. Dieu, quel cul ! c'était celui de l'Amour même : que de blancheur !... quel étroit !... que de fermeté ! Je le dévore de caresses, et me remets à sucer son charmant petit vit, afin de lui rendre les forces nécessaires à soutenir de nouvelles attaques. Sulpice rebande ; je le couche à plat-ventre, j'humecte avec ma bouche le trou que je veux enfiler ; et, dans trois tours de reins, me voilà dans son cul ; quelques contorsions m'apprennent mon triomphe, et des flots de semence, élancés au fond du derrière de mon charmant élève, le couronnent bientôt. Incroyablement électrisé par les ardents baisers dont je couvre, en foutant, la bouche fraîche et délicieuse de mon joli bardache, par le sperme dont il m'arrose les mains à toutes minutes, je redouble, et, quatre fois de suite, mon vigoureux engin laisse au fond de son cul les preuves non équivoques de ma passion pour lui. Qui le croirait ! et quelles incroyables dispositions ! à l'exemple de l'écolier de Pergame, Sulpice se plaint de ma faiblesse.
- Eh quoi ! dit-il, nous en restons là ?
- Pour le moment, répondis-je ; mais tranquillise-toi, mon amour, je vais t'excéder cette nuit. Nous couchons dans la même chambre ; personne ne nous surveille ; qu'un même lit nous reçoive tous deux ; et là, je te donnerai, j'espère, des preuves de ma vigueur, dont il sera difficile que tu te plaignes.
Elle arrive, cette nuit désirée : mais, ô Sulpice ! j'avais déjà joui de toi ; le bandeau s'arrachait ; et je vous ai suffisamment dévoilé mon caractère, pour vous faire comprendre qu'avec la chute de l'illusion s'allumait dans mon cœur un nouveau genre de désir que la méchanceté seule pouvait assouvir. Je fis des efforts de vigueur ; Sulpice fut foutu dix coups ; il me le rendit cinq, m'arrosa sept autres fois et la bouche et le ventre de son voluptueux sperme, et me laissa le lendemain matin dans des sentiments qui n'avaient pas, il s'en faut, sa félicité pour objet.
Cependant, la prudence suspendait encore mes desseins, je ne possédais que la moitié de ma conquête ; et, pour y joindre Joséphine, j'avais besoin d'employer Sulpice. Quelques jours après nos orgies, je lui parlai de ses affaires de cœur.
- Hélas ! me répondit-il, je désire infiniment la jouissance de cette charmante fille ; mais la timidité m'enchaîne et je n'ose lui rien témoigner.
- Cette timidité, répondis-je, n'est qu'un enfantillage ; il n'y a pas plus de mal à désirer la jouissance de votre sœur que celle d'une autre femme ; au contraire, il y en a moins, sans doute : plus nous avons de liens avec un objet, plus nous devons le soumettre à nos passions ; il n'est de sacré dans le monde que leur organe ; il n'est de crime qu'à leur résister. Je suis persuadé que votre sœur est pénétrée par vous des mêmes sentiments dont vous brûlez pour elle ; déclarez hardiment les vôtres, et vous la verrez y répondre : mais il faut précipiter l'aventure ; ce n'est qu'ainsi que l'on réussit : qui ménage une femme, la manque ; qui la brusque, est sûr de la vaincre : gardez-vous bien de leur donner jamais le temps de la réflexion. Je ne crains pour vous qu'une chose, c'est l'amour : quand on lui ressemble aussi bien, il est facile de l'imiter. Vous êtes un homme perdu, si vous vous amusez à la métaphysique. Souvenez-vous qu'une femme n'est pas faite pour être aimée ; ce n'est pas avec autant de défauts qu'elle aurait le droit d'y prétendre : uniquement créée pour nos plaisirs, ce n'est que pour y satisfaire qu'elle respire. Voilà le seul rapport sous lequel vous deviez envisager votre sœur ; foutez-la donc ; je vous y exhorte, et vous proteste de vous aider en tout ce qui dépendra de moi : plus de retenue, plus d'enfance ; la vertu perd un joli homme, le vice seul l'embellit et lui sert.
Sulpice, enhardi par mes conseils, me promit de travailler sérieusement ; dès le même jour, je lui en fis naître l'occasion. J'appris bientôt que rien n'avait été plus heureux que ses premières tentatives, mais que, toujours timide, il n'en avait pas su profiter. On l'aimait, c'est tout ce qu'il avait su ; et quelques baisers sur la bouche en avaient été l'heureux sceau. Je grondai vivement Sulpice de son impardonnable nonchalance.
- Mon ami, me dit-il, j'irais plus vite avec un individu de mon sexe ; mais ces maudits jupons m'en imposent.
- Apprécie-les donc mieux, mon enfant, dis-je à ce charmant jeune homme ; cet emblème d'un sexe faux, faible et méprisable n'est fait que pour constater encore mieux l'avilissement dans lequel tout honnête homme doit le tenir. Trousse ces jupons qui t'effarouchent, et, quand tu auras joui, tu apprécieras mieux ce qu'ils cachent ; mais ne te trompe pas, continué-je, envieux de me conserver les roses sodomites du délicieux cul que je supposais à Joséphine, souviens-toi que c'est entre les cuisses et non pas dans les fesses que la nature a placé le temple où l'hommage d'un homme doit être présenté chez les femmes. Tu éprouveras d'abord un peu de résistance ; qu'elle ne serve qu'à t'enflammer mieux : pousse, presse, déchire, et tu triompheras bientôt.
Le lendemain, j'appris, avec une véritable satisfaction, que l'opération était faite, et que dans les jolis bras de son frère la plus belle des filles venait enfin d'être mise au rang des femmes. Sulpice, loin d'éprouver cette satiété dont les effets étaient si violents dans moi, n'était devenu par la jouissance que mille fois plus amoureux ; et comme la jalousie me parut s'en mêler, je vis qu'il ne me restait plus d'autre moyen pour atteindre au but que celui de la ruse et de la perfidie ; je me pressai : mon élève pouvait recevoir de son imagination les conseils d'une jouissance dont je voulais cueillir les prémices ; et je ne lui aurais jamais pardonné. Les rendez-vous avaient lieu dans un cabinet assez près de ma chambre pour qu'au moyen d'une ouverture pratiquée dans la cloison j'en pusse discerner les détails : je me gardai bien de prévenir Sulpice ; il se serait peut-être composé, et je voulais prendre la nature sur le fait. Quelle ardeur ! quel tempérament d'une part ! que de grâces ! que de fraîcheur ! que de beautés de l'autre ! Oh ! Michel-Ange, tels auraient dû être tes modèles, quand ton pinceau savant nous peignit l'Amour et Psyché. Vous jugez de ma situation ; je n'ai pas besoin de vous la détailler. Ce n'était pas à mon âge que l'on pouvait voir un tel spectacle de sang-froid. Mon vit était dans un tel état, qu'il frappait seul contre la cloison, comme pour marquer le désespoir où le mettaient les digues qu'on opposait à ses désirs : ne voulant pas le laisser languir longtemps, je guette dès le lendemain le moment le plus chaud d'une séance qui se renouvelait tous les jours. J'entre précipitamment.
- Joséphine, dis-je à ma jeune élève presque évanouie de frayeur, voilà une conduite qui vous perd ; il est de mon devoir d'en prévenir vos parents, et je le fais à l'instant même, si vous ne consentez l'un et l'autre à me mettre en tiers dans vos plaisirs.
- Méchant homme, me dit en courroux le pauvre Sulpice, tenant à la main son vit tout inondé du sperme dont il venait de faire jaillir les flots dans le con vierge de sa jolie maîtresse, n'as-tu donc pas toi-même ourdi les pièges où tu veux nous prendre aujourd'hui ? ce qui se passe n'est-il pas le résultat de tes perfides séductions ?
- Ah ! dis-je effrontément, je vous défie de le prouver ; je serais indigne de la confiance de vos parents, si j'avais jamais pu vous donner de tels conseils.
- Mais n'en es-tu pas indigne à présent, rien que par la proposition que tu nous fais ?
- Sulpice, que j'aie des torts ou non, ceux que je découvre ici n'en sont pas moins réels ; et l'extrême différence qui se trouve entre ceux que vous me prêtez et les vôtres, c'est que les faits constateront ceux dont vous vous souillez, et que jamais vous ne pourrez prouver les miens. Mais, croyez-moi, terminons une digression qui s'arrange mal avec la violence des désirs que votre tête-à-tête vient d'allumer en moi ; donnons-nous tous également des torts, et nous n'aurons plus rien à nous reprocher. Vous voyez quels sont mes droits : je vous surprends, je serai cru ; vous ne pouvez alléguer que des mots, j'aurai des faits à présenter.
Et, sans attendre la réponse de Sulpice, je commence à m'emparer de Joséphine, qui, après quelques résistances vaincues par mes menaces, m'abandonne son charmant petit cul, et c'est en vérité tout ce que j'en veux. J'étends cette jolie petite fille sur le corps nu de son frère, qui, la saisissant dans ses bras, lui introduit son petit engin dans le con, et glissant le mien dans le cul de la pucelle parfaitement présenté par l'attitude, je lui cause des douleurs si violentes qu'elle oublie le plaisir où veut la plonger son amant : elle n'y tient pas, je la déchire : elle se retourne et de la secousse fait sortir mon engin du gîte. Elle saignait, rien ne m'épouvante : ce n'est pas un vit comme le mien que la commisération désarme. Je la reprends au vol, je la refixe sur l'outil de Sulpice toujours prêt à la renclouer ; je lui redarde mon vit au derrière ; ma main, cette fois, fixe ses hanches ; je lui frappe les fesse à grands coups de poing ; dans la colère où ses résistances me mettent, je l'injurie, je la menace, je la méprise ; elle est enculée jusqu'aux gardes ; je l'aurais assommée plutôt que de lui faire grâce ; il me fallait son cul ou sa vie.
- Attends-moi, Sulpice, m'écriai-je ; ne déchargeons qu'ensemble, mon ami ; inondons-la de toutes parts ; je voudrais, pendant qu'elle fout ainsi, qu'elle en eût un autre dans la bouche, afin de se mieux pénétrer du plaisir incroyable d'être inondée de sperme dans toutes les parties de son corps. Mais Sulpice qui, malgré les douleurs de Joséphine, la voit décharger dans ses bras, Sulpice ne peut plus se tenir, il perd son foutre, je l'imite, et nous voilà tous les trois heureux.
De nouvelles scènes recommencent bientôt : le pucelage que je désire est pris ; je n'y attache plus de mérite ; j'abandonne à Sulpice la rose effeuillée ; je lui fais enculer Joséphine, et conduis moi-même l'outil, afin qu'il ne s'égare pas ; je lui rends ce qu'il fait à sa sœur ; et nous voilà tous trois à foutre en cul comme de vrais enfants de Sodome : nous déchargeons deux fois sans quitter la posture, lorsqu'une manie ridicule de con vient s'emparer de mes sens. Je supposais celui de Joséphine très étroit ; il n'avait jamais été perforé que par un membre fort inférieur au mien ; je l'enfile, et veux que mon élève m'encule pendant ce temps-là. On n'a pas d'idée de la manière énergique dont ma petite putain déchargeait : je la sentis trois fois se pâmer dans mes bras, pendant que je dévorais sa bouche. Je l'inonde, je reçois de la semence ; et, tous trois épuisés, nous retombons sans mouvement sur un canapé, auprès duquel, par mes soins, une ample collation nous restaure bientôt. Nous n'avions plus la force de foutre ; mais il nous restait celle de nous sucer. J'exige ce service de Joséphine ; et, pendant que sa jolie bouche me savoure, mes lèvres pressent le vit énervé de Sulpice. Je maniais les deux culs par la posture que j'avais choisie, mon élève socratisait le mien, sa sœur chatouillait les couilles ; j'obtiens du foutre, j'en donne, Joséphine décharge encore une fois ; et, vivement pressés par l'heure, nous nous séparons, en nous promettant bien de recommencer incessamment une scène dont mes novices me pardonnent enfin l'invention.
Je fus assez heureux pour masquer un an cette double intrigue, pendant laquelle il ne fut pas de jour où nous ne célébrassions nos sacrifices. Enfin, le dégoût se fit sentir, et avec lui le désir de toutes les perfidies, qui, chez moi, l'accompagnait ordinairement. Je n'avais d'autre moyen de satisfaire à cet écart de ma cruelle imagination que de dénoncer à M. de Moldane la conduite secrète de ses enfants. Je prévoyais bien les dangers d'une récrimination ; mais ma tête, fertile en scélératesses, me fournirait, j'en étais sûr, tous les moyens de la combattre. Je préviens Moldane : Dieu ! quelle est ma surprise de le voir sourire à cette nouvelle, au lieu de s'en courroucer !
- Mon ami, me dit le Robin, je suis très philosophe sur toutes ces fadaises-là ; sois bien certain que, si j'étais aussi ferme en morale que tu m'as supposé, j'aurais pris sur toi des informations un peu plus sévères que je ne l'ai fait ; ton âge même, ainsi que tu dois facilement le concevoir, t'aurait seul écarté du poste où tu prétendais. Viens, Jérôme, poursuivit Moldane en m'attirant dans un cabinet délicieusement orné de tout ce que la lubricité peut inventer de plus luxurieux, viens te donner un échantillon de mes mœurs.
Le coquin, en disant cela, lâche la ceinture de ma culotte, et, prenant mon vit d'une main et mon cul de l'autre, le brave père de mes deux élèves me persuade bientôt que ce n'est pas à son tribunal que je dois porter mes plaintes sur l'immoralité de ses enfants.
- Tu les as donc vu se foutre, mon ami, poursuit Moldane en me dardant sa langue dans la bouche ; et ce spectacle t'a fait frémir d'horreur ! eh bien, je te jure qu'il m'inspirerait, à moi, un bien autre sentiment ; et, pour t'en persuader, je te prie de me procurer ce délicieux tableau, le plus tôt que tu pourras. Mais, en attendant, Jérôme, il faut que je te prouve, d'une manière plus authentique encore, que mon libertinage égale au moins celui de mes enfants.
Et l'aimable conseiller, me courbant sur un canapé, m'examine longtemps le derrière, le baise avec luxure, et m'encule vigoureusement.
- A toi, Jérôme, me dit-il dès qu'il a fini ; tiens, voilà mon cul, mets-le moi.
Je lui rends ce que je viens d'en recevoir ; et le paillard termine la scène, en m'exhortant à laisser à mes élèves toute la liberté qu'ils désirent ; pour satisfaire aux intentions de la nature sur eux.
- Les gêner sur ce point, poursuit-il, serait une cruauté dont nous devons être tous deux incapables ; ils ne font aucun mal, pourquoi donc les contraindre ?
- Mais, dis-je alors à cet homme singulier, si j'avais les mêmes penchants à la lubricité, vous excuseriez donc, dans moi, les excès où je pourrais me livrer avec ces enfants ?
- N'en doute pas, me dit Moldane ; je n'aurais demandé que ta confiance et les prémices ; je t'avoue même que je croyais la chose faite ; je suis fâché que la rigueur de tes plaintes me prouve le contraire. Plus de pédantisme, mon cher, je t'y exhorte ; tu as du tempérament, je le vois ! livre-toi avec mes enfants à tout ce qu'ils t'inspirent, et procure-moi, dès demain, les moyens de les surprendre ensemble.
Je satisfais Moldane ; je le plaçai au trou que j'avais fait pour moi, en lui faisant croire que je venais de le pratiquer pour lui : le paillard s'y met pendant que je le fous. La scène fut délicieuse ; son imagination s'en alluma tellement, que le coquin déchargea deux fois.
- Je n'ai rien vu d'aussi divin, me dit-il en se retirant ; je n'y peux plus tenir, il faut absolument que je jouisse de ces deux beaux enfants. Préviens-les, Jérôme, que demain je veux me mêler à eux, afin d'exécuter tous quatre les plus voluptueuses postures.
- En vérité, monsieur, dis-je, en affectant une légère dose de pruderie que je crus nécessaire aux circonstances, je n'aurais jamais pensé que l'instituteur de vos enfants devînt l'individu chargé par vous de les flétrir et de les démoraliser.
- Voilà, me dit Moldane, comme tu saisis mal le véritable sens du mot morale. La vraie morale, mon ami, ne saurait s'écarter de la nature ; c'est dans la nature qu'est le seul principe de tous les préceptes moraux : or, comme c'est elle qui nous inspire tous nos écarts, il ne saurait y en avoir un seul d'immoral. S'il y a des êtres dans le monde dont la jouissance et les prémices me soient dévolus. je crois que ce sont bien ceux qui tiennent l'existence de moi.
- Eh bien, monsieur, dis-je en variant tout de suite mes idées, et ne renonçant momentanément à mes projets de vengeance que pour les rendre plus délicieux, oui, vous serez satisfait demain ; vos enfants seront prévenus, et nous pourrons nous livrer tous dans leurs bras à tout ce que le libertinage peut avoir de plus piquant au monde.
Je tins parole. Sulpice et Joséphine, un peu surpris de ce que je leur annonçais, promirent néanmoins la condescendance la plus entière aux fantaisies de leur papa, le plus profond secret sur tout ce qui s'était passé entre nous ; et la plus belle de toutes les journées vint éclairer la plus délicieuse des scènes.
Le local était le cabinet voluptueux dans lequel Moldane m'avait introduit déjà : une très jolie gouvernante de dix-huit ans, attachée depuis trois semaines à Joséphine, qui me parut dans la confiance et dans les bonnes grâces de Moldane, devait faire le service des bacchanales projetées.
- Elle ne sera pas de trop, me dit le conseiller ; tu vois comme elle est jolie, et je te la garantis aussi libertine qu'aimable. Tiens, poursuit Moldane en troussant Victorine par derrière, vois, mon ami : s'il est possible de trouver un plus divin cul !
- Il est beau, dis-je en le maniant ; mais je me flatte qu'après avoir vu celui de vos deux jolis enfants, ce ne sera plus à celui-ci que vous accorderez la préférence.
- Cela pourra bien être, me répondit Moldane ; mais, en attendant, je t'avoue que j'aime beaucoup celui-là, et il le baisait... le gamahuchait de tout son cœur.
- Allons, Jérôme, me dit-il enfin, va chercher nos victimes et amenez-les-moi nues. Suis Jérôme, Victoire ; va présider à cette toilette ; je vais, en vous attendant, me pénétrer des idées lubriques dont l'exécution doit embellir la scène... Je vais faire des projets, et nous exécuterons.
Victoire et moi nous passâmes chez les enfants ; ils nous attendaient. Des gazes, des rubans et des fleurs furent les seules parures dont nous les couvrîmes. Victoire se chargea du garçon, moi de la fille ; nous entrâmes. Moldane, sur un canapé entouré de glaces, nous attendait en se branlant.
- Tenez, monsieur, lui dis-je, voilà des objets dignes de votre luxure ; soumettez-les-y, sans pudeur ; qu'il ne soit pas une seule recherche libertine que vous ne mettiez en usage avec eux ; songez qu'ils sont trop heureux que vous les jugiez dignes de vous occuper un moment, et que c'est par la soumission la plus complète, la plus profonde résignation qu'ils se disposent à vous satisfaire.
Moldane n'y était plus ; sa respiration était pressée, il balbutiait, il écumait de luxure.
- Faites-moi détailler tout cela, Jérôme, me dit-il ; et vous, Victoire, venez branler mon vit, et que vos fesses soient toujours dans mes mains.
Je commence par Sulpice ; je l'approche de son père, qui ne peut se rassasier de le baiser, de le manier, de le sucer, d'accabler son vit et son cul des plus tendres caresses. Joséphine succède ; elle est reçue avec le même enthousiasme ; et les saturnales commencent.
Moldane, au premier acte, voulut que son fils enconnât Joséphine en levrette, étendu sur un canapé : sa fille, ainsi foutue, devait lui sucer le vit : il branlait d'une main mon membre, de l'autre l'anus de Victoire.
Au second, Sulpice encula sa sœur, je foutis Sulpice, et Moldane enconna sa fille, pendant que Victoire, accroupie sur lui, faisait baiser son joli cul.
Au troisième, Moldane me fit enconner sa fille, il l'encula, et Sulpice enculait Victoire sous nos yeux.
Dans le quatrième, j'enconnais Victoire, Moldane l'encula, son fils le foutait, et Joséphine, élevée sur nos épaules, faisait baiser et gamahucher à la fois, son con à moi, son derrière à Moldane.
Au cinquième, Moldane encula son fils, en baisant les fesses de Victoire ; je sodomisais sa fille sous ses yeux.
Au sixième, nous nous enchaînâmes tous ; Moldane enculait sa fille, j'enculais Moldane, Sulpice me foutait, et Victoire, armée d'un godemiché, sodomisait Sulpice.
N'ayant plus la force de bander au septième, nous nous suçâmes, Moldane était sucé par son fils, je suçais le jeune homme ; Joséphine me suçait ; de temps en temps je baisais ses fesses, et Victoire gamahuchait la charmante fille de Moldane, qui, par sa position, présentait son cul à baiser au maître ingénieux de ces voluptueuses orgies. Nous déchargeâmes encore tous pour la septième fois. Un goûter somptueux fut servi ; et, nos forces rendues, nous essayâmes encore quelques attitudes.
Moldane voulut nous réunir tous sur lui ; il encula sa fille, son fils le foutit, il gamahuchait Victoire, je suçais ses couilles. Des cris plus douloureux que lascifs annoncèrent sa défaite ; il déchargea le sang : on fut obligé de l'emporter.
- Mon ami, me dit-il en sortant, je te laisse maître de tout ; si, plus heureux que moi, la nature t'accorde de nouvelles forces, achève de les perdre avec ces trois charmantes créatures : tu me conteras demain tes plaisirs.
Victoire me faisait encore bandailler ; j'étais moins rassasié d'elle que des autres ; je l'enculai, foutu par Sulpice, et baisant le trou du cul de Joséphine ; j'en restai là ! j'étais excédé.
Dès que le foutre revînt bouillonner dans mes veines, je cessai mes anciens projets. Pardieu, me dis-je, je ne me serais jamais attendu à rencontrer un pareil père. De longtemps, avec un tel homme, je ne réussirai à me venger des plaisirs que ces deux enfants m'ont donnés. Je voulais les perdre, et, loin de les entourer de cyprès, je les ai couronnés de myrtes. Eh bien, continuai-je, essayons avec l'épouse de Moldane, ce qui n'a pu me réussir près de lui, et ne renonçons jamais surtout au rôle de traître qui me donne autant de plaisir.
Mme de Moldane, âgée de quarante ans, est une femme honnête, respectable ; pleine de religion et de vertus ; je lui dévoilerai les odieux dérèglements de son époux et de ses enfants ; j'en exige d'elle à la fois et le secret et la justice, et je réussirai sans doute... Il est pourtant un de ces individus que je ne voudrais pas perdre... Joséphine, non par amour, oh non, ce sentiment n'est pas fait pour approcher d'un cœur comme le mien ; mais Joséphine peut m'être nécessaire : je veux voyager ; je la mènerai avec moi ; je ferai des dupes avec elle, et je m'enrichirai de nos communes friponneries. Bien vu, Jérôme, bien vu ; la nature t'a gratifié, Dieu merci, de tout ce qu'il faut pour être un excellent coquin : remplissons ces vues, agissons.
Plein de ces idées, je vais trouver Mme de Moldane ; et, après lui avoir demandé le plus profond silence sur les choses que j'ai à lui dire, j'arrache le voile, et lui raconte tout.
- J'ai été contraint de prêter mon ministère à toutes ces horreurs, madame, poursuivis-je, j'étais menacé des peines les plus cruelles, si je n'obéissais : votre époux abusait de son crédit pour me forger des fers ; ma vie même était menacée, si je m'avisais de vous prévenir. Oh ! madame, mettez ordre à cela ; l'honneur, la nature, la religion et la vertu vous en font un devoir sacré. Retirez vos enfants du précipice où les désordres de leur père sont prêts à les plonger : vous le devez au monde, à Dieu, à vous-même ; tout retard deviendrait un crime.
Mme de Moldane, confondue, me supplie de la mettre à même de se convaincre, par ses propres yeux, des infamies dont je lui fais part : cela ne fut pas difficile. J'engage, quelques jours après, M. de Moldane à mettre le lieu de la scène dans la chambre de ses enfants ; je place son épouse au trou qui m'avait servi, qui avait servi à Moldane même ; et cette malheureuse femme put incessamment se convaincre de toutes vérités que je lui avais dites. Une migraine m'avait dispensé d'être de la partie. La sévérité de mœurs que j'affichais fut donc conservée tout entière aux yeux de l'épouse infortunée, qui ne vit de coupables que son mari et la gouvernante de ses enfants.
- Voilà des horreurs, monsieur, me dit-elle dès qu'elle eut vu le commencement... que je voudrais les avoir ignorées !
Ces paroles, sans que Mme de Moldane s'en doutât, me dévoilèrent la tournure de son esprit. Il ne m'en fallut pas davantage pour voir que c'était une femme timide, incapable de servir à la réussite de mes projets ; et ces réflexions me portèrent à changer aussitôt de batteries.
- Un moment, madame, interrompis-je brusquement ; souffrez que j'aille dire un mot à votre mari : il craint l'arrivée d'un importun, je vais le rassurer sur cette visite ; et, libre de ses actions, vous allez voir tout ce qu'il va se permettre.
Je sors.
- Mon ami, dis-je à Moldane en le tirant dans un cabinet voisin, nous sommes découverts ; vengeons-nous promptement. Votre femme, agitée de quelques soupçons sans doute, est entrée furtivement dans ma chambre, dont j'avais pourtant la clef dans ma poche : elle a écouté ; elle a aperçu la fente que vous connaissez ; elle y avait les yeux lorsque j'ai paru. « - Jérôme, m'a-t-elle dit, taisez-vous, ou je vous perds. » De grâce, Moldane, ne faiblissez pas, et prenons un parti violent : cette femme peut être dangereuse ; hâtons-nous de la prévenir.
Je ne m'apercevais pas à quel point mon récit enflammait Moldane : il bandait quand j'étais venu le troubler ; l'irritation du fluide nerval embrase aussitôt la bile ; l'incendie devient général ; et c'est le vit en l'air que Moldane, furieux, se précipite sur la cloison, l'enfonce, se jette sur sa femme et, sous les yeux de ses enfants, lui enfonce vingt coups de couteau dans le cœur. Mais Moldane, qui n'avait que la colère du scélérat, et non son énergie, s'effarouche de ce qu'il vient de faire : les cris, les larmes des jeunes créatures qui l'entourent achèvent de le troubler : je crus qu'il allait devenir fou.
- Sortez, lui dis-je, vous êtes un lâche ; vous frémissez de la seule action qui assure votre bonheur et votre tranquillité, que vos enfants vous suivent, que vos valets ignorent tout : dites dans la maison que votre femme vient de se retirer près d'une amie, chez laquelle des soins l'appellent pour quelques jours ; Victoire et moi, nous nous chargeons du reste. Moldane, égaré, sort ; ses enfants le suivent, et nous nous disposons à mettre ordre à tout.
Faut-il vous l'avouer, mes amis ?... Oui, sans doute : c'est de mon cœur tout entier dont vous désirez le développement ; je ne dois vous en rien cacher. Un feu subtil s'alluma d'ans mes veines à la vue de ce corps dont je venais de causer l'anéantissement : l'étincelle d'un caprice inconcevable, où vous me verrez bientôt livré plus amplement, s'alluma dans mon cœur en considérant cette malheureuse encore belle. Victoire m'offrait, en la déshabillant, les plus belles chairs qu'il fut possible de voir ; je bandai...
- Je veux la foutre, dis-je à la gouvernante de mes élèves.
- Mais elle n'éprouvera plus rien, monsieur.
- Que m'importe, sont-ce les sensations de l'objet qui me sert que je désire ? Non, certes : l'inertie de ce cadavre ne rendra les miennes que plus vive. N'est-ce pas d'ailleurs mon ouvrage ! En faut-il plus pour rendre délicieuse la jouissance que je projette !...
Et je me disposais... Mais l'ardeur de mes désirs effrénés trompa mes desseins ; trop d'impétuosité me perdit ; j'eus promptement recours à la main de Victoire qui fit éjaculer un sperme que je ne pouvais plus contenir ; elle en inonda les chairs inanimées de la belle épouse de mon patron. Nous reprîmes les soins qui nous occupaient ; à force d'eau, nous enlevâmes les traces du sang dont la chambre était inondée, et nous cachâmes le corps dans une banquette de fleurs qui régnait le long d'une terrasse voisine de mon appartement. Le lendemain, Moldane reçut une lettre supposée, par laquelle l'amie de sa femme l'avertissait que cette digne épouse venait de tomber malade chez elle, et qu'elle demandait Victoire pour la soigner ; celle-ci disparut, bien payée, promit le secret et tint parole. Au bout de huit à dix jours la prétendue maladie de Mme de Moldane eut l'air de devenir si grave, qu'il paraissait impossible de pouvoir la transporter chez elle. Victoire nous donnait des nouvelles ; Moldane et ses enfants étaient sensés y aller passer des journées presque entières ; enfin, la digne épouse expira ; nous portâmes le deuil. Mais Moldane n'avait ni la fermeté qui convient aux grands crimes, ni l'esprit nécessaire à calmer les remords : en déplorant son forfait il en détesta la cause ; il ne retoucha plus ses enfants, et me supplia de les faire revenir des erreurs où nos égarements venaient de les plonger. J'eus, comme vous l'imaginez bien, l'air d'approuver et de me charger de tout.
Je vis alors que, pour en venir à mon but, je devais encore changer mes moyens. Je m'emparai de l'esprit de Sulpice ; je lui représentai toute l'horreur du crime de son père.
- Un pareil monstre, lui dis-je, est capable de tout : ô mon ami ! poursuivis-je avec chaleur, tes jours même ne sont pas en sûreté ; je sais que dans ce moment-ci, seulement occupé d'anéantir les traces de son crime, il a fait enfermer Victoire... qu'il complote contre ta propre liberté, et que, pour mieux tout étouffer encore, quand il te tiendra dans quatre murs, il t'empoisonnera, ainsi que ta sœur... Fuyons, Sulpice, prévenons les nouveaux forfaits de cet homme féroce ; mais qu'il tombe avant sous nos coups. Si son action était découverte, il serait proscrit par les lois ; leur glaive s'appesantirait sur lui : soyons aussi juste qu'elles ; délivrons la terre de cet infâme coquin. Personne ne le sert que toi ; devenu farouche et sauvage, tous autres soins que les tiens lui deviennent suspects ; il croit voir le poignard de la vengeance dans les mains de tous ceux qui l'approchent. Saisis toi-même cette arme ; frappes-en le coupable ; satisfaits les mânes de la mère ; elles sont là ; elles voltigent au-dessus de ta tête ; et les cris déchirants de la victime se feront entendre aussi longtemps que le sacrifice expiatoire ne sera pas présenté par tes mains... Mon ami, je te regarde toi-même comme un monstre, si tu balances une minute : celui qui n'ose punir le crime quand il le peut, est aussi coupable, à mes yeux, que celui qui se le permet. Dans l'impossibilité d'une dénonciation qui ne serait pas reçue, il ne te reste d'autre part à prendre que d'agir toi-même ; presse-toi donc, te dis-je, ou tu n'es pas digne de vivre.
Quelques jours de pareilles insinuations enflammèrent bientôt la tête de ce jeune homme : je lui présente des poisons, il les saisit avec avidité ; et le nouveau Seïde se couvre bientôt du plus affreux forfait, en croyant servir la vertu.
Ne restant plus que des collatéraux très éloignés, on établit un conseil de tutelle, dont je sus tellement gagner la confiance, que je fus nommé gardien des effets, et maintenu dans l'éducation des enfants. Employé dans les affaires de la maison, toutes les sommes me passèrent par les mains. Ce fut alors que je conçus l'exécution du dénouement de mon projet.
Je crus que, pour y réussir, je n'avais pas d'autre parti à prendre, que d'employer sur l'esprit de Joséphine les mêmes moyens qui m'avaient aussi bien servi pour décider Sulpice à se débarrasser de son père.
- Vous n'avez plus, dis-je à cette jolie petite innocente... non, il ne vous reste plus pour être heureuse, d'autre part à prendre que de vous débarrasser de votre frère : je sais que dans ce moment-ci il complote contre vous ; et, qu'à dessein d'hériter seul de tout le bien, il propose de vous faire mettre pour le reste de vos jours dans un couvent. Il est temps de dévoiler à vos yeux, Joséphine, toute l'atrocité de ce personnage : lui seul est la cause de la mort de votre père et de votre mère ; lui seul a ourdi ces affreux complots ; lui seul en exécuta une partie ; vous serez bientôt sa victime aussi, vous êtes morte sous huit jours, s'il ne réussit pas à vous faire enfermer pour la vie... Faut-il vous dire plus ? Il m'a déjà demandé où se vendaient les venins qui peuvent abréger les jours d'un individu quelconque. Vous sentez bien que je ne le lui apprendrai pas ; mais il peut s'adresser à d'autres : prenons les devants ; il faut se venger de ceux qui trament contre nous il n'est certainement aucun mal à les prévenir. Ce poison que Sulpice demande, je vous l'offre, Joséphine ; vous sentez-vous la force d'en faire usage ?
- Oui, me dit mon élève, en déployant à mes yeux infiniment plus de caractère que je ne lui en aurais jamais supposé, je crois tout ce que tu me dis, Jérôme. De certains propos de Sulpice me prouvent que tu as raison, quand tu le crois l'auteur de la mort de mon père ; et je veux venger cette mort. Mais, Jérôme, faut-il l'avouer ? je t'aime et ne prendrai jamais d'autre époux que toi : tu as la confiance de nos tuteurs, demande-moi en mariage, je t'appuierai ; si l'on te refuse, emportons le plus d'argent que nous pourrons, et allons nous marier en Suisse ; songe que ce n'est qu'à cette condition que j'accepte le crime que tu me proposes.
Elle flattait trop mes progrès pour que je n'acceptasse pas sur-le-champ. Dès que Joséphine fut sûre de moi, elle agit ; ce fut l'histoire d'un déjeuner : elle servit elle-même du chocolat à son frère, dans lequel elle eut soin de jeter deux grains de napel que je lui avais donné. Sulpice creva le lendemain au milieu d'affreuses convulsions que Joséphine observa beaucoup plus courageusement que je ne l'aurais cru : la friponne ne quitta le chevet du lit de son frère que quand elle l'eut vu rendre l'âme.
Ô Jérôme ! m'écriai-je alors à part moi, ton triomphe est donc sûr, et tes perfides séductions viennent de porter enfin le trouble et la désolation dans la famille entière de ton unique ami, ton seul protecteur. Du courage, Jérôme ; ne restons pas en chemin quand il s'agit d'être criminel : il est à jamais perdu celui qui ne parcourt pas jusqu'au bout la carrière du vice, une fois qu'il y est entré. Je passai toute la nuit avec Joséphine ; la scélératesse dont elle venait de se couvrir, lui rendait à mes yeux tous les attraits qu'une longue jouissance lui avait fait perdre. Deux jours après je lui persuadai que je l'avais effectivement demandée en mariage, mais que l'extrême disproportion de nos rangs et de nos fortunes n'avait occasionné que des refus.
- Eh bien ! me dit Joséphine, partons ; car mes projets ne changeront pas ; je ne veux que toi pour époux ; je ne veux vivre que pour toi seul au monde.
- Ce que tu proposes est facile, dis-je à cette pauvre dupe ; voici une remise de cent mille écus, dont le conseil de tutelle vient de me charger pour acquérir une terre qui t'est destinée ; emportons cet argent et disparaissons.
- Je suis à toi, me dit Joséphine ; mais permets que je t'impose une condition.
- Quelle est-elle ?
- Que tu n'oublieras jamais les sacrifices que je te fais... que de tes jours tu ne m'abandonneras.
Et vous comprenez, mes amis, de quel ton de fausseté je dus prononcer des serments que j'avais si peu d'envie de tenir.
Nous disparûmes. Le septième jour de notre voyage, nous atteignîmes Bordeaux, où je crus que nous pouvions séjourner quelque temps, avant que de passer en Espagne, pays que Joséphine choisissait pour se mettre à couvert et consommer notre hymen. La saison devenant mauvaise, et prévoyant que nous ne pourrions guère franchir les monts avant le printemps, ma compagne me proposa de la terminer où nous étions.
- Mon ange, répondis-je à la chère innocente, la cérémonie que tu me proposes me paraît fort inutile ; il conviendrait, ce me semble, infiniment mieux à la prospérité de nos affaires, que nous passions pour frère et pour sœur que pour époux : nous aimons tous deux la dépense, et ce ne sera pas avec cent mille écus que nous pourrons subsister longtemps ; il faut que je te prostitue, Joséphine ; il faut que ce soient tes charmes qui nous fassent vivre.
- Oh ! mon ami, quel affreux projet.
- C'est le seul raisonnable à suivre ; c'est pour l'exécution de ce seul projet que j'ai consenti à t'enlever : l'amour est une chimère, mon enfant, il n'y a de réel que l'or ; il en faut gagner à tel prix que ce puisse être.
- Et voilà donc les sentiments que tu m'avais jurés !
- Connais-moi, Joséphine, il est temps ; sache que celui de l'amour n'approcha jamais de mon cœur ; je jouis des femmes, mais je les méprise ; je fais plus, je les déteste aussitôt que ma passion est assouvie ; je les tolère dans ma société quand elles sont utiles à ma fortune, jamais quand elles ne visent qu'au sentiment. N'en exige donc pas davantage, et rapporte-t'en à moi du soin de te nourrir : j'ai de la fausseté, du manège, de l'intrigue ; je veux te faire voler d'aventures en aventures, et te rendre, par mes conseils, la putain la plus célèbre qu'on ait jamais vue dans le monde.
- Moi, devenir putain !
- N'as-tu pas été celle de ton père, de ton frère... n'as-tu pas été la mienne ? En vérité, ta pudeur serait ici bien déplacée. Mais de profonds soupirs et des flots de larmes interceptèrent les douloureuses expressions que voulait proférer Joséphine : son accès de désespoir fut affreux ; et, quand elle me vit assez prononcé dans mon opinion pour ne pouvoir plus se flatter de m'en faire revenir, la malheureuse qui ne perdait pas au moins par cet arrangement l'espoir d'être toujours auprès de moi... de moi qu'elle avait la folie d'aimer encore, consentit à tout ; et nous nous établîmes en raison de ce divin projet.
Oui, divin, j'ose le dire ; en existe-t-il d'aussi agréable que celui d'assurer sa subsistance et son luxe sur la bonne foi et la crédulité des autres ? Il n'y a ni ouragan, ni dévastation à craindre dans des biens de cette nature ; et l'imbécillité des hommes, en tous les temps la même, assure à celui qui compte sur elle des trésors que ne lui rapporteraient même pas les mines du Pérou. Je me sentais les meilleures dispositions à bien conduire cette nouvelle barque ; Joséphine avait tout ce qu'il fallait pour en tenir le gouvernail ; et nous nous lançâmes.
Une maison délicieuse, beaucoup de valets, de chevaux, un excellent cuisinier, tout l'attirail, en un mot, de gens riches, nous amena bientôt des dupes. Un vieux négociant juif, aussi connu par ses richesses que par sa luxure, fut le premier qui se présenta : Joséphine lui fit beau jeu, et le marché fut promptement conclu ; mais le Crésus avait des fantaisies ; et, comme il donnait dix mille francs par mois pour les satisfaire, il exigeait de la soumission.
Voici quelle était la manie du brave descendant de Saül.
Abraham Pexoto voulait que deux jolies filles, qu'il avait attachées au service de Joséphine, la branlassent sous ses yeux dans un boudoir de glace, en lui faisant prendre pendant la séance huit ou dix attitudes différentes ; en face de l'opération, Pexoto se faisait polluer par deux charmants bardaches : au bout d'une heure de cette première scène, les gitons enculaient les femmes de chambre et Pexoto enculait les gitons. Suffisamment excité par ces préliminaires, sa maîtresse s'étendait tout de son long par terre, comme si elle eût été morte ; on attachait le juif par les mains et par le vit ; les deux garçons le promenaient ainsi deux ou trois fois tout autour du corps en criant : « Elle est morte, la garce, elle est morte, c'est toi qui l'as tuée » et les deux filles le suivaient à grands coups de verges. Alors le cousin germain de Jésus-Christ s'arrêtait un moment : « Eh bien, disait-il, relevez la donc puisqu'elle est morte. » On posait le corps toujours immobile sur le bord d'un canapé. Le juif enculait ; et, pendant qu'il travaillait à perdre son sperme dans l'anus de la prétendue morte, il fallait, pour hâter l'émission, que les deux petits Ganymèdes, en faisant baiser leurs culs, ne cessent de crier : « Eh, oui, oui ; elle est morte, il n'y a plus de secours », et que les deux suivants continuassent de déchirer, à grands coups de verges, le maigrelet fessier du lépreux.
Sur l'exposé de la fantaisie de cet homme, Joséphine versa quelques larmes ; mais, quand je lui eus représenté qu'elle était bienheureuse d'en être quitte à si bon marché, et que dans le métier qu'elle entreprenait il y avait souvent bien d'autres assauts que celui-là, que 120 000 livres de rentes annexées d'ailleurs à cette complaisance valaient bien la peine de s'y prêter, elle se soumit à tout. Pexoto amena lui-même les deux gitons et les deux soubrettes ; il en payait le logement et la nourriture à part et, dès le lendemain, le patron s'installa. Reconnu pour être le frère de Joséphine, il n'eut aucune jalousie et, pendant plus d'un an nous menâmes, au dépens d'Abraham, la vie du monde la moins israélite.
Au bout de cet intervalle, Joséphine crut s'apercevoir que son amant n'avait plus pour elle le même enthousiasme.
- Prévenons la satiété, m'écriai-je aussitôt ; puisqu'on ne peut plus compter sur Pexoto, tirons-en au moins ce que nous pourrons.
Je savais que le Juif, qui avait en moi une sorte de confiance, venait de recevoir en billets de caisse un payement de 1 500 milles livres. J'arrangeai les choses de manière qu'il ne trouva point Joséphine à la maison au moment où il était accoutumé de s'en servir.
- Où est ta sœur, Jérôme ? me dit-il, en ne la voyant pas.
- Monsieur, lui répondis-je, un gros sujet de chagrin vient de la conduire à l'instant chez vous ; elle a recommandé que si vous arriviez pendant ce temps-là, on vous servît de même à souper, et qu'elle reviendrait à l'instant. Mais, monsieur, la cause de son chagrin est bien vive ; elle était bien pressée de vous voir et de vous parler ; ne vous rencontrant pas, je crains bien qu'elle ne se porte à quelque action de désespoir.
- Voles-y, me dit Abraham, ne perds pas une minute ; si c'est de l'argent qu'il lui faut, voilà un blanc-seing sur mon caissier ; fais-y mettre la somme qui te sera nécessaire. 20, 30 000 francs, ne te gêne pas, mon ami ; je sais que tu es raisonnable, et qu'il te serait impossible d'abuser de ma confiance.
- Oh ! Monsieur.
- Pars, mon ami, dis-lui que je soupe et que je l'attends sans faute au dessert.
Tout était préparé, sans que le cher homme s'en doutât ; la maison louée, les meubles vendus, les valets congédiés ; et le souper qu'on lui servait était le dernier qu'il devait recevoir de nous. Une chaise de poste nous attendait aux Chartrons [Superbe quai de Bordeaux, où demeurent tous les négociants] ; Joséphine était dans cette voiture, et, le coup une fois fait, nous disparaissions de Bordeaux. J'arrive chez le Juif ; je parle aux commis dont je suis parfaitement connu.
- Le correspondant de M. Abraham, leur dis-je, est chez nous ; il demande sur-le-champ les fonds qu'il remit hier à votre patron ; voilà un blanc-seing, remettez-moi, je vous prie, le portefeuille sur-le-champ.
- Ah ! dit le premier commis, je sais ce que c'est : on m'avait prévenu qu'il y aurait quelque changement dans cette affaire ; mais j'ignorais que la conférence dût se passer chez vous. Tenez, voilà ce qu'il demande ; je vais mettre seulement au-dessus de la signature : « Remettez à M. Jérôme le portefeuille reçu hier. » N'est-ce pas cela ?
- Assurément.
- Bien votre valet, monsieur Jérôme.
- Votre serviteur, monsieur Isaac ; et me voilà dans la voiture.
Nous marchâmes huit jours sans arrêter ; et ce ne fut que sur les bords du Rhin que, nous croyant en sûreté, nous descendîmes, excédés, dans une mauvaise auberge, pour nous y reposer quelque temps.
- Eh bien ! mon ange, dis-je à Joséphine en venant de vérifier la somme, tu vois comme nos coups d'essai réussissent ; du courage, de l'effronterie, et nous serons bientôt à notre aise. Cette route est celle de Berlin ; c'est un bon pays que la Prusse ; un roi philosophe y règne ; volons-y : il vaut autant escroquer des barons allemands que des Juifs gascons ; et, de quelque part que nous vienne l'argent, quand il est pris, on peut être sûr qu'il porte bonheur.
- Ce ne sera pas, me dit Joséphine, quand tu le mangeras aussi vite comme nous le gagnons. Qu'ai-je eu, moi, de tout ce profit ? A peine quelques robes et quelques bijoux ; tu as dissipé le reste avec des gueuses et des bardaches : tes luxures, tes désordres en tous genres, ont été aussi énormes que tes escroqueries ; tu jouissais d'une telle réputation, qu'à supposer même que cette aventure ne nous eût pas contraints à quitter Bordeaux, la police nous en eût bientôt expulsés : tu ne t'es pas contenté de prendre les filles de bonne volonté ; tu en as battu, violé, molesté, et peut-être pis...
- Pis ? Ma foi, je le croirai, dis-je à Joséphine poursuis, mon cœur ; continue mon panégyrique ; il est, ce me semble, très parfaitement dans ta bouche.
- C'est qu'il est affreux...
- Ah ! grâce, je t'en supplie ; je ne t'ai pas pris pour me faire des mercuriales, mais pour servir mon avarice, ma luxure et mes fantaisies : ne perds jamais de vue l'autorité que tes crimes me donnent sur toi ; songe qu'en dénonçant ces crimes, je puis te faire pendre demain ; songe qu'en t'abandonnant à ton propre sort, en ne t'éclairant plus de mes conseils, devenue une petite raccrocheuse à vingt-quatre sous, tu périras bientôt de misère. Continue donc, Joséphine, d'être, avec soumission, et la complice et l'instrument de mes forfaits ; et souviens-toi que j'ai toujours deux pistolets dans ma poche pour te brûler la cervelle à la première désobéissance.
- Ô Jérôme ! je me croyais aimée de toi ; est-ce là ce que tu m'avais promis en me séduisant ?
- Moi, de l'amour pour une femme ; je te l'ai déjà dit mille fois, ma fille ; tu te tromperais, si tu me soupçonnais une telle faiblesse. A l'égard des moyens que j'ai employés pour te séduire, ce sont ceux de tous les suborneurs ; il faut tromper la bête qu'on veut prendre, et ce n'est pas pour rien qu'on graisse l'hameçon.
Joséphine pleura, et je ne la consolai point. Il n'y a personne au monde qui soit endurci comme moi aux jérémiades des femmes ; je m'en amuse souvent, et ne les partage jamais. Cependant, comme je bandais très ferme, que la route m'avait prodigieusement échauffé, et qu'il n'y avait rien là qui pût apaiser mes feux, je fis faire volte-face à ma compagne de route, et lui campai le vit dans le derrière, où je le promenai, jusqu'à ce qu'il eût eu le temps d'y lancer deux ou trois décharges.
Je déculais à peine, que nous entendîmes de grands coups de fouet dans l'auberge, qui nous annoncèrent l'arrivée d'un courrier : j'ouvre la porte. « Il est ici, il est ici, entends-je crier ; nous en sommes sûrs ; nous le suivons depuis Bordeaux. » A ce discours, Joséphine pensa s'évanouir ; pour moi, calme, comme je le fus toute ma vie dans le crime, je me contentai d'amorcer de frais ; puis, descendant, un de mes pistolets à la main.
- L'ami, dis-je au courrier, est-ce moi, par hasard, que tu cherches ?
- Oui, scélérat, me répond aussitôt le même Isaac qui m'avait remis le portefeuille de Pexoto ; oui, fripon, oui, c'est toi... toi, que je vais faire arrêter à l'instant.
- Imposteur exécrable, répondis-je alors avec fermeté ; essaie de l'entreprendre : patron, poursuivis-je en m'adressant à l'hôtelier, qu'on aille me chercher le juge du lieu, pour que je lui porte, à mon tour, toutes les plaintes que j'ai à faire contre ce drôle-là.
Isaac, interdit d'une contenance à laquelle il était loin de s'attendre ; Isaac qui, se confiant en ses propres forces, parce qu'il avait raison, et que j'avais tort, n'avait pris aucune précaution pour me prouver mon crime ; point d'ordres, point de procédures, point d'exempt ; Isaac, dis-je, changea de visage, et s'assit tranquillement auprès du feu, en disant : « - Nous allons voir. » Le juge arrive :
- Monsieur, dis-je, en prenant le premier la parole, voilà un fripon qui me doit cent mille écus ; il est, comme moi, négociant à Bordeaux. Lorsque j'ai été pour recevoir mes fonds, en lui disant le besoin que j'en avais pour le voyage que j'entreprends, il m'a refusé ; je l'ai poursuivi ; il s'est déclaré banqueroutier. J'ai réuni mes autres fonds, je suis parti. A peine ce scélérat m'a-t-il vu hors de la ville, qu'il a publié que les fonds que j'emportais occasionnaient sa chute, qu'une partie de ces fonds n'était même pas à moi, que je les escroquais, et il lui a pris, en raison de cela, fantaisie de me poursuivre : il arrive avec ce projet ; mais, ventredieu, je vous le déclare, monsieur le juge, il aura ma vie avant mon argent.
- Qu'avez-vous à répondre à cela, monsieur ? dit l'homme de loi à Isaac.
- Je réponds, dit le Juif, tout troublé de mon effronterie, que vous avez affaire au plus adroit filou qu'il y ait en Europe : mais j'ai tort : je suis parti comme un étourdi ; je n'ai pris nulles précautions ; c'est ma faute ; je repars : n'importe, que le coquin soit sûr de n'y rien gagner ; je vais me munir de ce qu'il faut et, une fois en règle, qu'il se tienne pour bien certain que je le poursuivrai jusqu'au fond des enfers ; adieu.
- Oh que non, double fils de putain, dis-je en saisissant Isaac au collet ; oh que non, tu ne repartiras pas ainsi ; puisque je te tiens, il faut que je tire de toi mon argent, ou au moins ce que tu as sur toi.
- Cela est juste, dit le Salomon qui présidait à cette scène : Monsieur dit que vous lui devez cent mille écus : il faut le payer.
- L'infâme calomniateur ! dit Isaac, en se mordant les lèvres, peut-on porter l'effronterie plus loin ?
- Petit neveu de Moïse, m'écriai-je, j'ai moins d'audace que vous ; je ne demande que ce qui m'est dû et vous osez réclamer ici ce qui ne vous appartint jamais.
Isaac fut généralement condamné. Obligé de vider ses poches, j'en tirai cinquante mille francs, et des lettres de change sur Berlin, pour les deux cent cinquante mille livres que je réclamais encore. Je payai largement le juge, l'hôtelier, les acolytes et, faisant mettre aussitôt les chevaux, nous nous éloignâmes, Joséphine et moi, d'une auberge où nous étions loin d'espérer une aussi lucrative aventure.
- Eh bien, me dit Joséphine, dès que nous commençâmes à galoper, je gage que je n'aurai pas encore un sou de cette prise-là : c'est pourtant mon cul qui t'a valu cette bonne fortune ; tu en sortais quand cet imbécile est venu se prendre au piège qu'il essayait de te tendre.
- Eh ! répondis-je à ma prétendue sœur, ne t'ai-je pas toujours dit que le cul portait bonheur ? Si, malheureusement, j'eusse enfilé ton con, j'étais pris.
- Enfin, qu'aurai-je ?
- Dix mille francs.
- Quelle somme ?
- Et quelle dépense as-tu donc à faire, Joséphine ? Des chiffons : moi, des culs, des vits : ah ! Joséphine, quelle différence !
Ces propos, et quelques autres semblables, nous amenèrent à Paderborn où nous parvînmes, sans avoir descendu nulle part, depuis notre rencontre avec Isaac.
La foire de Leipzig attirant beaucoup de voyageurs sur ces routes, nous trouvâmes les auberges si pleines à Paderborn, que nous fûmes obligés de partager une chambre avec un riche négociant de Hambourg, qui se rendait avec son épouse à la célèbre foire dont je viens de parler. Kolmark était le nom de ce marchand, dont la femme, âgée d'environ vingt ans, était la plus jolie créature qu'il fût possible de rencontrer au monde ; et, je l'avoue, cette délicieuse personne m'échauffa, pour le moins autant la tête, qu'une cassette très volumineuse que je leur vis enfermer avec soin dans une des armoires de notre chambre. Le désir de m'approprier l'un et l'autre objet devint tellement vif en moi, que je n'en fermai pas l'œil de la nuit. A raison d'une réparation à leur voiture, ces deux personnages devaient séjourner dans l'auberge, et, pour les suivre un peu de près, je prétextai quelques affaires, qui devaient également me retenir un jour à Paderborn. De ce moment, il devenait clair que, puisque nous avions trente-six heures à être réunis, il fallait nécessairement faire connaissance. Joséphine, prévenue par moi, devînt bientôt l'amie de sa compagne ; on déjeuna ensemble ; on y dîna, le soir on fut au spectacle ; et c'est au souper du retour que j'eus soin de préparer le piège dans lequel je voulais faire tomber l'une et l'autre victime. Kolmark avait fait les frais du dîner, il était juste que ceux du souper nous regardassent : ce motif me fit quitter la comédie de bonne heure, et j'arrivai seul à l'auberge, sous le prétexte de tout ordonner.
- Obligé d'aller prendre, à l'extrémité de la ville, un ami avec lequel je pars cette nuit pour Berlin, dis-je aux gens de la maison, je vais faire charger ma voiture tout de suite, et l'envoyer m'attendre chez mon compagnon de voyage.
Cette précaution paraît toute simple ; tous mes bagages se portent à la voiture ; je n'oublie pas d'y faire mettre, bien enveloppée, la cassette, qu'au moyen d'un passe-partout, je retire facilement de l'armoire où elle était serrée.
- Va, dis-je au postillon, dès que tout est prêt ; va m'attendre à la porte de Berlin ; j'y conduirai ma femme et mon ami, cela sera plus simple que d'arrêter près de sa maison ; tu pourras du moins boire en nous attendant ; un cabaret se trouve à cette porte, et il n'en est point à la sienne.
Tout s'arrange ; et ma voiture quittait à peine l'hôtellerie, quand Joséphine et nos deux dupes y rentraient. Le plus grand souper fut servi ; mais j'avais eu le soin de mêler aux jattes de fruits, déjà placées sur un buffet, une dose de stramonium, assez forte pour plonger dans le plus profond sommeil ceux qui goûteraient du mets où je l'avais amalgamé. Tout réussit à miracle : à peine Kolmark et sa femme ont-ils tâté de ce fruit fatal, qu'ils tombent dans une telle léthargie, qu'on peut leur faire tout ce qu'on veut, et les remuer de toute manière, sans qu'ils puissent s'en apercevoir.
- Tiens-toi prête, dis-je à Joséphine, dès que je les vis dans cet état ; tout est dehors ; la voiture nous attend ; j'ai la cassette ; prête-moi la main pour foutre cette femme dont la tête me tourne ; achevons ensuite de leur voler et portefeuilles et bijoux ; puis décampons avec autant de silence que de mystère et de promptitude.
J'approche de la Kolmark ; j'ai beau la trousser, lui presser les tétons, rien ne la réveille. Rassuré par cet état de stupeur, plus violent que je ne l'aurais soupçonné, je deviens très entreprenant ; Joséphine et moi nous la mettons nue. Dieu ! quel corps ! c'était celui de Vénus même.
- Ô Joséphine, m'écrié-je, jamais un crime ne me fit mieux bander que celui-là ! Mais il faut que je le perfectionne : je ne suis pas assez sûr de ma drogue, pour ne pas craindre leur réveil, il faut que je les foute tous les deux, et que je les tue en les foutant.
Je commence par la femme ; je l'enconne d'abord, je l'encule ensuite... pas un mouvement... pas l'ombre d'une sensation ; je lui remplis l'anus de foutre, et passe au mari. Kolmark, qui n'avait que trente ans, m'offrit un cul d'albâtre ; je le quitte, après quelques allées et venues, pour me rengloutir dans celui de la femme et, pendant que j'y suis, cette fois, je fais placer sur elle le corps de l'époux et, sur ce corps, les trois matelas de l'un des lits. Joséphine qui, par mon ordre, cabriole sur les matelas, les a bientôt étouffés tous les deux ; et je jouissais, et j'éprouvais, dans le cul de la femme, l'inconcevable volupté qui existe à procurer une mort violente à l'objet qui sert nos plaisirs. On n'imagine pas à quel point la contraction des nerfs de la victime sert la lubricité de l'agent ! Ô mes amis ! taisons ce secret ; il ne serait pas un seul libertin, s'il était connu, qui n'assassinât sa jouissance. L'opération terminée, nous plaçons avec soin les corps chacun dans leur lit ; et, nous étant emparés des montres, des portefeuilles et des bijoux, nous descendons, nous traversons l'auberge, dont personne n'est surpris de nous voir partir, parce que j'avais prévenu de tout.
- Vous laisserez dormir M. et Mme de Kolmark, disons-nous en passant ; ils vous prient de n'entrer chez eux qu'à midi : votre excellent souper, votre bon vin, tout cela leur a porté à la tête, et ils veulent se reposer longtemps ; nous en ferions sûrement de même sans les affaires qui nous chassent.
Et, cela dit, les dépenses, les valets, largement payés, nous nous retirons comblés des politesses de tout le monde, et volons d'une traite à Berlin, sans nous arrêter davantage. Ce ne fut que dans cette capitale de la Prusse, où nous reconnûmes que la cassette, remplie de pierreries, et les autres effets dérobés, s'élevaient à plus de deux millions.
- Oh Joséphine, m'écriai-je en vérifiant cette agréable prise, ne t'ai-je pas toujours dit qu'un crime assurait l'autre, et que le plus heureux des hommes sera toujours celui qui saura le plus en commettre ? Nous prîmes à Berlin le même établissement qu'à Bordeaux, et je m'y fis de même passer pour le frère de Joséphine.
Cette créature qui devenait chaque jour plus belle, ne tarda pas à faire des conquêtes ; et, comme elle était pénétrée de la nécessité de ne se fixer qu'à celles qui devaient rapporter beaucoup, le premier homme qu'elle tâche de captiver fut le prince Henri, frère du roi [Ce n'est qu'en 1760 que notre voyageur vit cette cour, et ce n'est que de ce temps-là qu'il parle]. Il est bien peu de gens qui ne connaissent, au moins de réputation, l'esprit, la gentillesse et le libertinage de cet aimable prince. Henri, plus amateur des hommes que des femmes, ne se fixait jamais qu'à celles dont il croyait pouvoir tirer des secours dans les égarements qu'il chérissait.
- Bel ange, dit-il à Joséphine, il faut, avant de nous lier, que je vous explique mes passions ; elles sont aussi vives que singulières. Je dois vous prévenir d'abord que je fêterai peu dans vous les attraits de votre sexe : jamais je ne me sers de femmes ; je les imite, mais je les déteste. Voici donc quelle sera votre conduite pour servir ma lubricité : je vous ferai connaître beaucoup d'hommes ; vous attaquerez tous ceux que je vous présenterai. Voilà, poursuivit le prince en remettant à Justine un godemiché de treize pouces de long, sur neuf de tour, voilà la taille que j'emploie ; quand vous me découvrirez des vits de cette tournure, vous me les fournirez. Une fois à l'opération, vous serez revêtue d'une simarre, couleur de chair, qui ne laissera paraître que votre cul, le reste sera impénétrable à mes yeux ; vous préparerez les vits qui m'entreront dans le derrière, vous les y insinuerez vous-même, vous exciterez l'homme pendant qu'il agira, et, pour remerciements, lorsque j'aurai été bien foutu, je vous ferai tenir par ces mêmes hommes, et vous appliquerai quatre cents coups de fouet. Ce ne sera pas tout, ma belle amie ; il faudra que vos féminins appas soient soumis à de plus grandes profanations. Le fouet reçu, vous vous mettrez absolument nue ; vous vous coucherez à terre, les jambes écartées ; tout les hommes qui m'auront passé sur le corps, vous chieront dans le con et sur la gorge. En revenant de l'opération, ils me feront toucher le trou de leur cul ; ce que j'exécuterai avec la langue. Cela fait, je m'accroupirai sur votre bouche ; vous l'ouvrirez la plus grande possible, je chierai dedans : un de mes hommes me branlera ; mon foutre partira en même temps que mon étron ; c'est la seule façon dont je décharge.
- Et quels sont, dit Joséphine, les émoluments que monseigneur accorde à d'aussi désagréables services ?
- Vingt-cinq mille francs par mois, dit le prince, et je paie tous les accessoires.
- Ce n'est assurément pas trop, répondit Joséphine, mais l'honneur de votre protection nous tiendra lieu du reste, et je suis aux ordres de monseigneur.
- Quel est ce garçon que vous appelez votre frère ? poursuivit le prince.
- Il l'est effectivement, répondit Joséphine, et la similitude de ses goûts aux vôtres pourrait peut-être le rendre utile à vos plaisirs.
- Ah ! il est bougre ?
- Oui, monseigneur.
- Vous encule-t-il ?
- Quelquefois.
- Ah ! parbleu, je veux voir cela.
Et Joséphine, m'ayant fait appeler, le prince, pour me mettre sur le champ à mon aise, déboutonna ma culotte et me branla le vit.
- Voilà, dit-il, un fort bel engin ; il n'est pas tout à fait de la taille de ceux dont je me sers, mais il doit être beau à voir en œuvre ; sa décharge peut être brillante.
Et ayant fait coucher Joséphine à plat-ventre, il introduisit mon vit dans le cul de cette fille le plus adroitement du monde. A peine y fus-je, qu'il passa derrière moi et, rabattant mes culottes sur mes talons, il mania mon cul, l'entrouvrit, le gamahucha, y fit pénétrer son vit de quelques lignes ; se retirant ensuite, il se remit à contempler mes fesses, en m'assurant qu'il les trouvait fort de son goût.
- Pourriez-vous chier en foutant ? me dit-il ; c'est une chose délicieuse pour moi, que de voir chier un homme pendant qu'il fout un cul, on n'imagine pas combien cette petite infamie échauffe ma lubricité ; c'est qu'en général j'aime fort la merde, j'en mange même, tel que vous me voyez : les sots ne conçoivent pas cet écart ; il y a des passions qui ne sont faites que pour les gens d'un certain ordre. Eh bien, chierez-vous ?
Ma réponse fut un des plus fameux étrons que j'eusse pondu de ma vie. Henri le reçut en entier dans sa bouche ; et le sperme, dont il m'arrosa les cuisses, devint le témoignage le plus certain du plaisir que je venais de lui faire. Il en avait fait autant de son côté : et, quand il me vit disposé à nettoyer la place :
- Non, me dit-il en m'arrêtant, c'est l'ouvrage des femmes.
Et Joséphine fut obligée d'enlever cela avec ses mains ; il la regardait faire, et paraissait jouir de l'humiliation où il la réduisait.
- Elle a un assez beau cul, disait-il en le lui claquant, je crois qu'elle sera bonne à fouetter : je l'étrillerai très fort, je vous en préviens, mais j'espère que cela vous sera égal.
- Oh ! parfaitement, monseigneur, je vous jure ; Joséphine est à vous et se trouvera toujours honorée de ce qu'il vous plaira de lui faire.
- C'est qu'il ne faut pas ménager les femmes, en lubricité ; on gâte absolument ses plaisirs, quand on ne sait pas les mettre à leur place, et, tant qu'on les élève, elles n'y sont pas.
- Monseigneur, dis-je, au prince, une chose me surprend en vous : c'est la manière dont vous soutenez l'esprit du libertinage, même après que ce qui lui prête des forces est éteint.
- C'est que mes principes sont sûrs, me répondit cet homme plein d'esprit ; c'est que je suis immoral par système ; et non par tempérament : l'état de force ou de faiblesse dans lequel je puis être, ne contribue nullement aux dispositions de mon esprit ; et je me livre aussi bien aux derniers excès de la luxure, en venant de décharger, qu'avec du sperme de six mois dans les couilles.
Je voulus ensuite témoigner quelque surprise au prince, sur le genre de plaisir crapuleux auquel je le voyais livré.
- Mon ami, me répondit-il, c'est qu'il n'y a que cela de bon en libertinage ; plus le goût qu'on chérit est sale, plus il doit naturellement exciter. A mesure que l'on se blase sur ses goûts, on les raffine ; il est donc tout simple d'arriver ainsi au dernier point de la corruption réfléchie. Tu trouves mes goûts bizarres, et moi je les trouve trop simples ; je voudrais faire bien pis. Je passe ma vie à me plaindre de la médiocrité de mes moyens. Aucune passion n'est exigeante comme celle du libertinage, parce qu'il n'en est aucune qui chatouille, qui pique, agace aussi vivement le genre nerveux, aucune qui porte dans l'imagination un incendie plus considérable ; mais il faut, en s'y livrant, oublier tout à fait la qualité d'homme civilisé ; ce n'est que comme les sauvages, et à la manière des sauvages, que l'on doit se vautrer dans le bourbier de la luxure : si l'on se rappelle ses forces, ou les faveurs de la fortune, ce ne doit être que pour en abuser.
- Oh ! monseigneur, voilà des maximes qui sentent furieusement la tyrannie... la férocité.
- Mais le véritable libertinage, dit le prince, doit toujours marcher entre ces deux vices ; rien n'est aussi despote que lui ; et voilà pourquoi cette passion n'est vraiment délicieuse que pour ceux qui, comme nous autres princes, sont revêtus de quelque autorité.
- Vous concevrez donc du plaisir à abuser de cette autorité ?
- Je vais plus loin ; j'affirme qu'elle n'est agréable que par l'abus qu'on a l'esprit d'en faire. Mon ami, tu me parais assez riche, assez bien organisé, pour que je te révèle sur cela les mystères du machiavélisme. Souviens-toi que la nature même a voulu que le peuple ne fût, dans les mains du monarque que la machine de son autorité ; qu'il n'est bon qu'à cela ; qu'il n'est créé faible et bête que pour cela ; et que tout prince qui ne l'enchaîne et ne l'humilie pas pèche décidément contre les intentions de la nature. Quel est alors le fruit de la nonchalance du souverain ? Un déchaînement universel, tous les crimes hébétés de l'insurrection populaire, l'avilissement des arts, le mépris des sciences, la disparition du numéraire, le surhaussement excessif des denrées, la peste, la guerre, la famine, et tous les fléaux que ces malheurs entraînent. Voilà, Jérôme, voilà ce qui attend un peuple qui secoue le joug ; et s'il existait un être souverain au ciel, son premier soin serait de punir, sois-en sûr, le chef assez imbécile pour avoir cédé sa puissance.
- Mais cette puissance dis-je, n'est-elle pas dans la main du plus fort ? et le peuple en masse n'est-il pas le seul souverain ?
- Mon ami, le pouvoir de tous n'est qu'une chimère ; il ne résulte aucun effet d'une multitude de forces discordantes : tout pouvoir disséminé devient nul ; il n'a d'énergie qu'en le concentrant. La nature n'a qu'un flambeau pour éclairer le monde ; chaque peuple, à son exemple, ne doit avoir qu'un maître.
- Mais pourquoi le voulez-vous tyran ?
- Parce que l'autorité lui échappe s'il est débonnaire ; et je viens de te peindre tous les malheurs qui résultent de l'autorité qui s'échappe. Un tyran vexe quelques hommes ; voilà de sa tyrannie des résultats bien médiocres : un prince mou laisse changer l'autorité de mains ; et voilà des malheurs affreux.
- Ah ! monseigneur, dis-je en baisant les mains de Henri, que j'estime ces principes dans vous, chaque homme, en les admettant, peut se flatter de despotiser dans sa classe ; il n'est qu'esclave et vil, s'il veut usurper le pouvoir des grands.
Le prince de Prusse, singulièrement satisfait de moi, me laissa vingt-cinq mille francs pour gages de sa bienveillance, et ne quitta presque plus notre maison. J'aidais ma sœur à lui trouver des hommes ; et, pas tout à fait aussi difficile que lui, je m'accommodais à merveille de ce dont il ne voulait pas : aussi puis-je certifier avec raison que, pendant deux ans que dura notre séjour dans cette ville, il me passa au moins plus de dix mille vits dans le derrière. Il n'y a point de pays dans le monde où les soldats soient aussi beaux et aussi complaisants ; et, pour peu qu'on sache s'y prendre, on en a tant, qu'on est obligé d'en refuser.
Nous n'étions pas tellement gênés, que nous ne puissions mystérieusement associer quelques seigneurs de la cour aux plaisirs du prince Henri ; et le comte de Rhinberg partagea longtemps les faveurs de la maîtresse du frère de son maître, sans que qui que ce fût s'en doutât. Rhinberg, aussi libertin que Henri, l'était pourtant dans un autre genre ; il foutait Joséphine en con, pendant que deux femmes l'étrillaient à tour de bras, et qu'une troisième lui pissait dans la bouche. Par une suite de caprice fort extraordinaire, Rhinberg ne déchargeait pas dans le con qu'il avait fêté ; celui qui lui avait pissé dans la bouche était toujours sûr de recevoir son hommage : et de même qu'il fallait que celui qui l'excitait fût jeune et joli, raison qui lui avait fait choisir celui de Joséphine ; de même, il était essentiel que celui où il terminait sa besogne fût vieux, laid, et puant. Celui-là changeait tous les jours ; il resta dix-huit mois attaché à l'autre ; et peut-être l'aimerait-il encore sans l'événement qui me fit quitter Berlin, et dont il est temps que je vous entretienne.
Je m'apercevais depuis quelque temps de deux choses qui me donnaient des inquiétudes, et qui furent cause du parti que je pris de m'éloigner de Berlin. Cependant, je balançais encore, lorsque la proposition qui me fut faite acheva de me déterminer.
La première des choses que j'entrevis, fut le refroidissement certain du prince de Prusse pour Joséphine : au lieu de venir tous les jours, à peine le voyait-on deux fois la semaine. L'inconstance est la suite des passions outrées ; comme on s'y abandonne avec excès, on s'en lasse nécessairement plus vite.
La seconde chose qui redoubla mon inquiétude fut de voir que, sans m'en douter, Joséphine m'échappait aussi. Elle aimait un jeune valet de chambre de Henri, qui s'était souvent amusé devant elle avec le prince, et je craignis qu'elle n'en vînt insensiblement à secouer tout à fait mes chaînes. Voilà où j'en étais, lorsque la proposition dont je viens de parler me fut faite. Telles étaient les expressions du billet qui la contenait :

« On vous propose cinq cents mille francs pour livrer Joséphine, en vous prévenant que c'est pour l'exécution d'un caprice qui lui ravira le jour. L'autorité de celui qui vous parle ainsi est telle que, si vous dites un mot, vous êtes un homme perdu ; si, au contraire, vous acceptez, demain à midi la somme promise sera chez vous, et, de plus, cinq cents florins pour votre voyage ; une des conditions du marché étant que vous quitterez la Prusse dès le jour même. »

Voici ma réponse :

« Si j'étais mieux connu de celui qui me fait une telle proposition, il aurait évité le ton de la menace. J'accepte tout sous une seule clause ; c'est d'être témoin du supplice préparé pour ma sœur, ou de savoir au moins de quelle nature il doit être. Au reste, il me paraît essentiel que l'on sache que Joséphine est grosse de trois mois. »

On me répondit :

« Vous êtes un homme charmant ; vous emportez de Berlin l'estime et la protection de celui qui vous parle. Vous ne pouvez pas être témoin du supplice ; contentez-vous de savoir qu'il durera vingt heures ; et qu'il n'existe aucun exemple dans le monde de la rigueur et de la violence du tourment, aussi nouveau qu'extraordinaire, par lequel on lui ravira lentement le jour. Un homme de l'art ira demain constater sa grossesse ; et, si elle est vraie, vous aurez cent mille francs de plus. Adieu ; ne revenez jamais à Berlin ; mais souvenez-vous que, telle part où vous soyez, une main puissante vous protégera. »

Ce soir-là les portes de la maison furent fermées de très bonne heure, et je voulus me donner la barbare jouissance de souper et de coucher pour la dernière fois avec Joséphine. Je ne l'avais jamais foutue avec tant de plaisir. Oh ! le superbe corps, me disais-je ! quel dommage que de tels attraits soient dans peu la pâture des vers ! et ce crime sera mon ouvrage ; il le sera sans doute, puisque, pouvant la sauver, je la livre. Il faut avoir ma tête, mes amis, pour comprendre à quel point de pareilles idées font dresser le vit. Joséphine fut foutue de toutes les manières ; et chacun des temples où je sacrifiais excitait en moi de nouvelles réflexions, toutes néanmoins à peu près de la même teinte. Oh ! mes amis, je puis le dire avec vérité, non, il n'est aucune jouissance dans le monde qui soit comparable à celle-là : mais, à qui le dis-je, grand Dieu ! et qui doit le savoir mieux que vous !
Le lendemain, le médecin parut : je dis à Joséphine qu'il venait de la part du prince, qui, ayant appris sa grossesse, lui faisait offrir des secours, Joséphine commença par nier le fait : mais convaincue par l'examen, elle avoua tout, en suppliant l'homme de l'art de ne la compromettre en rien. Celui-ci promit tout ce qu'on voulut, et n'en dressa pas moins un procès-verbal, par lequel il déclarait qu'au moyen de son examen et des réponses de Joséphine, elle devait être à la fin de son quatrième mois. Me priant ensuite de l'écouter un moment en secret :
- Voilà, me dit-il, les six cent mille francs que je suis chargé de vous remettre ; et les cinq cents florins pour votre route : je viendrai moi-même chercher votre sœur ce soir ; qu'elle soit prête ; et vous, monsieur, que le soleil levant ne vous retrouve pas dans Berlin.
- Comptez sur ma parole, monsieur, répondis-je, en lui présentant dix mille francs, qu'il refusa ; mais de grâce, expliquez-moi tout ce que vous pourrez de cette circonstance singulière ; vous savez sans doute ce qu'on veut faire de ma sœur.
- La victime d'un meurtre de débauche, monsieur, je crois pouvoir vous le révéler, parce qu'on m'a dit que vous étiez au fait.
- Et sera-t-il bien cruel ?
- C'est une nouvelle expérience, dont les angoisses sont d'une telle énergie que le sujet s'évanouit à chaque reprise, et qu'il reprend nécessairement ses sens, dès que l'on arrête.
- Et le sang coule-t-il ?
- Très en détail : c'est ce qu'on appelle une réunion de douleurs ; toutes celles dont la nature afflige l'humanité sont imitées dans ce supplice, tiré du manuel des inquisiteurs de Goa.
- A en juger par les sommes que je reçois, l'acquéreur est un homme riche.
- Je l'ignore, monsieur.
- Dites-moi seulement si vous croyez qu'il connaisse Joséphine.
- Je n'en saurais douter.
- Charnellement ?
- Je ne le crois pas. Et mon homme sortit sans vouloir proférer une parole de plus.
Quelques instants avant, je fus prévenir Joséphine du désir qu'on avait de la posséder seule. Elle frissonna :
- Pourquoi donc ne m'accompagnes-tu pas ? me dit-elle en m'accablant de caresses.
- Je ne le puis.
- Oh, mon ami, mes pressentiments sont affreux ; je ne te reverrai peut-être jamais !
- Quelle extravagance ! Oh ! Joséphine, on vient ; du courage.
Et l'homme de l'art lui ayant présenté la main pour descendre, je l'embarquai, de concert avec lui, dans une voiture anglaise qui la fit bientôt disparaître à mes regards, non sans jeter toute mon existence dans un trouble voluptueux qu'il est plus facile de sentir que de peindre.
La première fois qu'on se trouve seul après avoir été deux très longtemps, il semble qu'il manque quelque chose à l'existence. Les sots prennent cela pour les effets de l'amour ; ils se trompent. La douleur éprouvée par ce vide n'est que l'effet de l'habitude, qu'une habitude contraire dissipe plus promptement qu'on se l'imagine. Le second jour de ma route, je ne pensais déjà plus à Joséphine, ou si son image se représentait à mes yeux, c'était avec des symptômes d'une sorte de plaisir cruel, bien plus voluptueux que ceux de l'amour ou de la délicatesse. Elle est morte, me disais-je, morte dans d'affreux tourments, et c'est moi qui l'ai livrée. Cette délicieuse pensée excitait alors de tels mouvements de plaisir en moi, que j'étais souvent obligé de faire arrêter pour enculer mon postillon.
J'étais dans les environs de Trente, absolument seul dans ma voiture, et dirigeant mes pas vers l'Italie, lorsqu'une de ces crises de tempérament me prit, au même instant où j'entendis des cris plaintifs dans la forêt que nous traversions. « Arrête, dis-je au postillon ; je veux connaître la cause de ce bruit ; ne t'écarte pas, et soigne ma voiture. » Je m'enfonce, le pistolet à la main, et je découvre enfin dans un taillis une fille de quinze ou seize ans, qui me parut d'une rare beauté.
- Quel malheur vous afflige, ma belle demoiselle ? dis-je en l'abordant ; est-il possible d'y porter remède ?
- Oh ! non, non, monsieur, me répondit-on, il n'en fut jamais aux flétrissures de l'honneur ; je suis une fille perdue ; je n'attends que la mort, et je vous la demande.
- Mais, mademoiselle, si vous daignez me raconter...
- Le fait est aussi simple que cruel, monsieur. Un jeune homme devient amoureux de moi ; cette liaison déplaît à mon frère ; le barbare abuse de l'autorité que la mort de nos parents lui donne ; il m'enlève, et, après m'avoir horriblement maltraitée, il me perd dans cette forêt en me défendant, sous peine de la vie, de jamais reparaître à la maison : ce monstre est capable de tout ; il me tuera si j'y rentre. Oh ! monsieur, je ne sais que devenir. Cependant, vous m'offrez vos services... eh bien, je les accepte. Daignez m'aller chercher mon amant ; faites cela, monsieur, je vous en conjure. Je ne sais quel est votre état, ni votre fortune ; mais mon amant est riche, et si des sommes vous étaient nécessaires, je suis bien sûre qu'il les donnerait pour me ravoir.
- Où est-il, cet amant, mademoiselle ? dis-je avec chaleur.
- A Trente, et vous n'en êtes pas à deux lieues.
- Se douterait-il de votre aventure ?
- Je ne crois pas qu'il la sache encore.
Et ici je vis bien que cette belle fille, actuellement sans aucune défense, serait à moi quand je voudrais ; mais, aussi envieux d'argent que de femmes, je me mis à combiner sur-le-champ comment je m'y prendrais pour avoir à la fois l'un et l'autre. Croyez-vous, dis-je d'abord à cette infortunée, qu'il y ait quelque maison dans les environs de la partie du bois où nous sommes ?
- Non, monsieur, je ne le crois pas.
- Eh bien, enfoncez-vous encore plus dans le taillis ; n'y faites pas le moindre mouvement ; transcrivez sur ces tablettes, avec mon crayon, les trois lignes que je vais vous dicter, et dans peu d'heures je vous amène votre amant.
Voici les mots que la belle aventurière écrivit sous ma dictée :

« Un brave inconnu va vous mettre à même de vous convaincre de mes malheurs ; ils sont affreux. Suivez-le, il vous mènera où je vous attends ; mais venez seul, absolument seul ; cette recommandation est essentielle ; vous saurez bientôt ce qui la motive. Si deux mille sequins ne vous paraissent pas une trop faible récompense pour l'homme qui nous réunit, apportez-les pour les lui remettre devant moi ; vous en apporterez davantage, si vous trouvez la récompense trop médiocre. »

La belle opprimée, qui se nommait Héloïse, signa le billet ; et moi, regagnant promptement ma voiture, j'engage le postillon à faire diligence, et le fais arrêter à la porte même du jeune Alberoni, amant d'Héloïse. Je lui présente le billet.
- Deux mille sequins ! s'écrie-t-il en m'embrassant, deux mille sequins pour savoir des nouvelles de tout ce que j'ai de plus cher au monde ! oh ! non, non, monsieur, ce n'est point assez, voilà le double. Partons, je vous en conjure. Je venais d'apprendre le départ de celle que j'aime, la colère de son frère, et ne savais où porter mes pas pour les rejoindre ; vous m'instruisez, que ne vous dois-je pas ? Partons, monsieur, et partons seuls, puisqu'elle l'exige.
Ici, j'arrêtai quelques moments la précipitation de ce jeune homme, pour lui faire observer qu'après l'acharnement du frère d'Héloïse, ce ne devait pas être à Trente qu'il devait ramener cette belle fille. Prenez avec vous le plus d'argent que vous pourrez, lui dis-je ; sortez du territoire de cette ville, et liez-vous pour jamais à celle que vous aimez. Réfléchissez-y bien, monsieur ; mais une conduite contraire vous la fait perdre pour toujours.
Alberoni, pénétré de mes raisonnements, me remercie, et, ouvrant son cabinet avec précipitation, il prend sur lui tout ce qu'il a d'or et de bijoux.
- Partons, maintenant, me dit-il ; j'ai de quoi la faire vivre un an avec éclat, dans telle ville d'Allemagne ou d'Italie que ce puisse être ; et pendant l'intervalle d'un an on peut arranger bien des affaires.
Content de cette sage résolution, je l'approuve ; je fais mettre ma voiture à l'auberge, malgré les insistances d'Alberoni, qui voulait absolument qu'elle restât chez lui. Nous volons.
Héloïse n'avait pas bougé. « Homme imprudent, dis-je à Alberoni, en lui appliquant le bout d'un pistolet sur la tempe, et sans lui donner le temps de prononcer un mot, comment as-tu pu faire la bêtise de confier à la fois aux mains d'un homme que tu ne connais pas, et ta maîtresse et ton argent ? Dépose promptement celui dont tu es chargé, et va porter au sein des enfers l'éternel remords de ton imprudence. » Alberoni veut faire un mouvement ; je l'étends à mes pieds. Héloïse tombe évanouie.
Oh ! sacredieu, me dis-je alors, me voilà donc, par le plus délicieux des crimes, maître d'une fille charmante et d'une bonne somme ; amusons-nous maintenant. D'autres que moi eussent peut-être profité de l'évanouissement de leur victime pour en jouir avec plus de calme : je pensais bien différemment. J'eusse été désolé que cette malheureuse n'eût pas eu la possession de tous ses sens, afin de mieux goûter son infortune. Ma perfide imagination lui préparait d'ailleurs quelques épisodes, dont je voulais lui faire avaler le calice jusqu'à la lie. Quant on fait tant que de commettre le mal, il faut que ce soit avec toute l'extension, tout le raffinement dont il est susceptible.
Je fis respirer des sels à mon Héloïse ; je la souffletai ; je la pinçai. Rien ne parvenant à la réveiller, je la troussai, je lui chatouillai le clitoris, et ce fut à cette sensation voluptueuse que je dus son retour à la lumière.
- Allons, belle enfant, lui dis-je alors, en lui appliquant un baiser de feu sur la bouche, un peu de courage ; il en faut pour soutenir la fin de vos malheurs ; vous n'êtes pas au bout.
- Oh ! scélérat, me dit cette intéressante fille en pleurant, que prétends-tu donc encore ? et quels nouveaux supplices me sont préparés ? n'est-ce point assez d'avoir abusé de ma confiance pour me priver de tout ce que j'aime ? Ah ! si ce n'est que la mort dont tu me menaces, presse-toi de me la donner ; hâte-toi de me réunir à l'objet adoré de mon cœur ; je te pardonne ton crime à ce prix.
- La mort que tu désires, mon ange, dis-je, en commençant à palper ma belle, aura lieu très certainement ; mais il faut qu'elle soit précédée de quelques humiliations, de quelques cruautés, sans lesquelles j'aurai bien moins de plaisir à te la donner.
Et comme, en disant cela, mes mains, qui fourrageaient toujours, offraient à mes regards avides des cuisses d'une rondeur, d'une blancheur éblouissantes, je fis trêve aux discours pour ne plus m'occuper que des actions. La certitude où j'étais des prémices d'une aussi belle fille, me fit penser à un genre d'attaque qui peut-être sans cela ne me serait jamais venu dans l'esprit. Dieu ! que d'étroit, de difficultés, de chaleur, et que de plaisir me donna cette victoire ! la manière dont je l'arrachai y prêtait encore plus de sel. Une gorge d'albâtre se présente à moi ; et, plus décidé aux insultes qu'aux caresses, dans l'état où je suis, je la mords, je la pressure, au lieu de la baiser. Ô merveilleux effet de la nature ! Héloïse, singulièrement servie par elle, cède malgré sa douleur aux impressions du plaisir que je la contrains d'éprouver ; elle décharge. Il n'est rien au monde qui allume plus fortement en moi le sentiment de la colère lubrique, comme de sentir une femme partager mes plaisirs.
- Infâme putain ! m'écriai-je, tu vas être punie de ton audace. Et, la retournant avec précipitation, je me rends maître du plus charmant derrière qu'il fût possible de voir. Une main écarte des fesses, l'autre conduit mon vit, et je sodomise à l'instant. Dieux ! quel plaisir elle me donna ! Je lui faisais mal ; elle voulut crier, je lui mis un mouchoir sur la bouche. Cette précaution dérangea l'entreprise, mon engin glissa. Je conçus qu'il fallait relever ma victime, et l'appuyer sur quelque chose. Je la couche sur le cadavre de son amant, et les réunis si bien par l'attitude que je leur fais prendre, que leurs bouches se trouvent, pour ainsi dire collées l'une sur l'autre. On ne se peint point d'effroi, l'horreur, le désespoir où ce nouvel épisode plonge ma victime. Peu touché des différents mouvements qui la déchirent, je fais une corde de mes jarretières et de mon mouchoir ; je la fixe dans cette position, et me remets tranquillement à l'ouvrage. Dieux ! quelles fesses ! quel embonpoint ! que de blancheur ! Mille et mille baisers se collent sur elles ; il semble que je veuille dévorer ce beau cul avant que de le foutre. Je le perfore enfin, mais avec une telle rapidité, si peu de précaution, que le sang coule sur les cuisses. Rien ne m'arrête ; je suis au fond ; je voudrais qu'elle fût plus étroite, et moi bien plus gros pour la tourmenter davantage. « Eh bien ! petite garce, dis-je en la limant de toutes mes forces, cette seconde jouissance te fera-t-elle décharger comme l'autre ? » Et je claquais vigoureusement ses fesses, en disant cela ; je les égratignais ; mes mains repassaient par devant, et lui arrachaient barbarement le poil follet dont l'avait ornée la nature. Mille cruelles idées viennent ici troubler mon imagination. Je me détermine à retarder ma décharge, afin que rien ne puisse ralentir le feu qui les inspire. Je me rappelle l'affreux projet formé sur le cadavre de madame de Moldane... Je me ressouviens de tout ce qui m'a été dit sur les délices de la jouissance d'un cadavre fraîchement assassiné, et du désespoir où m'a mis l'impétuosité de mes désirs, en m'empêchant jadis de consommer ce crime. Je décide, je jette des yeux hagards sur le corps sanglant d'Alberoni ; je le déculotte. Il était encore chaud ; j'aperçois de superbes fesses, je les baise ; c'est avec ma langue que je prépare les voies ; je m'introduis, et me trouve si bien de l'expérience, que c'est dans le cul de l'amant assassiné par moi, qu'en baisant celui de la maîtresse que j'assassinerai bientôt de même, que c'est là, dis-je, qu'avec d'indicibles frémissements de plaisir, mon foutre s'élance à grands flots.
Les attraits d'Héloïse, son désespoir, ses larmes, l'état d'anxiété où je plongeais son âme par les menaces dont je l'accablais ; la réunion de tant d'effets si puissants sur mon cœur de fer, me firent bientôt rebander. Mais, plein de rage, écumant de cette colère lubrique qui plonge nos sens dans une si violente agitation, ce n'est plus maintenant que par des insultes que je peux m'exciter au plaisir. Je cueille des branches dans le taillis qui nous environne ; j'en forme des verges ; je déshabille totalement cette jeune personne, et l'étrille sur tout le corps, sans excepter la gorge, d'une si cruelle manière, que son sang se mêle bientôt à celui des plaies de son amant. Rassasié de cette barbarie, j'en invente de nouvelles ; je la force à sucer les plaies d'Alberoni. La voyant m'obéir avec une sorte de délicatesse, j'arrache des épines, et l'en frotte sur les parties les plus délicates ; j'en introduis dans son vagin, je lui en déchire les tétons. J'incise enfin le cadavre du jeune homme ; j'en extirpe le cœur, pour en barbouiller le visage de ma victime ; je la contrains à en mordre quelques parcelles. Je n'en pouvais plus. Et le fier Jérôme, qui venait de faire la loi à deux individus, la recevait en ce moment de son vit : on ne banda jamais de cette violence là. Pressé du besoin de perdre mon foutre, j'oblige ma victime à prendre dans la bouche le vit de son amant, et je l'encule en cet état. J'avais un poignard à la main ; je lui réservais la mort à l'instant de ma décharge... Elle approche ; je fais devancer mes coups ; ce n'est qu'avec lenteur que je veux lui faire recevoir le dernier. Je caresse en attendant, avec délices, la voluptueuse idée de mêler aux divins élans de ma décharge les derniers soupirs de celle que je fous. Elle va sentir, pensai-je en la limant à tour de reins, elle va éprouver les plus cruels moments de l'homme, lorsque j'en goûterai les plus doux. Le délire s'empare de mes sens ; je la saisis par les cheveux, d'une main, et de l'autre, je lui plonge, à quinze reprises différentes, un poignard dans le sein, dans le bas-ventre et dans le cœur. Elle expire, et mon foutre n'est pas encore répandu. Ce fut alors, mes amis, que j'éprouvais bien de quel merveilleux effet est d'égorger l'objet qu'on fout. L'anus de ma victime se resserrait, se comprimait, en raison de la violence des coups que je lui appuyais ; et, lorsque je perçai le cœur, la compression fut si vive que mon vit en fut déchiré. Ô délicieuse jouissance ! vous étiez la première que je goûtai en ce genre ; mais que je vous ai d'obligation de la leçon que vous me donnâtes, et combien j'en ai profité depuis ! Un moment de repos succède à de si vives agitations ; mais, dans une âme aussi scélérate que la mienne, le spectacle du crime doit bientôt rallumer le désir. J'ai foutu le cadavre de l'amant, me dis-je, pourquoi ne foutrais-je pas celui de la maîtresse ? Héloïse était encore belle ; la pâleur de son teint, le désordre de ses beaux cheveux, l'intérêt puissant qui régnait sur les traits renversés de sa physionomie enchanteresse, tout me fait rebander ; j'encule et décharge une dernière fois, en dévorant sa chair.
L'illusion dissipée, je ramasse les bijoux, l'argent, et m'éloigne, non pas en détestant mon crime. Ah ! si je m'en fusse repenti, m'eût-il fait bander tant de fois depuis ?... Non, je ne le détestais pas, ce crime délicieux ; mais je regrettais bien de ne pas lui avoir donné une plus violente extension.
Je rejoignis ma voiture, et partis sur le champ pour Venise. Le climat du pays de Trente et le caractère de ses habitants ne m'ayant point plu, je me déterminai pour la Sicile. Là, dis-je est le berceau de la tyrannie et de la cruauté ; ce que les poètes et les écrivains racontent de la férocité des anciens indigènes de cette île me fait croire que je retrouverai quelques traces de leurs vices dans les descendants des Lestrygons, des Cyclopes et des Lotophages [Partout (dit Bridoine, dans son intéressant Voyage de Sicile) où l'air est fortement imprégné d'exhalaisons enflammées, les habitants y sont extrêmement méchants et vicieux]. Vous allez voir si je me trompais, et si les prêtres, les nobles et les riches négociants de cette île délicieuse n'ont pas tout ce qu'il faut pour nous donner une suffisante idée de la dépravation et de la férocité de leurs ancêtres. Plein de ce projet, je traversai toute l'Italie ; et, à cela près de quelques scènes luxurieuses, de quelques crimes sourds et secrets auxquels je me livrai pour me tenir en haleine, il ne m'arriva rien qui, comparable à ce qui me reste à vous dire, mérite de suspendre ici votre attention.
Je m'embarquai à Naples, au milieu du mois de septembre, sur un joli petit bâtiment marchand qui faisait voile vers Messine, et dans lequel le hasard me fit rencontrer l'occasion d'un crime gratuit, aussi singulier que piquant. Nous avions avec nous une négociante de Naples, que ses affaires conduisaient en Sicile, et qui menait avec elle deux petites filles charmantes, dont elle était mère, qu'elle avait nourries, et qu'elle aimait au point de ne pouvoir jamais s'en séparer. L'aînée pouvait avoir quatorze ans, une figure romantique, les plus beaux cheveux blonds, et la taille la plus agréable. Les charmes de sa sœur, moins âgée de dix-huit mois, étaient dans un genre tout à fait différent ; des traits plus piquants que l'autre, moins d'intérêt, si l'on veut, mais infiniment plus de stimulant ; tout ce qu'il fallait en un mot, non pour séduire doucement comme sa sœur, mais pour emporter d'assaut le cœur le plus récalcitrant en amour. A peine eus-je aperçu ces deux filles, que je résolus de les sacrifier. En jouir était difficile. Idoles de leur mère, et perpétuellement sous ses yeux, le moment de l'attaque ne fût pas devenu facile à prendre. Il me restait le moyen de les victimer ; et le plaisir d'arrêter le cours de l'existence de deux aussi jolies créatures valait encore mieux que celui de la leur rendre agréable par la connaissance des plaisirs. Ma poche, toujours remplie de cinq ou six sortes de poisons, m'offrait différentes manières de leur ravir le jour. Mais le coup, selon moi, n'eût pas été assez sensible pour une mère tendre et idolâtre de ses filles ; je voulais une mort plus frappante, infiniment plus prompte ; le sein des vagues sur lequel nous flottions me présentait pour elles un sépulcre où j'aimais mieux les engloutir. Ces deux jeunes personnes avaient l'imprudence (et j'étais bien étonné qu'on ne les en eut pas encore empêchées) d'aller s'asseoir sur le bord du tillac, pendant que l'équipage faisait la méridienne. Le troisième jour de notre traversée, je saisis l'instant ; je les approche ; et, les enlevant toutes deux à brasse-corps, en empêchant leurs mains de s'attacher à moi, je les culbute d'un bras vigoureux dans l'élément salé qui doit les ensevelir à jamais. La sensation fut si vive, que j'en déchargeai dans mes culottes. On se réveille au bruit ; j'ai l'air de me frotter les yeux et d'apercevoir le premier quelles sont les victimes de cet accident ; je me précipite vers la mère :
- Oh ! madame, lui dis-je, vos filles sont perdues.
- Que dites-vous ?
- Une imprudence... elles étaient sur le tillac... un coup de vent... elles sont perdues, madame ! elles sont perdues !
On ne se peint pas la douleur qu'éprouva cette malheureuse ; jamais, je crois, la nature ne fut plus éloquente ni plus pathétique ; et, réversiblement, jamais plus voluptueuses impressions n'ébranlèrent mes organes. Revenue à elle, cette femme me donna toute sa confiance. On la débarqua dans un état affreux. Je me logeai dans la même auberge. Sentant sa fin approcher, elle me remit son portefeuille, en me priant de le faire passer à sa famille ; je promis tout, et ne tins rien. Six cent mille francs que contenait ce portefeuille étaient un objet assez considérable pour qu'avec mes principes je ne les laissasse pas échapper ; et la malheureuse Napolitaine, qui mourut le surlendemain de notre arrivée à Messine, m'en laissa bientôt jouir tranquillement. Je n'eus qu'un regret, je l'avoue ; ce fut de ne l'avoir pas foutue avant sa mort. Belle encore, et très malheureuse, elle m'en avait inspiré le plus violent désir ; mais j'eus peur de perdre sa confiance ; et, dans cette occasion, je l'avoue, où il ne s'agissait que d'une femme, l'avarice l'emporta sur la luxure.
Je n'avais d'autres recommandations, à Messine, que les lettres de change dont je m'étais muni à Venise, où j'avais pris la sage précaution, à cause de la différence des monnaies, d'échanger mon numéraire contre du papier sur la Sicile. Le banquier qui m'escompta me fit plus de politesses que n'en reçoivent les Siciliens, quand ils se présentent pour le même objet, chez les banquiers de Paris ; et c'est une justice que je dois rendre à la parfaite urbanité de tous les négociants étrangers à qui j'ai eu affaire. Une lettre de change sur eux devient une lettre de recommandation ; et les offres les plus sincères, les plus multipliées accompagnent toujours au moral les obligations que leurs correspondants prennent au matériel avec eux.
Je témoignai à mon banquier le désir que j'avais d'acheter une terre seigneuriale avec les fonds considérables dont je me trouvais possesseur.
- Le régime féodal est ici dans toute sa vigueur, dis-je à ce brave homme ; cela seul me détermine à m'y établir ; je veux à la fois commander aux hommes et cultiver la terre, dominer également sur mon champ et sur mes vassaux.
- En ce cas, vous ne pouvez être mieux qu'en Sicile, me dit mon correspondant ; il est telle terre ici où le seigneur a droit de vie et de mort sur ses habitants.
- Voilà celle qu'il me faut, répondis-je. Et, pour ne plus m'appesantir sur ces détails, vous saurez, mes amis, qu'au bout d'un mois je me trouvai seigneur de dix paroisses, en possession de la plus belle terre et du plus beau château, dans la vallée des ruines de Syracuse, tout près du golfe de Catane, c'est-à-dire, dans le plus beau pays de la Sicile.
Je ne tardai pas à me former un domestique nombreux et composé d'après mes goûts. Mes valets, mes femmes, tous avaient le service immédiat de mes lubricités pour clause spéciale de leurs devoirs. Ma gouvernante, nommée dona Clementia, femme d'environ trente-six ans, et l'une des plus belles créatures de l'île, avait indépendamment de ses soins libidineux près de moi, la charge de me découvrir des sujets de l'un et de l'autre sexe ; et, tout le temps qu'elle l'exerça près de ma personne, je vous réponds qu'elle ne m'en laissa pas manquer. Avant que de m'établir, je parcourus les villes célèbres de cette intéressante contrée ; et, comme vous l'imaginez bien, Messine eut droit à mes premières recherches. Les descriptions de Théocrite sur les plaisirs de la Sicile n'avaient pas peu contribué à faire naître en moi le désir d'habiter un si beau pays. Je trouvai tout ce qu'il dit sur la douceur du climat, sur la beauté de ses habitants, et particulièrement sur leur libertinage. C'est là, sans doute, c'est sous ce climat délicieux que la bienfaisante nature inspire à l'homme tous les goûts, toutes les passions qui peuvent contribuer à lui rendre son existence agréable ; et c'est là où l'on doit en jouir, si l'on veut connaître la vrai dose du bonheur que cette tendre mère réserve à ses enfants. Après avoir visité de même Catane et Palerme, je revins prendre possession de mon château. Assis sur une montagne élevée, j'y jouissais à la fois de l'air le plus pur et de la vue la plus agréable. Cette apparence de forteresse flattait d'ailleurs infiniment la sévérité de mes goûts. Les objets que je leur immolerai, me disais-je, seront là comme dans une prison. A la fois leur maître, leur juge et leur bourreau, où trouveront-ils des défenseurs ? Oh ! que les jouissances sont divines, quand le despotisme et la tyrannie les aiguillonnent ainsi !
Clementia avait eu soin de remplir mon sérail pendant mon absence ; et, à mon retour, je le trouvai garni, par ses soins, de douze jeunes garçons de dix à dix-huit ans, de la plus jolie figure du monde, et d'un nombre égal de filles, à peu près de même âge. On me les renouvelait tous les mois ; et je vous laisse à penser, mes amis, dans quels débordements luxurieux je me plongeai. On ne se figure pas les recherches que je mis en usage ; les férocités dont je les assaisonnais ; mon aventure de Trente m'avait si fort apprivoisé avec les voluptés sanguinaires, que je ne pouvais plus m'en passer. Cruel par goût, par tempérament, par besoin, je ne pouvais me livrer à aucune volupté qui ne portât l'empreinte de la brutale passion qui me dévorait. Je ne faisais d'abord tomber mes atrocités que sur les femmes ; la faiblesse de ce sexe, sa douceur, son aménité, sa délicatesse me paraissaient autant de titres certains aux élans de ma barbarie. Je m'aperçus bientôt de mon erreur ; je sentis qu'il était infiniment plus voluptueux de moissonner les épis qui résistent, que l'herbe tendre se courbant sous la faux, et que si cette réflexion ne m'était pas venue jusqu alors, c'était plutôt par une fausse retenue, que par raffinement. J'essayai. Le premier bardache que j'assassinai, âgé de quinze ans, et beau comme l'amour, me procura de si violents plaisirs, que mes coups se dirigèrent à l'avenir bien plutôt dans cette classe-là que dans l'autre. Il semblait que je méprisasse trop les femmes pour m'en composer des victimes, et qu'ainsi les jeunes garçons devaient, par leurs appas, me procurer des voluptés plus sensuelles ; ils devaient être de même plus délicieux à supplicier. D'après cette hypothèse, confirmée par des faits, il n'y avait pas de semaine où je n'en immolasse trois ou quatre, et toujours par de nouveaux tourments. Quelquefois j'en lâchais un couple dans un grand parc, environné de hauts murs, et duquel il était impossible de s'échapper. Là, je les traquais comme des lièvres ; je les cherchais, parcourant mon parc à cheval ; et quand je les avais pris, je les suspendais à des arbres par des colliers de fer ; on établissait au-dessous un grand feu qui les consumait en détail. D'autres fois je les faisais courir devant mon cheval, et les piquais à grands coups de fouet dans les reins ; s'ils tombaient, je leur faisais passer mon coursier sur le ventre, ou je leur brûlais la cervelle à coups de pistolet. Souvent j'employais des supplices plus raffinés encore, et dont l'exécution n'était bonne que dans l'ombre et le silence du cabinet ; et toujours, pendant ces expéditions, la fidèle Clementia m'excitait, ou dirigeait des scènes de lubricité, dont ses plus folies filles devenaient les premières actrices. J'avais heureusement trouvé, dans cette Clementia, toutes les qualités nécessaires au genre de vie féroce et crapuleux que j'adoptai.
La coquine était méchante, luxurieuse, intempérante, athée ; elle avait, en un mot, tous mes vices, et nulle autre vertu que celle de m'être incroyablement attachée, et de me servir à merveille. Je menais donc dans ce château, par les soins de cette charmante fille, la vie du monde la plus délicieuse et la plus analogue à mes goûts, lorsque l'inconstance, à la fois le fléau et l'âme de tous les plaisirs, vint m'arracher à ce séjour paisible, pour me replacer sur le grand théâtre des aventures de ce monde.
On se blase quand les difficultés n'irritent plus les jouissances ; on veut les augmenter par des peines ; ce n'est vraiment que par elles que l'on parvient aux grands plaisirs. Je laissai Clementia dans mon château et revins m'établir à Messine. Le bruit qu'un riche garçon venait habiter cette capitale se répandit bientôt, et m'ouvrit les portes de tous les palais où il y avait des filles à marier : je découvris promptement l'intention, et résolus de m'en amuser.
De toutes ces maisons, dans lesquelles on affectait de me recevoir avec bienveillance, celle du cavalier Rocupero me fixa plus particulièrement. Ce vieux noble et sa femme pouvaient à peu près former un siècle à eux deux. La médiocrité de leur fortune leur faisait élever et nourrir avec une beaucoup trop grande économie, les trois plus belles filles qu'eût jamais créées la nature. La première se nommait Camille ; elle avait vingt ans, brune, la peau d'un blanc à éblouir, les yeux les plus expressifs, la bouche la plus agréable, et la taille d'Hébé même. La seconde, plus intéressante, mais moins belle, n'avait que dix-huit ans, ses cheveux étaient châtains ; ses grands yeux bleus, là de langueur, respiraient à la fois l'amour et la volupté ; sa taille, ronde et bien remplie, promettait la meilleure jouissance ; on la nommait Véronique ; et, certes, je l'eusse préférée, non pas uniquement à Camille, mais à toute la terre, sans les attraits célestes de Laurence, qui, quoique à peine âgée de quinze ans, surpassait en beauté, et ses sœurs, et les plus belles personnes de toute la Sicile.
A peine fus-je introduit chez ce bon gentilhomme, que je résolus d'y porter à la fois le trouble, la désolation, l'impudicité, le déshonneur, et tous les fléaux du crime et du désespoir. La probité régnait dans cette maison ; la beauté, la vertu semblaient de même y avoir établi leur empire ; en fallait-il plus pour échauffer en moi le désir de la souiller par tous les forfaits imaginables ! Je commençai par des largesses, que l'on n'accepta qu'avec peine ; mais les vues d'alliance que je manifestai bientôt ne permirent plus aucun refus. On me pria d'expliquer ces vues. Comment voulez-vous, répondis-je, que je me prononce entre les trois Grâces ; donnez-moi donc le temps de mieux connaître vos charmantes filles, et je pourrai vous dire alors laquelle doit fixer mon cœur. Les choses en cette position, vous imaginez facilement que je profitai des délais pour les suborner toutes trois. Comme je leur avais recommandé le plus profond mystère, elles n'eurent garde de s'avouer réciproquement ce que je leur communiquais, de manière qu'aucune d'elles ne savait à quel point j'en étais avec sa compagne. De ce moment, voilà comme je me conduisis.
Camille fut celle que je séduisis la première ; et, l'ayant trompée sous les plus belles espérances de mariage, au bout d'un mois j'en tirai tout ce que je voulus. Qu'elle était belle ! et quels charmes n'éprouvai-je pas à sa jouissance ! A peine fut-elle foutue de toutes manières, que j'attaquai Véronique ; et, réveillant la jalousie de Camille, je l'armai si bien contre sa sœur, qu'elle résolut de la poignarder. L'ardeur du tempérament des Siciliennes admet tous les moyens sanglants ; là, l'on ne connaît que deux passions, la vengeance et l'amour. Dès que je crus être bien certain des intentions criminelles de Camille, j'en fis prévenir Véronique ; je parvins à la faire éclairer, au point de ne pas même lui laisser la consolante idée du doute. Cette belle fille, au désespoir, mais plus craintive qu'entreprenante, me supplie de l'enlever, si je l'aime, afin de la soustraire à la rage effrénée d'une sœur qu'elle connaît capable de tout entreprendre.
- Mon ange, dis-je alors, ne vaudrait-il pas mieux remonter à la source de tout ceci, en reconnaître les auteurs, et nous venger directement !
- Il n'y a point d'autre cause, me répondit Véronique, que l'extrême amour que Camille a pour toi ; elle s'aperçoit des préférences que tu me donnes, et l'infernale créature complote contre mes jours.
- Je ne vois pas tout à fait comme vous dans cette affaire-là, répondis-je ; ne doutez pas, ma chère âme, que vos parents ne donnent à Camille toute préférence sur vous. Je ne sais si cette fille m'aime ; ce qu'il y a de bien sûr, c'est que je ne lui ai jamais donné nul espoir. Mais vos parents se sont ouverts plus directement à moi ; ne doutez point que Camille ne soit l'objet de leur unique attachement ; je manifesterais près d'eux mon goût pour vous, qu'à coup sûr j'en serais refusé. Vous me proposez la fuite ; ce moyen serait dangereux ; nous nous donnerions avec vos parents des torts, dont eux ou la justice prendraient connaissance, et dont la punition serait bientôt la perte ou de nos fortunes ou de nos vies. Il est, ce me semble, un parti plus avantageux et plus simple : vengeons-nous à la fois et de Camille qui complote contre vos jours, et de vos parents qui l'y excitent.
- Et quel est le moyen ?
- Celui que la nature offre à tous les pas dans l'heureux pays où nous sommes.
- Du poison ?
- Sans doute.
- Empoisonner mon père, ma mère et ma sœur ?
- Ne conjurent-ils pas contre vous ?
- Je n'en ai que le soupçon.
- La preuve sera votre mort.
Puis Véronique reprenant avec un peu de réflexion :
- Je sais que d'autres femmes ont agi de même, dona Capraria vient d'empoisonner son époux.
- Qui vous arrête donc, ma chère ?
- La crainte de votre mépris ; vous serez plus de sang-froid après la vengeance ; vous me mésestimerez.
- Ne le craignez point ; je reconnaîtrai dans vous alors une fille ardente, courageuse, aimante, passionnée, une fille à caractère, en un mot et que, par cela seul, j'adorerai mille fois plus ardemment. Ne balance plus, Véronique, ou tu perds à jamais mon cœur.
- Ô mon ami, mais le ciel !
- Frivoles craintes ; le ciel ne se mêla jamais des affaires du monde ; et ce ressort n'est plus dans les mains de l'homme, que l'arme émoussée du mensonge et de la superstition. Il n'y a point de Dieu ; et les peines ou les récompenses, basées sur cet odieux fantôme, sont aussi méprisables que lui. Ah ! s'il était un Dieu que le crime offensât, donnerait-il à l'homme tous les moyens de le commettre ? Que dis-je ! si le crime offensait cet auteur prétendu de la nature, le crime serait-il essentiel aux lois de la nature ? Songe donc que cette nature dépravée ne s'alimente, ne se soutient que par des crimes ; et que si les crimes sont nécessaires, ils ne peuvent outrager ni la nature ni l'être imaginaire que tu supposes en être le moteur. Ce que l'homme a osé nommer crime, n'est que l'action qui trouble les lois de la société ; mais qu'importe à la nature les lois de la société ! est-ce elle qui les a dictées ? et ces lois ne varient-elles pas de climats en climats ? Telle affreuse que vous puissiez supposer une action, le crime dont vous la croyez revêtue ne peut donc être que local ; de ce moment il ne saurait outrager la nature, dont les lois sont universelles. Le parricide, regardé comme un crime en Europe, est en honneur dans plusieurs contrées de l'Asie ; il en est de même de toutes les autres actions humaines ; je défie qu'on m'en cite une seule universellement vicieuse. Réfléchissez au reste qu'il ne s'agit ici que de vous défendre, et qu'alors tous les moyens que vous allez mettre en usage pour y parvenir, non seulement ne sauraient être criminels, mais deviennent même vertueux, puisque la première loi que nous inspira la nature, fut de nous conserver à tel prix et à tels dépens que ce puisse être. Agissez, Véronique, agissez, ou vous êtes perdue vous-même.
Le feu que je vis briller dans les yeux de cette charmante fille m'apprit bientôt le succès de mes discours.
- Eh bien, me dit-elle au bout de quelques minutes d'une violente agitation, eh bien, Jérôme, je ferai ce que tu dis. Je connais les drogues nécessaires ; toutes ces plantes nous sont familières ici ; je te jure qu'il n'existera pas dans trois jours un seul des individus qui machinent notre perte. Éloigne-toi pendant ce temps ; je ne veux pas que l'on te soupçonne.
J'y consentis d'autant plus volontiers que j'avais besoin de ce délai pour séduire la troisième sœur. Cette opération fut l'ouvrage de Clementia. Je la fis venir à Messine ; je lui fis connaître Laurence ; et, dès le lendemain, elle fut conduite à mon château. Il n'y avait pas deux heures qu'elle était partie, quand les foudres préparées par Véronique éclatèrent. Elle avait employé le suc de thora, espèce d'aconit fort dangereux, qui se trouve en abondance dans les montagnes de Sicile ; et les trois victimes étaient mortes dans d'épouvantables convulsions. Le coup fait, elle s'empara de tout ce qu'elle put : bijoux, portefeuille, cassette, tout fut enlevé ; et elle vint me trouver avec ces médiocres richesses, dans une maison de campagne, près de la ville, où je lui avais donné rendez-vous. Ce fut elle qui m'apprit la disparition de sa sœur dont elle ne pouvait comprendre le motif.
- Tu la reverras bientôt, lui dis-je ; j'ai cru qu'il était prudent de la mettre à couvert ; partons, elle nous attend à ma campagne.
Cette précaution parut d'abord inquiéter Véronique ; je la calmai. Mais je vous laisse à penser ce qu'elle devint, lorsqu'elle apprit, en arrivant, par la bouche même de Laurence, la manière dont elle avait été enlevée, et tous les propos que lui tenait Clementia depuis qu'elle était dans mon château.
- Ô scélérat ! tu m'as trompée, me dit-elle.
- Non, en vérité, lui dis-je, je ne t'ai jamais rien promis. Ta sœur m'a inspiré le même désir que toi ; et je veux vous foutre toutes les deux, ou plutôt toutes les trois, mon ange ; car il est maintenant inutile de te laisser ignorer que Camille fut aussi ma proie.
- Et tu as pu m'ordonner de la sacrifier... ô monstre !
On pleure, on se désespère ; mais, bravant toutes ces larmes, je ne m'occupe plus qu'à jouir. Ces deux charmantes filles satisfirent à la fois toutes mes luxures ; toutes deux assouvirent mes passions, sans aucune réserve ; cul, con, bouche, tétons, aisselles, tout fut foutu, tout fut fourragé ; et je ne découvris pas moins de charme dans ces deux-ci, que je n'en avais trouvé dans leur sœur. Les fesses de Véronique principalement surpassaient tout ce que j'avais vu de plus sublime dans ce genre ; on n'eut jamais un plus beau cul, jamais un plus beau sein ! Malheureusement, tout cela ne m'occupa que trois jours. A peine fus-je rassasié de ces deux charmantes filles, que je ne pensai plus qu'à les perdre. Mais il fallait que la façon fût cruelle ; plus elles m'avaient donné de plaisir, plus je désirais accumuler sur leurs corps la somme des douleurs physiques, et plus je voulais que le genre en devint exécrable. Qu'imaginer ? J'avais tout fait, tout exécuté, et j'en étais au point de défier les plus célèbres bourreaux de l'univers de me conseiller une torture dont je n'eusse pas déjà fait usage. A force de rêver, voici ce que me fournit enfin ma scélérate imagination. J'employai les cinquante mille francs dérobés par Véronique à ses malheureux parents, pour faire exécuter la machine que je vais vous détailler.
Les deux sœurs, toutes nues, étaient enveloppées dans une espèce de cotte de mailles à ressorts, qui les captivait entièrement chacune sur un petit tabouret de bois garni de pointes, qui, ainsi que celles dont je vais parler, n'agissaient qu'au besoin. Elles étaient à huit pieds de distance l'une de l'autre ; entre elles était une table garnie des mets les plus succulents et les plus délicats : aucune autre espèce de nourriture ne leur était présentée. Or, pour y toucher, il fallait étendre le bras : en l'allongeant, d'abord le premier supplice qu'elles éprouvaient par cette action était l'impossibilité d'y atteindre. Un bien plus violent ne tardait pas à se faire ressentir. Par ce mouvement de tension du bras, celle qui le faisait armait aussitôt contre elle et contre sa voisine plus de quatre mille pointes ou ciseaux d'acier, qui, dans l'instant, déchiraient, piquaient, ensanglantaient et l'une et l'autre victime. De sorte que ces infortunées ne pouvaient penser à soulager le besoin qui les consumait, qu'en s'assassinant mutuellement toutes deux. Elles vécurent une semaine dans cet odieux supplice, pendant laquelle je passai huit heures par jour à les contempler, soit en me faisant foutre, soit en sodomisant, également sous leur yeux, les plus jolis objets de mon sérail. Je n'ai de ma vie goûté de plaisir plus violent ; il est impossible de rendre tout ce que ce spectacle me fit éprouver de sensuel ; j'y perdis régulièrement mon foutre quatre ou cinq fois par séance.
- Parbleu, je le crois, dit Sévérino, en interrompant ici la narration par les cris d'une décharge élancée dans le cul d'une des plus jolies filles du souper, oui, foutre, je le crois, car voilà bien le détail d'une des scènes les plus singulières qu'il soit possible d'entendre ; et le plaisir reçu par notre confrère Jérôme, en l'exécutant, doit avoir été diablement vif, si j'en juge par celui que j'éprouve en la lui entendant raconter.
- Il nous faut une machine comme celle-là, dit Ambroise, qui se faisait branler par Justine ; et je vous réponds que si nous la possédons jamais, voilà bien sûrement la première que j'y placerai.
- Poursuis, poursuis, Jérôme, dit Sylvestre, en montrant son vit dur comme une barre de fer ; car tu nous ferais tous décharger les uns sur les autres, si tu nous arrêtais longtemps à cette délicieuse idée.
- J'avais eu l'occasion, reprit Jérôme, dans les différents voyages que j'avais fait à Messine, de connaître nos aimables confrères les bénédictins, de la fameuse abbaye de Saint-Nicolas-d'Assena ; ils avaient eu la complaisance de me faire visiter leur maison, leur jardin, de m'admettre à leur table, et j'avais distingué plus particulièrement, parmi eux, le Père Bonifacio de Bologne, l'un des plus charmants libertins que j'eusse connu de ma vie. La conformité de mon caractère avec celui de ce moine m'avait assez intimement lié avec lui, pour nous confier un million de choses.
- Croyez-vous donc, Jérôme, me dit-il un jour, que nous chômions ici de tous les plaisirs dont les gens du monde se rassasient ! oh ! mon ami ne l'imaginez pas ; il faudrait que vous fussiez dans notre ordre pour que je vous révélasse ces secrets ; et, riche comme vous l'êtes, rien de plus facile que d'y entrer.
- Mais, dis-je, et la qualité de seigneur terrien que j'ai acquise en achetant du bien dans votre île ?...
- Ne serait qu'un motif de plus d'adoption, me dit Bonifacio ; vous conserverez votre bien, vous serez reçu à bras ouverts, et initié dès le moment même dans tous les mystères de l'ordre.
On ne se figure pas combien cette idée m'embrasa. La certitude de couvrir et d'augmenter mes vices sous le masque imposant de la religion, l'espoir dont me flattait également Bonifacio de me trouver très promptement érigé en médiateur céleste entre l'homme et son prétendu Dieu, celui bien plus doux encore d'abuser de l'infâme confession pour voler impunément à mon aise l'argent des vieilles et le pucelage des jeunes ; tout cela m'électrisait à un point indicible ; et, huit jours après cette pressante invitation de Bonifacio, j'eus l'honneur d'endosser le harnais monacal, et de me trouver sur le champ associé à tous les projets d'iniquité de ces scélérats. Le croirez-vous, mes amis ? il est vrai que le respect et la soumission du peuple envers le sacerdoce sont bien autres dans ce pays-là qu'en France, mais il n'était pas une seule famille dans Messine dont ces coquins là n'eussent le secret et la confiance ; et je vous laisse à deviner comme ils profitaient de l'un et de l'autre. A l'égard de leurs précautions intérieures, certes, si les vôtres sont bien prises, celles des bénédictins de Saint-Nicolas-d'Assena le sont pour le moins aussi bien.
Là, dans de vastes souterrains, connus seulement des gros bonnets de l'ordre, existe avec profusion tout ce que l'Italie, la Grèce et la Sicile peuvent produire de plus délicieux, soit en jeunes garçons, soit en filles ; là, l'inceste triomphe comme ici, et j'en ai vu qui foutaient leur cinquième génération, après avoir foutu les quatre autres. La seule différence qu'il y ait entre ces cénobites et vous, c'est que ceux-ci ne se donnent pas la peine de cacher leurs débordements au sein de ce vaste tombeau : jamais ils n'y descendent. Les portraits de ce que leurs richesses y rassemblent à grands frais sont placés en miniature dans un cabinet secret de leur appartement ; et ils font venir à l'instant chez eux l'objet convoité par leur vit : de manière qu'il n'est guère de moment dans la journée où vous ne les trouviez se livrant tour à tour, soit à la plus excellente chère, soit aux divins objets qui meublent avec profusion leur sérail. A l'égard de leurs caprices obscènes, vous imaginez facilement qu'ils sont aussi dépravés que les vôtres ; et les individus passés de cette maison là dans celle-ci vous ont suffisamment persuadés que partout on la religion étaie le libertinage, ses effets sont toujours bien vifs.
La plus extraordinaire de toutes les passions que j'observai parmi ces aimables célibataires, fut celle de dom Chrysostome, supérieur de la maison. Il ne jouissait jamais que d'une fille empoisonnée : il l'enculait dans les convulsions de la douleur, pendant que deux hommes le sodomisaient et le fouettaient alternativement. Si la fille n'expirait pas pendant l'opération, il la poignardait dès qu'il avait fini. Si elle tournait à la mort, il attendait l'instant des derniers soupirs pour lui remplir le cul de foutre.
J'achevai de me corrompre et de me blaser avec ces bons pères ; et j'en étais au point que rien au monde ne parvenait plus à me faire bander.
- Mon ami, dis-je un jour à Bonifacio, après deux ans de cette vie épicurienne, tout ce que nous faisons est délicieux ; mais c'est la force qui nous soumet les objets dont nous jouissons, et j'avoue que sous ce rapport ils me font moins bander que ceux qu'offrirait à mes désirs l'artifice ou la ruse. Revêtu de l'habit que tu m'as fait prendre, je n'ai plus pour travailler, d'après mes plans, que le saint et sacré tribunal de la confession. Je te conjure de me mettre à même d'y siéger bientôt, ainsi que tu m'en as flatté. Il est inouï combien cette idée m'excite ; incroyable à quel degré je compte profiter de tout ce que ce nouvel emploi va m'offrir, pour amuser à la fois mon avarice et ma luxure.
- Eh bien ! dit Bonifacio, rien de plus simple. Et me remettant, huit jours après, la clef du confessionnal de la chapelle de la Vierge : Allez, me dit-il, heureux mortel, allez ; voilà le voluptueux boudoir que vous avez désiré, usez-en avec profusion ; grugez-y autant de jolis objets que j'en dévorai dans le même en huit ans, et je ne me repentirai pas de vous l'avoir fait obtenir...
L'enthousiasme dans lequel me mettait ce nouveau grade, fut tel, que je n'en dormis pas de la nuit. Le lendemain, dès la pointe du jour, j'étais à mon poste ; et, comme nous étions dans la quinzaine de Pâques, ma matinée ne fut pas mauvaise. Je ne vous ennuierai pas de toutes les balivernes dont il me fallut essuyer le déluge ; je ne fixerai votre attention que sur une jeune fille de quatorze ans, nommée Frosine, noble, et d'une si délicieuse figure, qu'elle ne pouvait se montrer que voilée, pour éviter la foule dont elle était pressée chaque fois qu'elle s'offrait à découvert. Frosine se livra à moi avec toute la candeur et l'aménité de son âge. Son cœur n'avait encore rien dit, quoique aucune fille à Messine ne fût environnée de tant d'adorateurs ; mais son tempérament commençait à se faire entendre. Très jeune et très neuve encore, je fis si bien par mes questions, que je lui appris tout ce qu'elle ignorait.
- Vous souffrez, ma belle enfant, lui dis-je avec componction, je le vois ; mais c'est votre faute ; la pudeur n'est pas si exigeante qu'il faille lui sacrifier la nature ; vos parents vous trompent sur la pratique de cette vertu sévère. Le tableau qu'ils vous en font, est aussi cruel qu'injuste. Créée par la nature, n'ayant reçu que d'elle les impressions de volupté qu'elle vous inspire, comment en y cédant, voudriez-vous donc l'outrager ? Tout dépend du choix que l'on fait ; qu'il soit bon, et vous n'aurez jamais à vous en repentir. Je vous offre à la fois mes conseils et mes soins ; mais il faut du mystère : je n'accorde pas cette faveur à toutes mes pénitentes ; et la jalousie que leur inspirerait cette préférence vous perdrait infailliblement. Venez demain à midi précis me demander dans cette chapelle ; je vous introduirai dans ma chambre, et je vous réponds que le calme, le bonheur et la tranquillité deviendront bientôt le fruit de mes démarches. Débarrassez-vous surtout de cette duègne incommode qui suit partout vos pas ; soyez absolument seule ; dites que je vous attends pour une conférence pieuse, et que l'on revienne vous prendre à deux heures.
Frosine accepta tout ce que je lui proposais, et m'en jura l'exécution. Elle tint parole ; et voici, moi, de mon côté, les moyens que j'avais pris, et pour m'assurer la conquête de cette jeune personne, et pour l'empêcher de retourner jamais dans sa famille.
Aussitôt après cette conversation, j'avais quitté Messine ; j'étais venu dans mon château en annonçant au couvent que d'indispensables affaires m'empêcheraient de revenir de quelques jours. Clementia me remplaçait : c'était elle qui devait répondre, lorsque Frosine me demanderait ; elle devait, en continuant toujours de séduire notre jeune innocente, l'amener insensiblement à consentir à me venir trouver à la campagne. Cela fait, par les soins de Bonifacio que je servais également dans ses aventures, afin d'obtenir son secours dans les miennes, par les soins de cet ami, dis-je, le bruit de l'enlèvement de Frosine allait se répandre dans toute la ville. Une lettre de l'écriture contrefaite de cette jeune fille devait être remise à ses parents : elle leur mandait, par cette missive, qu'un très grand seigneur de Florence, qui la guettait depuis longtemps, venait de la faire monter malgré elle dans une felouque génoise qui s'éloignait avec rapidité ; que ce seigneur faisait sa fortune en l'épousant, et que puisqu'il n'y avait rien dans ce projet qui blessait son honneur, elle l'acceptait, en priant ses parents de n'y porter aucun obstacle ; que d'ailleurs ils fussent extrêmement tranquilles, et qu'elle leur écrirait dès qu'elle serait arrivée.
Il est un Dieu pour les ruses lubriques ; la nature les aime, elle les protège ; aussi en voit-on rarement échouer : mais de toutes celles qui avaient été imaginées, depuis bien longtemps, aucune, j'ose le dire, n'avait aussi complètement réussi. Frosine arriva dans ma terre le lendemain du jour où je lui avais donné rendez-vous dans la chapelle indiquée et dès le même soir elle fut soumise à mon libertinage. Mais quel fut mon étonnement lorsque j'aperçus qu'avec la plus jolie figure qu'il fût possible voir, Frosine était douée des plus minces attraits ! Je ne vis de mes jours un cul plus sec, une peau plus brune, pas un soupçon de gorge, et le con le plus baveux et le plus mal placé. Séduit par de jolis traits, je foutis néanmoins toujours, mais en la traitant mal ; on n'aime pas être dupe. Frosine reconnut sa faute, et la pleura amèrement, lorsque obligé de partir pour parer à tout par ma présence, elle se vit jetée par Clementia dans un obscur cachot, autant pour la dérober à toutes perquisitions, que parce qu'en ayant beaucoup trop joui, je n'étais pas fâché, d'après mon usage, de la rendre un peu malheureuse.
Je trouvai Bonifacio très content du succès de nos ruses, mais fort empressé de jouir à son tour du bonheur de leur entreprise. J'eus beau lui dire que le sujet n'en valait guère la peine ; séduit par la naissance et la figure de Frosine, il voulut absolument vérifier ; et vous imaginez bien que je n'y mis aucune opposition.
- Ce serait, me dit Bonifacio, l'occasion de faire une politesse à Chrysostome, notre supérieur ; plein d'amitié et de confiance en lui, je lui ai fait part de ta bonne fortune ; je suis certain du plaisir qu'il aurait à la partager.
- Volontiers, répondis-je ; les mœurs, l'esprit, les goûts et le caractère de Chrysostome me conviennent, et je saisirai chaudement toutes les occasions qui me rapprocheront de lui.
Nous partîmes ; mon sérail, toujours en activité, me fournit amplement de quoi satisfaire à l'avide luxure de mes compagnons ; et nous exécutâmes des atrocités.
Vous savez la passion de Chrysostome, celle de Bonifacio portait également un grand caractère de singularité ; il aimait à arracher des dents ; quelquefois il enculait sa victime pendant que nous opérions ; d'autre fois Bonifacio arrachait, et nous sodomisions. Tous deux assouvirent amplement leur luxure avec Frosine ; et quand nous l'eûmes dépouillée des trente-deux belles dents que lui avait données la nature, le supérieur voulut l'immoler à sa manière. Vous vous rappelez sa passion. On fit avaler à cette malheureuse deux gros de sublimé corrosif dans de l'eau-forte ; et ses douleurs, ses crispations furent si violentes, qu'il devenait impossible de la fixer pour en jouir. Chrysostome en vint cependant à bout ; et ses jouissances furent marquées au coin de l'ivresse la plus extraordinaire, et du délire le plus inconcevable. Nous voulûmes l'imiter, et nous éprouvâmes bientôt qu'il n'existait rien en luxure d'aussi piquant que cette manière de jouir dont Chrysostome faisait ses délices. Cela est facile à concevoir, sans doute ; tout se rétrécit alors dans une femme ; ses sensations d'ailleurs, sont dans un degré d'irritation si violent, qu'il est impossible de n'être pas électrisé soi-même.
- Ô Justine ! dit Clément en interrompant ici son confrère, vous le voyez Chrysostome raisonnait comme moi. On n'irrite jamais mieux ses sens que lorsqu'on a produit dans l'objet qui nous sert la plus grande impression possible, n'importe par quelle voie [Voyez « L'émotion de la volupté n'est autre, etc. » dans le chapitre X].
- Et qui doute de cette vérité ? dit Sévérino, était-ce la peine d'interrompre Jérôme pour y rappeler ?
- Ce qu'il y a de bien sûr, poursuivit le narrateur, c'est que personne au monde n'en était convaincu comme Chrysostome, et qui que ce soit ne la mettait aussi souvent et aussi délicieusement en pratique. Frosine expira dans une de ces angoisses, ayant Bonifacio au cul, Chrysostome au con, et moi sous les aisselles. Ce ne fut pas la seule victime que nous immolâmes en ce genre. Nous en vînmes au point d'en sacrifier six à la fois de cette manière ; trois palpitaient sous nos yeux, pendant que nous en foutions chacun une en con, en cul et en bouche. Après les filles, nous essayâmes des garçons ; et nos lubricités redoublèrent.
Nos orgies s'entremêlaient de discussions philosophiques ; nous n'avions pas plutôt commis une horreur, que nous cherchions à la légitimer ; personne n'y réussissait comme Chrysostome.
- Il est bien étonnant, nous disait-il un jour, que les hommes soient assez fous pour attacher quelque prix à la morale ; j'avoue que je n'ai jamais conçu de quelle nécessité elle pouvait leur être : la corruption n'est dangereuse que parce qu'elle n'est pas universelle. On n'aime point le voisinage d'un malade qui a la fièvre maligne, parce qu'on redoute la contagion, mais si l'on en est attaqué soi-même, on ne craint plus rien. Il ne saurait exister aucun inconvénient parmi les membres d'une société totalement vicieuse : que toutes acquièrent le même degré de corruption, et toutes se fréquenteront sans péril. Il n'y aura plus alors que la vertu qui sera dangereuse ; n'étant plus le mode habituel de l'homme. il deviendra nuisible de l'adopter. Le changement seul d'un état à l'autre peut avoir des inconvénients : tout le monde se ressemble-t-il, tous les individus restent à la même place, il ne peut plus y avoir de dangers. Il est absolument égal d'être bon ou méchant, dès que tout le monde est l'un ou l'autre ; mais si le ton de la société est vertueux, il devient dangereux d'être méchant ; tout comme il le deviendrait d'être bon si tous les hommes étaient pervertis. Si donc l'état dans lequel on se trouve est nul, ou indifférent par lui-même, pourquoi craindre d'adopter plutôt l'un que l'autre ? et pourquoi s'étonner, s'affliger, je le suppose, du parti que l'on prend d'être méchant, quand tout nous y porte, et quand cela se trouve foncièrement égal ? Quel est l'être qui pourra me prouver qu'il est mieux de rendre les autres heureux que de les tourmenter ? Mettons, pour un moment, à part le plaisir que je puis prendre à me conduire de l'une ou de l'autre manière, est-il essentiellement utile que les autres soient heureux ? et si cela ne l'est pas, pourquoi me gênerais-je en les accablant d'infortunes ? Il me semble qu'il ne s'agit dans tout cela que de ce que je dois éprouver à l'une ou l'autre action ; car, étant, par nature, spécialement chargé de mon bonheur, et nullement de celui des autres, je n'aurai tort vis-à-vis d'elle que dans le cas où j'aurai négligé de me délecter d'après ses vues et d'après ses plans. Ce même être, que mes goûts ou mes violences rendent malheureux, parce qu'il est le plus faible avec moi, jouira de sa force avec un autre, et tout deviendra égal. Le chat détruit la souris, et est lui-même dévoré par d'autres animaux. Ce n'est absolument que pour cette destruction relative et générale que nous a créés la nature. Gardons-nous donc bien de jamais résister à la sorte de corruption, au genre d'immoralité où nous entraînent nos penchants ; il n'y a pas le plus petit mal à s'y livrer. Il résulte donc des principes que j'établis, que l'état le plus malheureux sera toujours celui où la dépravation des mœurs sera la plus universelle, parce que le bonheur étant bien visiblement dans le mal, celui qui s'y livrera le plus ardemment sera nécessairement le plus heureux. On s'est bien lourdement trompé, quand on a dit qu'il y avait une sorte de justice naturelle, toujours gravée dans le cœur de l'homme, et que le résultat de cette loi se trouvait être le précepte absurde de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait. Cette loi ridicule, fruit de la faiblesse de l'être inerte, ne put jamais éclore dans le cœur de l'individu doué de quelque énergie ; et, si j'avais quelques principes moraux à établir, ce ne serait pas dans l'âme de l'être faible que j'irais chercher des préceptes. Celui qui craint de recevoir du mal, dira toujours qu'il n'en faut point faire ; tandis que celui qui se moque des dieux, des hommes et des lois, ne cessera jamais d'en commettre. Ce qu'il faut, c'est de savoir lequel des deux fait bien ou mal ; or, il me semble qu'une telle chose ne saurait se mettre en question. Je défie que l'homme vertueux puisse me soutenir de bonne foi qu'il a ressenti en se livrant à une bonne action, seulement le quart du plaisir éprouvé par celui qui vient d'en commettre une mauvaise. D'où vient donc, libre de choisir, que j'irais préférer le mode qui ne remue point à celui d'où naît perpétuellement l'agitation la plus tumultueuse et la plus agréable que puisse jamais éprouver l'homme ? Étendons nos idées ; jugeons la société entière ; et nous nous convaincrons aisément que la plus heureuse de toutes sera nécessairement celle qui sera la plus gangrenée, et cela, généralement dans tous les points. Je suis loin de me borner à quelques dépravations partielles ; je ne veux pas que l'on soit simplement libertin, ivrogne, voleur, impie, etc. ; j'exige qu'on essaie de tout, qu'on se livre à tout, et toujours préférablement aux écarts qui paraissent les plus monstrueux, parce que ce n'est pas en étendant la sphère de ses désordres que l'on doit nécessairement parvenir plus tôt à la dose de félicité promise dans le désordre. Les fausses idées que nous avons des créatures qui nous environnent, sont encore la source d'une infinité de jugements erronés en morale ; nous nous forgeons des devoirs chimériques envers ces créatures ; et cela, parce qu'elles s'en croient vis-à-vis de nous. Ayons la force de renoncer à ce que nous attendons des autres, et nos devoirs vis-à-vis d'eux s'anéantiront aussitôt. Que sont, je vous le demande, toutes les créatures de la terre vis-à-vis d'un seul de nos désirs ? et par quelle raison me priverai-je du plus léger de ces désirs pour plaire à une créature qui ne m'est rien et qui ne m'intéresse en rien ? Si j'en redoute quelque chose, assurément je dois la ménager, non pour elle, mais pour moi, parce qu'en général ce ne doit jamais être que pour moi que je dois agir dans le monde ; mais si je n'ai rien à en appréhender : je dois bien certainement en tirer tout ce que je puis pour améliorer mes plaisirs, et ne les considérer toutes que comme des êtres purement créés pour les servir [Ce ne sont ici que les bases de principes bien autrement développés dans la suite de cet ouvrage].
La morale, je le répète, est donc inutile au bonheur ; je dis plus, elle y nuit ; et ce ne sera jamais qu'au sein de la corruption la plus étendue et la plus générale, que les individus, comme les sociétés, trouveront la plus forte dose possible de félicité sur la terre.
Mettant bientôt ces systèmes en pratique, nous nous livrions, mes amis et moi, à tout ce que la débauche et la dépravation, à tout ce que le despotisme et la cruauté peuvent avoir de plus piquant et de plus raffiné.
Telle était la situation de nos esprits, lorsqu'on vint amener à mon tribunal de justice un jeune garçon de seize ans, joli comme l'Amour, accusé d'avoir voulu empoisonner sa mère. Rien n'était plus réel ; toutes les preuves étaient contre lui. Il périssait infailliblement, lorsque mes amis et moi, nous consultant sur les moyens de tirer d'affaire un jeune homme dont nous brûlions tous trois de jouir, ma perfide imagination m'en suggéra un qui, non seulement sauvait le coupable, mais qui même faisait périr l'innocent.
- Où est maintenant, dis-je à l'accusé, le poison dont on t'accuse d'avoir voulu te servir ?
- Il est entre les mains de ma mère.
- Eh bien ! affirme dans le dernier interrogatoire que tu vas subir que c'est elle qui voulait au contraire attenter à tes jours ; tu veux qu'elle périsse, elle périra ; es-tu content ?
- Enchanté ! monseigneur, enchanté ! je déteste cette femme, et mourrais plutôt que de ne la pas perdre.
- Donne pour preuve le poison qu'elle a dans les mains.
- Oui ; mais on sait que je me le suis procuré chez l'apothicaire de ce bourg ; on sait la difficulté qu'il me fit, et la manière dont je la levai, en lui disant que je n'achetais cette drogue que par ordre de ma mère, et pour détruire les rats de sa maison.
- N'y a-t-il que cela contre toi ?
- Non.
- Eh bien ! je te réponds à la fois de ta vie et de la mort de ta mère. J'envoie chercher le pharmacien. Gardez-vous, lui dis-je, de vouloir charger cet enfant ; c'est bien effectivement par ordre de sa mère qu'il acheta chez vous, l'autre jour, l'arsenic qui fait la matière de son procès ; et c'est bien entre les mains de sa mère que se trouve aujourd'hui ce poison ; elle voulait le faire périr, nous en sommes sûrs : une déposition contraire vous perdrait.
- Mais, dit le droguiste, n'aurai-je pas tort dans tous les cas ?
- Non ; rien de plus simple que d'avoir rempli les intentions d'une mère de famille, propriétaire d'une maison ; vous ne pouviez prévoir ses vues. Mais vous vous perdriez, si vous n'eussiez rempli que celles de l'enfant.
Le botaniste, pénétré de ces raisons, parla comme je l'avais instruit ; le jeune homme soutint ce que je lui avais suggéré ; et sa malheureuse mère, abattue de ces calomnies, ne trouvant rien pour y répondre, périt sur l'échafaud, pendant que mes amis et moi, en face de son supplice, nous nous livrions, avec son fils, aux plus voluptueuses recherches de la sodomie. Je n'oublierai jamais qu'enculé par Bonifacio, je déchargeai dans le cul du jeune homme, au moment où sa mère expirait. La manière dont ce charmant jeune homme se prêta à nos plaisirs, la joie qui partit sur son front, en voyant les apprêts de la mort de celle qui lui avait donné la vie, tout nous donna de si hautes idées de ses dispositions, que nous nous cotisâmes pour lui faire un sort, et pour l'envoyer à Naples, ou l'âge, en mûrissant, en perfectionnant ses principes, en aura fait sans doute un des plus hardis scélérats de l'Europe.
Quel crime ! nous eût ici crié la sottise ? vous avez rendu à la société un monstre, dont les forfaits perfectionnés coûteront peut-être des milliers de victimes ! Quelle excellente action ! répondrons-nous à la bêtise environnée des préjugés gothiques de la morale et de la vertu. Nous avons servi la nature, en lui aiguisant un des ressorts par lesquels elle opère le mal nécessaire dont elle est toujours affamée.
Nous passâmes encore trois mois à ma terre, noyés dans la luxure et dans la débauche, lorsque des raisons de prudence nous contraignirent enfin de reparaître ou nous plaçait notre devoir. La première aventure que me valut mon poste de confesseur, en revenant de là, fut celle d'une dévote de trente ans, encore assez jolie ; elle était au lit de la mort lorsqu'elle m'envoya chercher.
- Mon père, me dit-elle, il est temps que je répare la plus odieuse des injustices. Regardez le million en or que voilà déposé sur cette table, et fixez cette jeune fille, poursuivit-elle en me montrant une enfant de douze ans, d'une assez jolie figure ; rien de tout cela ne m'appartient, et j'avais la mauvaise foi de tout garder... Hélas ! qui sait ! j'aurais peut-être fait pis. Une de mes amies me remit en mourant à Naples, il y a deux ans, et cette fille et cet argent, en me faisant jurer de remettre l'un et l'autre au duc de Spinosa, à Milan. Séduite par l'or, j'ai tout gardé, mais le voile se déchire à l'instant où je touche, et le cri de ma conscience me trouble tellement, que je ne puis tenir à l'aveu de mes fautes et à vous en prescrire la plus prompte réparation. Quelque confiance que j'aie en vous, mon père, je me crois obligée de laisser un écrit à mes héritiers, qui les instruise de cette démarche.
- Cette précaution, interrompis-je aussitôt, en divulguant inutilement vos torts, madame, prouverait en même temps votre défiance envers moi, et de ce moment je ne dois plus me mêler en rien de cette affaire.
- Oh ! monsieur, monsieur, ne parlons plus de cet écrit, puisqu'il vous formalise ; vous seul satisferez à mon devoir ; vous seul apaiserez le cri de ma conscience, sans que personne en soit instruit.
- Ce que vous faisiez, madame, répondis-je alors plus tranquillement, était affreux, sans doute ; et je ne sais si la simple restitution que vous vous proposez suffira pour apaiser le ciel. Puis reprenant avec sévérité : A quel point vous vous étiez permis de tromper à la fois l'amitié, la religion, l'honneur et la nature ! oh ! non, ne l'imaginez point, jamais cette simple restitution ne suffira. Vous êtes riche, madame, vous connaissez les besoins du pauvre ; joignez indispensablement à la somme restituée celle de la moitié de votre bien, pour vous réconcilier avec la justice céleste... Vous le savez, madame, vos fautes sont bien grandes, et ce sont les pauvres qui sont nos meilleurs avocats près de Dieu ; ne marchandez point avec votre conscience ; une fois devenue la proie des démons qui vous attendent, vous ne serez plus à même d'implorer l'Être suprême, et d'obtenir pour vos crimes la miséricorde dont ils ont un si grand besoin.
- Vous m'effrayez, mon père !
- Je le dois, madame ; en ma qualité de médiateur entre le ciel et vous, je dois vous montrer les fléaux suspendus sur votre tête ; et quand vous en préviens-je ? au moment où vous pouvez encore les détourner : vous êtes perdue, si vous balancez.
Étourdie du ton dont je prononçai ces dernières paroles, ma dévote se fit apporter sur le champ une cassette, dont les richesses qu'elle en sortit, s'élevant à 800 mille livres, équivalaient du reste à la valeur que j'exigeais, en lui demandant la moitié de son bien.
- Tenez, me dit-elle en répandant des flots de larmes ; tenez, mon père, voilà ma dette acquittée ; priez pour ma pauvre âme, et rassurez-moi, je vous prie.
- Je le voudrais, madame, répondis-je en faisant enlever l'or et la petite fille par Clementia, vêtue en duègne, et que j'avais amenée comme ma sœur ; oui, je désirerais de tout mon cœur pouvoir entièrement dissiper vos craintes ; mais le puis-je, sans vous tromper ? Vous devez, je le sens, compter sur la miséricorde de Dieu ; mais votre réparation peut-elle égaler l'offense ? cette réparation, qui ne porte que sur le tort que vous avez fait aux hommes, apaisera-t-elle un Dieu irrité ? Quand on réfléchit à la grandeur, à l'immensité de cet Être suprême, peut-on se flatter de l'adoucir, une fois qu'on a eu le malheur de l'offenser ? Connaissez le caractère de ce Dieu terrible dans l'histoire de son peuple ; voyez-le partout jaloux, vindicatif, implacable, et ces différents modes, qui seraient des vices dans l'homme, ne devenir que des vertus dans lui. Et en effet, perpétuellement outragé par ses créatures, sans cesse envié par le démon, comment, sans une étonnante sévérité, parviendrait-il à manifester son pouvoir ? La marque distinctive de l'autorité est nécessairement la rigueur ; la tolérance est la vertu du faible. Toujours le despotisme indiqua la puissance ; on a beau m'assurer que Dieu est bon, moi je dis qu'il est juste ; et la vraie justice ne s'accorda jamais avec la bonté, qui, prise dans sa véritable acception, n'est qu'un des effets de la faiblesse et de la bêtise. Vous avez cruellement outragé votre Créateur, madame ; la réparation est au-dessous de vos fautes ; et je ne saurais vous dissimuler qu'il n'est pas en mon pouvoir de vous garantir des équitables châtiments que vous méritez ; je ne puis qu'implorer l'Éternel pour le repos de votre âme. Je le ferai sans doute ; mais, faible et chétive créature comme vous, puis-je me flatter de réussir ? Les peines que vous avez à craindre sont épouvantables. Éternellement brûlée dans les foyers de l'enfer est, je le sens, une peine horrible, que l'imagination n'entrevoit qu'en frémissant ; tel est pourtant votre sort, et je ne vois aucun moyen de vous en préserver. Ici, je l'avoue, le désordre de mes sens, proportionné à celui que j'occasionnais dans ma bigote, se trouvait au-dessus de toute expression : je bandais à rompre ma culotte ; il y eut un moment même où je ne pus m'empêcher de me branler.
- Oh ! mon père, dit alors la bénigne créature, sans s'apercevoir de mes mouvements, me donnerez-vous au moins l'absolution ?
- Dieu m'en garde, répondis-je d'un ton ferme et sévère ; je ne compromettrai point jusque-là la médiation que j'ai reçue du ciel ; je n'assimilerai point, par cette sainte bénédiction, le coupable à l'homme de bien. L'exiger, oser me le demander même est un nouveau crime, dont le ciel doit inévitablement vous punir. Adieu, madame, vos forces faiblissent, je le vois ; rappelez toutes celles qui vous restent pour soutenir le moment cruel de votre apparition devant Dieu ; moment bien terrible sans doute, quand on n'y arrive que pour écouter la sentence céleste qui doit vous plonger aux enfers !
Ici la malheureuse s'évanouit ; et moi, ivre de luxure, de crime et de méchanceté, je donnai l'essor à mon vit furieux, et l'enfonçai dans le cul de ma dévote, qui, ne mourant que d'une maladie de langueur, avait su conserver assez de charmes pour inspirer encore des désirs. Il y avait longtemps, je l'avoue, que je n'avais fait une meilleure décharge. Mon opération faite, je disparus en emportant tous les bijoux que je pus trouver dans la chambre ; et j'appris, dès le même soir, que ma pauvre pénitente avait rendu son âme timorée au travers des flots de foutre dont j'avais inondé le passage. Je fis présent de la petite fille au couvent, et ne réservai pour moi que les richesses, que je commençais à préférer à tout.
Cependant, au faîte du bonheur et du calme paisible dont ma philosophie me faisait jouir, j'éprouvais cette sorte d'inconstance, fléau de l'âme et trop funeste apanage de notre triste humanité ; blasé sur tout, il n'était plus aucune jouissance qui parvînt à me réveiller. J'inventais des horreurs, et je les exécutais de sang-froid ; en état de ne me rien refuser, quelque dispendieux que pussent être mes projets de débauche, je les entreprenais à l'instant. J'envoyais chercher les victimes de ma luxure jusque dans les îles de l'Archipel ; et mes émissaires se trouvant un jour en concurrence avec ceux du grand seigneur, j'eus la gloire et la satisfaction d'apprendre qu'ils l'avaient emporté sur ceux du sultan.
Mais ce n'était plus tout cela qu'il me fallait ; une jouissance simple ne me faisait plus éprouver la moindre sensation ; j'avais besoin de crimes, et je n'en pouvais trouver d'assez forts.
Un jour, examinant l'Etna, dont le sein vomissait des flammes, je désirais être ce célèbre volcan. Bouche des enfers, m'écriai-je en le considérant, si comme toi je pouvais engloutir toutes les villes qui m'environnent, que de larmes je ferais couler ! A peine mon invocation est-elle prononcée, que j'entends du bruit près de moi : un homme m'écoutait.
- Vous venez, me dit ce personnage, de former un étrange désir.
- Dans l'état où je suis, répondis-je avec humeur, on en forme de plus extraordinaires encore.
- Soit, me répond mon homme ; mais tenons-nous-en à celui que vous venez de prononcer, et apprenez de moi qu'il est possible. Je suis chimiste ; j'ai passé ma vie à étudier la nature, à lui dérober ses secrets ; et, l'immoralité nourrissant mes études, ce n'est, depuis vingt ans, qu'au malheur des hommes que je consacre mes découvertes. Vous voyez comme je vous parle ; votre singulier désir m'a convaincu de la confiance que je pouvais avoir en vous ; apprenez donc qu'on peut contrefaire les terribles éruptions de cette montagne ; si vous voulez, nous l'essaierons ensemble.
- Monsieur, dis-je à cet homme en l'invitant de s'asseoir avec moi près d'un arbre, causons, je vous supplie. Est-il bien vrai que vous puissiez imiter un volcan ?
- Rien de plus aisé.
- Et nous produirons par l'effervescence de ce volcan factice les mêmes effets qu'un tremblement de terre ?
- Absolument.
- Nous détruirons des villes ?
- Nous les abîmerons, nous bouleverserons l'île entière.
- Agissons, monsieur, agissons ; je vous couvre d'or si vous réussissez.
- Je ne vous demande rien, me répondit mon homme ; le mal m'amuse, et, lorsque je m'y livre, jamais je ne m'en fais payer. Je ne vends que les recettes qui sont utiles aux hommes ; je distribue pour rien toutes celles qui leur nuisent. Je ne pouvais me lasser de considérer ce personnage. Qu'on est heureux, monsieur, lui dis-je avec enthousiasme, lorsqu'on rencontre des gens qui pensent comme nous ! Et dites-moi, homme céleste ! quel est le motif qui vous fait faire le mal ? et qu'éprouvez-vous en le faisant ?
- Écoutez-moi, me dit Almani (c'était le nom de ce chimiste), je vais répondre à vos deux questions. Le motif qui m'engage à me livrer au mal est né chez moi de la profonde étude que j'ai faite de la nature. Plus j'ai cherché à surprendre ses secrets, plus je l'ai vue uniquement occupée à nuire aux hommes. Suivez-la dans toutes ses opérations : vous ne la trouverez jamais que vorace, destructive et méchante, jamais qu'inconséquente, contrariante et dévastatrice. Jetez un instant les yeux sur l'immensité des maux que sa main infernale répand sur nous en ce monde. A quoi servait-il de nous créer pour nous rendre aussi malheureux ? pourquoi notre triste individu, ainsi que tous ceux qu'elle produit sortent-ils de son laboratoire aussi remplis d'imperfections ? Ne dirait-on pas que son art meurtrier n'ait voulu former que des victimes, que le mal ne soit son unique élément, et que ce ne soit que pour couvrir la terre de sang, de larmes et de deuil qu'elle soit douée de la faculté créatrice... que ce ne soit que pour déployer ses fléaux qu'elle use de son énergie ? Un de vos philosophes modernes se disait l'amant de la nature ; eh bien, mon ami, je m'en déclare le bourreau. Étudiez-la, suivez-la, cette nature atroce, vous ne la verrez jamais créer que pour détruire, n'arriver à ses fins que par des meurtres, et ne s'engraisser comme le Minotaure, que du malheur et de la destruction des hommes. Quelle estime, quel amour pourriez-vous donc avoir pour une force semblable, dont les effets sont toujours dirigés contre vous ? Lui voyez-vous jamais dispenser un don sans qu'une peine grave l'accompagne ? Si elle vous éclaire douze heures, c'est pour vous plonger douze autres dans les ténèbres ; vous laisse-t-elle jouir des douceurs de l'été, ce n'est qu'en les accompagnant des horreurs de la foudre ; près de l'herbe la plus salutaire, sa main traîtresse fait germer les poisons ; elle hérisse le plus beau pays du monde de volcans qui le mettent en cendres ; se pare-t-elle un instant à vos yeux, c'est pour se couvrir de frimas l'autre partie de l'année ; nous donne-t-elle quelque vigueur pendant les premiers temps de notre vie, c'est pour nous accabler pendant la vieillesse et de tourments et de douleurs ; vous laisse-t-elle un moment jouir du bizarre tableau de ce monde, c'est pour qu'en parcourant la funeste carrière qui le présente à vos yeux, vous soyez à chaque pas effrayé des affreux malheurs qui la couvrent. Voyez avec quel art méchant elle entremêle vos jours d'un peu de plaisir et de beaucoup de peines ; examinez de sang-froid, s'il vous est possible, les maladies dont elle vous accable, les divisions qu'elle fait naître parmi vous, les suites effroyables dont elle veut que vos plus douces passions soient entremêlées : près de l'amour est la fureur ; près du courage, la férocité ; près de l'ambition, le meurtre ; près de la sensibilité, les larmes ; près de la sagesse, toutes les maladies de la conscience. Dans quelle situation affreuse vous met-elle, en un mot, puisque le dégoût de la vie devient tel en votre âme, qu'il n'est pas un seul homme qui voulût recommencer à vivre, si on le lui offrait le jour de sa mort ? Oui, mon ami, oui, j'abhorre la nature ; et c'est parce que je la connais bien, que je la déteste : instruit de ses affreux secrets, je me suis replié sur moi-même, et j'ai senti (voilà ma réponse à votre seconde question), j'ai éprouvé une sorte de plaisir indicible à copier ses noirceurs. Eh bien, ai-je continué de me dire, est-ce un être assez méprisable, assez odieux, que celui qui ne me donna le jour que pour me faire trouver du plaisir à tout ce qui nuit à ses semblables ! Eh quoi ! (j'avais seize ans alors) à peine suis-je sorti du berceau de ce monstre, qu'elle m'entraîne aux mêmes horreurs que celles qui la délectent elle-même ! Ce n'est plus corruption ici : à peine suis-je né, c'est inclination, c'est penchant. Sa main barbare ne sait donc pétrir que le mal ; le mal la divertit donc ? et j'aimerais une mère semblable ! Non ; je l'imiterai, mais en la détestant ; je la copierai, elle le veut, mais ce ne sera qu'en la maudissant ; et, furieux de voir que mes passions la servent, je vais si bien démêler ses secrets, que je puisse, si cela m'est possible, devenir encore plus méchant, pour la mieux heurter toute ma vie. Ses filets meurtriers sont tendus sur nous seuls ; essayons de l'y envelopper elle-même en la masturbant, si je peux : barrons-la dans ses œuvres pour l'insulter plus vivement ; et troublons-la, s'il est possible, pour l'outrager plus sûrement. Mais la putain s'est moquée de moi, ses ressources l'emportent sur les miennes : nous luttions trop inégalement. En ne m'offrant que ses effets, elle me voilait toutes ses causes. Je me suis donc restreint à l'imitation des premiers ; ne pouvant deviner le motif qui plaçait le poignard en ses mains, j'ai su lui ravir l'arme, et m'en suis servi tout comme elle.
- Oh ! mon ami, m'écriai-je dans l'enthousiasme, je ne vis jamais une imagination plus ardente que la vôtre... Quelle énergie !... quelle vigueur ! et que de mal vous avez dû faire dans le monde avec une tête aussi vive.
- Je n'existe que par le mal et pour le mal, me répondit Almani ; le mal seul m'émeut ; je ne respire qu'en le commettant ; mon organisation n'est délectée que par lui seul.
- Almani, interrompis-je avec chaleur, vous bandez sans doute, en vous y livrant.
- Jugez-en, me dit le chimiste, en me mettant à la main un vit gros comme le bras, et dont les veines violettes et gonflées semblaient prêtes à s'ouvrir sous la violence du sang qui y circulait.
- Et vos goûts, mon cher, quels sont-ils ?
- J'aime à voir périr une créature dans quelques-unes de mes expériences ; je fous une chèvre pendant ce temps-là, et le décharge quand la créature expire.
- Et des hommes, vous n'en foutez point ?
- Jamais ; je suis bestialitaire et meurtrier, je ne sors pas de là.
Almani finissait à peine de me répondre, qu'une lave s'ouvrit à nos pieds. Je me lève, effrayé ; et lui, sans s'émouvoir, ballottant toujours son vit à pleine main, me demande flegmatiquement où je vais.
- Ne bougez donc pas, me dit-il ; vous voulez connaître mes passions ; venez-en voir une ; venez, poursuivit-il en se branlant, venez voir jaillir les flots de mon foutre dans ceux de bitume et de soufre dont l'aimable nature entoure ici nos pas ; il me semble que je suis aux enfers, que je décharge dans ses feux ; cette idée m'amuse ; je n'étais ici que pour y satisfaire.
Il jure, il blasphème, il tempête, et son sperme élancé vole éteindre la lave.
- Almani, suivez-moi, lui dis-je ; je désire infiniment vous connaître plus à fond ; j'ai des victimes à vous offrir ; je veux d'ailleurs apprendre vos secrets. Nous retournâmes chez moi. Le chimiste admira mon habitation, loua mes goûts, s'amusa de mon sérail. Je lui donnai des chèvres, et je les lui fis foutre avec plaisir, pendant qu'avec un fil il attirait la foudre sur la tête d'une jolie Napolitaine de seize ans, qui mourut dans l'opération ; il en frappa une autre par l'électricité, qui expira dans d'horribles douleurs ; il accumula tellement le poids de l'air sur les poumons d'une troisième, qu'elle fut étouffée dans une demi-seconde. Il examinait toute nue la victime de ses opérations, lui maniait et baisait fort longtemps les fesses, gamahuchait le trou du cul, et trouvait, disait-il, dans ce seul épisode, toute la dose d'irritation nécessaire à condamner le sujet à la mort. Ses expériences se portèrent aussi sur de jeunes garçons qu'il traita de même. Il m'apprit ensuite plusieurs de ses secrets, et nous procédâmes à la grande expérience qui avait fait l'objet du voyage. Le procédé était simple. Il ne s'agissait que de former des pains de dix à douze livres, pétris avec de l'eau, de la limaille et du soufre ; on plaçait ces pains à trois ou quatre pieds en terre, dans une distance de plusieurs lieues, à vingt pouces environ l'un de l'autre ; dès que ces masses étaient échauffées, l'éruption se faisait d'elle-même. Nous multipliâmes tellement ces dépôts, que l'île entière éprouva l'un des plus furieux bouleversements qui l'eût encore agitée depuis plusieurs siècles. Dix mille maisons furent renversées dans Messine, cinq édifices publics écrasés, et vingt-cinq mille âmes devinrent la proie de notre insigne méchanceté.
- Mon cher, dis-je au chimiste dès que notre opération fut terminée, quand on a fait tant de mal ensemble, le plus sûr est de se séparer ; prends ces cinquante mille francs, et ne parlons jamais l'un de l'autre...
- Le silence, oui, je le promets, répondit Almani ; l'argent, je le refuse. Ne vous souvient-il plus que je vous ai dit que je ne me faisais jamais payer du mal que j'opérais ? Si j'avais fait du bien chez vous, l'accepterais une récompense ; mais je n'y ai fait que du mal... du mal qui m'a fait plaisir ; nous sommes quittes. Adieu.
Mon dégoût pour la Sicile redoubla quand j'y eus produit ce terrible événement ; et, sentant qu'il n'était plus rien au monde qui pût m'y fixer à l'avenir, je mis mon bien en vente, après avoir égorgé tous les sujets de mon sérail, et Clementia elle-même, malgré son extrême attachement pour moi. Frappée de ma barbarie et de mon ingratitude, surprise de me voir lui réserver avec recherche un plus affreux supplice qu'aux autres, elle osa m'adresser des reproches.
- Ô Clementia, lui dis-je, que tu connais mal le cœur d'un libertin tel que moi, dès que tu ne t'es pas défiée du sort que je préparais ! ne sais-tu donc pas que la reconnaissance dont tu crois surcharger mon âme ne devient sur ses ressorts usés qu'un véhicule de plus pour les diriger vers le crime ; et que si j'éprouve, en t'immolant, quelque chagrin ou quelque remords, c'est de ne t'en pouvoir faire assez. Elle mourut sous mes yeux, et je déchargeai violemment.
Je m'embarquai pour l'Afrique avec le projet de m'associer aux barbares de ces affreux cantons, pour devenir, si je le pouvais, mille fois encore plus féroce qu'eux.
Mais, c'est ici où l'inconstance de sort voulut me convaincre, en me faisant éprouver ses revers, que si la main favorise presque toujours les forfaits, ceux qui ont été bourreaux doivent néanmoins devenir victimes à leur tour, quand de nouveaux persécuteurs se présentent... Vérité qui pourtant ne prouve rien pour la vertu, puisqu'on la voit, dans les récits que je vous fais, presque à tout moment tourmentée ; mais qui doit seulement nous apprendre que l'homme, jouet par sa faiblesse de tous les caprices de la fortune, ne doit leur opposer, s'il est raisonnable, que la patience et le courage.
Je m'étais embarqué à Palerme sur un petit bâtiment léger que j'avais frété pour moi seul. A peine fûmes-nous à la hauteur des roches de Quels, que nous aperçûmes les côtes de l'Afrique. Parvenus là, un corsaire barbaresque nous attaque, et nous prend sans aucune résistance. En un moment, mes amis, je me vois privé de ma fortune et de ma liberté ; je perds en une minute tout ce que les hommes ont de plus cher. Hélas ! me dis-je, dès que je fus enchaîné, si cet argent mal acquis tombait en de meilleures mains, peut-être croirais-je en l'équité de la fortune ; mais sera-t-il mieux placé dans la bourse de ces scélérats qui ne croisent ces parages, que pour peupler le sérail du bey de Tunis ? sera-t-il mieux là, dis-je, que chez moi qui formais aussi des sérails ? Où donc est-elle cette sublime justice du sort ? Patience, ce n'est ici qu'un de ses caprices : celui-ci me ruine aujourd'hui, un second me relèvera.
En peu d'heures nous arrivâmes à Tunis. Mon patron me présenta au bey, qui donna ordre à son bostangi de m'employer sur-le-champ aux jardins ; et mes richesses furent confisquées. Je voulus faire quelques représentations ; on m'objecta que j'étais prêtre d'une religion en horreur à Mahomet, et que jamais on ne rendait ces biens-là. Il fallut se taire et travailler. Ayant à peine trente-deux ans, j'étais au moins dans l'âge de la force, et quoique énervé par mes débauches, je me sentais encore toute l'énergie nécessaire à souffrir patiemment mon sort. Mal nourri, mal couché, travaillant beaucoup, si mon physique éprouvait quelque altération, mon moral, j'ose l'affirmer, n'en ressentait aucune, et je me sentais toujours dans l'esprit la même luxure et la même méchanceté [Ces vices-là augmentent de force avec l'âge, mais ne vieillissent jamais. On a moins d'énergie pour les mettre en pratique, souvent moins de moyens ; mais leur indestructible germe est toujours égal. Il accroît même au lieu de s'affaiblir] ; quelquefois j'envisageais les murs du sérail, au pied desquels je travaillais, et je me disais : Ô Jérôme ! et toi aussi tu as eu un sérail, et de délicieuses victimes qui le peuplaient ; et te voilà, par ta faute, réduit à servir ceux avec lesquels tu rivalisais.
Un soir que je me livrais à ces tristes réflexions, je vois un billet tomber à mes pieds ; je me hâte de le ramasser. Dieu ! quelle est ma surprise, en y reconnaissant l'écriture et le nom de Joséphine... de cette infortunée que j'avais vendue à Berlin, avec la certitude qu'elle ne m'était achetée que pour devenir la victime d'un meurtre de débauche.

« Il est délicieux de rendre le bien pour le mal (me disait Joséphine dans ce billet). Vous m'avez crue victime de la rage d'un scélérat ; et vous m'avez livrée, pour que je le devinsse ; mon étoile m'a préservée du sort affreux que vous me destiniez. Mais si vraiment je la crois heureuse, c'est au moment où elle me met à même de briser vos fers. Demain à la même heure vous recevrez, pour gage de mes sentiments éternels, une bourse de trois cents sequins de Venise et le portrait de celle que vous aimâtes autrefois... Une lettre y sera jointe ; elle vous apprendra les moyens de nous sauver tous deux. Adieu, monstre... que j'aime toujours malgré moi ; si tu ne me payes pas de retour, respecte au moins celle... qui ne se venge de toi que par des bienfaits. »

JOSÉPHINE.

Inconcevables effets du plus affreux de tous les caractères ! mon premier mouvement fut d'être désolé de voir échappée au supplice une victime que j'y avais envoyée ; mon second fut de me trouver piqué de devoir un service à celle... que je n'avais jamais voulu que maîtriser. N'importe, me dis-je, acceptons ; l'important est de se tirer d'ici. Elle éprouvera, quand je me serai servi d'elle, quels sont, dans un cœur comme le mien, les résultats de la reconnaissance.
Le second billet, l'argent, le portrait, tout arriva à l'heure indiquée. Je baisai l'argent, crachai sur le portrait, et lus le billet avec avidité. On m'y apprenait qu'on était devenue maîtresse d'une fortune considérable que je serais le maître de partager, si je le voulais, et surtout si je le méritais ; que j'eusse à aller parler sur-le-champ, dans l'endroit qui m'était indiqué, au maître d'un navire qui m'attendait, et que je convinsse avec lui, et du prix qu'il nous demandait pour nous conduire à Marseille, et des moyens à prendre pour nous esquiver l'un et l'autre.
Je vole chez l'homme dont on me parle, et j'en reçois toute sorte de satisfactions. Delmas était un vieux renégat repentant, qui brûlait de revoir sa patrie, et d'arracher aux Turcs le plus de victimes qu'il lui serait possible.
- Tenez, me dit-il, voici d'abord une échelle de soie que vous ferez passer à votre protectrice ; joignez-y cette eau dont elle coupera ses grilles, rien qu'en les frottant avec. Une fois dans les jardins, où, comme vous croyez bien, elle ne doit arriver même de nuit, elle se transportera chez moi par le même chemin que vous venez de prendre ; je la cacherai dans mon bâtiment où vous viendrez vous jeter dès que le bagne sera ouvert.
Tout joyeux de ces bonnes nouvelles, je retourne au pied du sérail. Je fais le signal convenu ; on y répond. Une ficelle m'arrive ; j'y attache l'échelle, la liqueur, et un mot de réponse où je fais éclater des sentiments de tendresse et de reconnaissance... exprimés du mieux qu'il m'était possible. La jalousie se referme, et, le lendemain un dernier billet m'annonce que l'exécution du projet sera pour la nuit suivante ; on m'invite à ne pas l'oublier, afin d'être sûr de trouver Joséphine, son cœur et ses trésors, le lendemain de bonne heure, à fond de cale du bâtiment de Delmas.
Je fus exact. Je ne vous parlerai point de la scène de reconnaissance ; elle fut tendre du côté de Joséphine, arrosée même de ses larmes ; du mien, sévère et toujours accompagnée de ce sentiment intérieur de méchanceté qui ne me permettait pas qu'un individu tombât dans mes mains, sans que j'éprouvasse à l'instant le plus vif désir d'exercer sur lui mon empire. Joséphine avait atteint l'âge où les traits, en se développant, changent en beauté leur finesse : c'était véritablement une très belle femme. En attendant que le patron mit à la voile, nous bûmes une bouteille de vin de Syracuse ; et la chère fille me raconta ses aventures.
L'homme qui l'achetait à moi, était Frédéric, roi de Prusse, qui, sur le récit de son frère, avait vivement désiré l'immolation de cette créature. Assez heureuse pour échapper au supplice effrayant qui lui était destiné, par l'entremise de ce valet de chambre qui l'avait engrossée, elle s'était évadée de Berlin dès la même nuit, et avait passé comme moi à Venise. Différentes aventures galantes l'avaient soutenue dans cette ville, jusqu'à ce qu'un pirate tunisien l'eût enlevée et vendue au bey dont elle était devenue la favorite. Ce qu'elle m'apportait, quoique très considérable, n'était pourtant que le tiers au plus des richesses dont ce souverain l'avait comblée ; mais elle n'avait pu emporter que cela ; il y en avait à peu près pour cinq cent mille francs.
- Allons, ma chère, dis-je à Joséphine, voilà de quoi nous établir à Marseille ; nous sommes l'un et l'autre assez jeunes pour nous flatter de faire fructifier cet argent, et pour espérer d'être riches un jour. Ma main, continuai-je faussement, deviendra, dès en arrivant, la récompense de tes soins, s'il est vrai que tu puisses réellement me pardonner le crime affreux dont je suis coupable envers toi.
Mille tendres baisers de Joséphine furent sa réponse. Nous étions cachés à tous les yeux ; le calme régnait encore dans le bâtiment ; les douceurs de la liberté, les fumées de Bacchus, tout nous enflamma, au point que les sacs sur lesquels nous étions servirent de trône à la volupté. Il y avait longtemps que je n'avais déchargé. Je retrouvais une femme sur laquelle ma perfide imagination me faisait concevoir déjà d'affreux projets de méchanceté. Joséphine fut troussée par derrière ; la supériorité de ses fesses me tenta ; elles étaient étonnamment bien conservées ; je l'enculai.
- Ranime-moi, lui dis-je, dès que j'eus fini ; détaille à ma lubricité les tableaux de celle du bey. Comment se conduit-il avec une femme ?
- Ses goût sont singuliers, me répondit Joséphine ; il faut, avant que de l'aborder, qu'une femme soit toute nue, prosternée à plat ventre, trois grandes heures, sur un tapis. Deux icoglans [Nom des ganymèdes des sérails d'Asie] le branlent pendant ce temps là. Quand leur maître bande, ils vont relever la femme, et la lui conduisent. Elle s'incline ; alors les icoglans lui attachent les pieds et les mains. De ce moment il faut qu'elle tourne avec une rapidité prodigieuse jusqu'à ce qu'elle tombe. Sitôt qu'elle est à bas, il se jette sur elle, et l'encule. C'est la seule manière dont il jouisse des femmes ; et son amour pour elles se règle sur le plus ou moins de vitesse avec laquelle elles tournent. Je ne lui avais plu que par mon talent en ce genre ; et tous les présents que j'en ai reçus, n'en sont que la récompense.
Échauffé de ce récit, je sodomisai Joséphine une seconde fois, et j'éprouvai, je l'avoue, une sorte de volupté à me sentir dans le même cul qui faisait décharger un empereur turc, lorsque Delmas, entrant tout à coup, pensa nous prendre sur le fait. Il venait nous avertir qu'il allait mettre à la voile, et que libres, dans une heure ou deux, nous pourrions aller le trouver dans la chambre du capitaine. Nous y fûmes. Joséphine ayant confié au renégat le projet qu'elle avait de s'établir avec moi dans une maison de commerce à Marseille, je démêlai promptement, par les réponses du patron, qu'il avait assez d'argent pour se mettre en tiers avec nous. De ce moment je conçus le dessein de le voler, d'égorger même mes deux bienfaiteurs ; et, m'emparant de leurs richesses et de leur vaisseau, de cingler vers Livourne, au lieu de Marseille, afin de me dérober aux poursuites. Dans cette intention j'échauffai la tête de Delmas pour Joséphine, et j'engageai en même temps celle-ci à ne pas se montrer trop récalcitrante aux intentions du renégat sur elle, afin de tirer de lui une infinité d'éclaircissements et de facilités à la conclusion d'un projet que je ne pouvais conduire seul, vu mon peu d'aptitude en cette partie.
Ces premières tentatives eurent tout le succès que je pouvais en attendre ; et dès la seconde nuit Delmas coucha avec Joséphine. C'était tout ce que je désirais. A peine les crois-je ensemble, que je force la sentinelle, le poignard à la main, en réunissant autour de moi le plus que je peux des gens de l'équipage.
- Mes amis, leur dis-je, voyez à quel point ce scélérat me trahit ; je lui confie ma femme, voilà l'usage qu'il en fait.
Et tombant sur le couple endormi, je veux le percer de mille coups. Mais Delmas éveillé avait l'air de s'attendre à tout ; il tire sur moi, me manque. Je me précipite sur lui ; je le poignarde avec l'indigne objet de sa couche, et les laisse baignés dans leur sang. Remontant alors sur le tillac, je réunis l'équipage autour de moi ; je le harangue.
- Mes camarades, leur dis-je, l'horreur dont la plupart de vous ont été les témoins, m'a seule contraint à ce que je viens de faire. J'ai puni un scélérat qui n'était pas fait pour vous commander, puisqu'il portait à ce point la dépravation et l'impudeur. Delmas était de moitié avec moi dans les frais de cet embarquement ; et, quoique vous m'ayez vu sous l'habit d'esclave, je n'en possède pas moins une fortune égale à la sienne : je lui succède donc de droit. Comptez sur ma probité et sur mes talents ; je vous guiderai mieux que lui. Le voyage sera à peu près le même ; je n'y change que la destination. Pilote, dirige-nous vers Livourne ; mes relations commerciales me déterminent à préférer ce port à celui de Marseille ; et, quant à vous, mes amis, d'aujourd'hui je double votre paye.
Ce discours me valut d'universels applaudissements. On jeta les morts à la mer ; je m'emparai de toutes leurs richesses ; et nous cinglâmes.
Ô fortune ! m'écriai-je dès que je fus tranquille, tu répares donc tes torts envers moi. Ce sera sans doute ici la dernière de tes secousses, et tu finiras par me convaincre, ainsi que tous ceux qui sauront mon histoire, que si tu nous jettes quelquefois d'écueils en écueils, c'est pour nous mieux faire sentir tous les délices dont ta main nous couronne au port.
Mon compte fait, ma capture, sans comprendre le vaisseau que je vendais en arrivant à Livourne, pouvait se monter à douze cent mille livres ; et je nageais délicieusement dans les plaisirs que l'espoir fait si bien goûter à l'esprit, lorsque la sentinelle de quart avertit qu'un corsaire court sus. Reconnaissant la supériorité de mes forces, j'ordonne l'abordage ; je m'élance sur le pont, mon équipage me suit. La mort vole sous nos coups ; nous nous baignons déjà dans le sang ; je pénètre, le sabre à la main, dans la chambre du capitaine. Ciel ! quel objet frappe mes yeux !... Juste ciel ! quelle est ma surprise !... C'est Joséphine... Joséphine, que je croyais avoir poignardée sur le vaisseau de Delmas. D'un revers affreux j'abats l'homme qui veut la défendre ; puis m'adressant à elle :
- Par quelle fatalité, m'écriai-je, ton détestable individu s'offre-t-il sans cesse à mes yeux ?
- Déchire-le, cet individu qui t'excède, dit Joséphine en ouvrant son sein ; oui, presse-toi de l'anéantir cette fois-ci. Je suis coupable ; je te poursuivais, avec le dessein de t'arracher la vie : tu triomphe, perfide, rends-toi maître de la mienne ; et sache avant, si tu le veux, par quelle fatalité tu me revois, quand tu te réjouissais déjà de ma mort.
Je te connaissais, Jérôme ; tes ruses ne m'en imposèrent pas ; je les dévoilai toutes à Delmas. Te soupçonnant un violent parti parmi les matelots, nous préférâmes l'adresse à la force. Le renégat me fit évader le soir, dans la chaloupe du vaisseau, seulement escortée de deux rameurs ; et, pour mieux découvrir tes projets, passa la nuit avec une des servantes de l'équipage, que tu as prise pour moi, et que tu as sans doute égorgée avec lui, puisque c'est toi qui commande ici. Je devais, moi, fuir lestement vers un petit bâtiment que nous savions peu loin de nous, semblable à celui de Delmas, et monté par un renégat comme lui... le voilà, tu viens de l'étendre à tes pieds. Ce capitaine, prévenu par la lettre que je lui portais, devait avoir l'air d'attaquer Delmas, de le vaincre, de te mettre aux fers. N'était-il pas temps que je me vengeasse de tes perfides complots ? Tu l'emportes, Jérôme ; voilà mon défenseur sans vie ; je te le répète, hâte-toi de prendre la mienne. Si le ciel me rendait l'avantage, sois sûr que tu ne m'échapperais pas. Tu es un ingrat, dès que tu as pu faire taire en toi l'organe sacré de la reconnaissance ; et je ne veux plus être l'amie d'un monstre.
Ici la fureur se réunissant dans mon âme à tous les sentiments de dégoût et de rage qui m'avaient déjà fait proscrire cette infernale créature, je la fis aussitôt couvrir de fers et jeter dans les cales de mon bâtiment. Puis, faisant remorquer le sien par le mien, nous continuâmes de voguer vers Livourne. Mais le soir, un peu délassé de mes fatigues, venant de boire quelques bouteilles de vin grec, mon infernal vit me rappela bientôt que j'avais une délicieuse victime à lui offrir. J'avais soupé avec un petit mousse, que j'aimais beaucoup, et qui me branlottait sur mes idées. Le plus délicieux projet de vengeance enflamme aussitôt mon imagination. Je fais monter la victime dans ma chambre ; je la livre, en détail, à tous les matelots de l'équipage. Je branlais leurs engins, et les introduisais alternativement ainsi, tantôt au con, tantôt au cul. Aussitôt qu'un d'eux avait fini, je l'obligeai à distribuer cent coups de corde, tant sur les reins que sur les fesses de sa jouissance, et à lui frotter le visage de son cul. Soixante-quatre hommes lui passèrent ainsi sur le corps ; et elle reçut six mille quatre cents coups d'étrivière. J'étais le seul qui n'eût pas déchargé. Je me branlais en considérant Joséphine évanouie, à terre, au milieu de ma chambre ; j'aimais à voir là celle qui venait de tout risquer pour moi, et qui, si elle se vengeait enfin, en avait, il faut en convenir, obtenu de bien puissants droits. Jamais encore une telle irritation ne s'était emparée de mes sens ; mon foutre échappait malgré moi. Je désirais une mort horrible à cette créature ; vingt projets s'offraient à mon esprit, qui les rejetait aussitôt, comme trop faibles. Je voulais réunir sur son individu toutes les douleurs de l'humanité, et nulle ne me paraissait assez forte dès que je la détaillais.
- Ô Jérôme, s'écria-t-elle en revenant à la vie et devinant mes pensées, je pourrais vivre encore, et vivre pour t'aimer ; tu sais ce que j'ai fait pour toi ; qui de nous deux eut tort le premier ?
Mais loin de m'attendrir, la gueuse m'électrisait de plus en plus. Je la foulais aux pieds, je lui frappais le sein, je lui mordais les fesses ; je ressemblais au tigre, maître enfin de sa proie, et qui n'amuse sa fureur que pour l'irriter davantage. J'étais ivre, en un mot, de luxure et de frénésie, lorsque mes gens vinrent m'avertir que le bâtiment que nous traînions gênait infiniment la manœuvre. Ce fut alors que je me déterminai enfin au singulier projet que vous allez voir.
Je fis garrotter Joséphine, nue, au mât de ce vaisseau ; je le chargeais de poudre ; je fis couper les câbles qui l'attachaient au mien ; puis, allumant une mèche de communication, seul lien qui restât entre ce navire et nous, je le fis éclater dans les airs, et me donnai, tout en foutant mon petit mousse, le délicieux plaisir de voir retomber pour jamais dans les flots les membres déchirés de celle qui m'avait tant aimé jadis, et qui tout récemment encore venait de me rendre à la fois une fortune et la liberté... Oh ! quelle décharge, mes amis ! je n'en avais jamais fait de meilleure.
Nous arrivâmes enfin à Livourne, où j'eus l'avantage de prendre terre dans le meilleur état du monde. Je congédiai mes gens ; je vendis mon vaisseau ; et, réalisant aussitôt mes effets en traites sur Marseille, après m'être reposé quelques jours, je gagnai cette ville par terre, ne voulant plus m'exposer aux dangereux hasards d'un élément dont j'avais aussi bien éprouvé l'inconstance.
Marseille est une ville délicieuse, où l'on trouve à la fois tout ce qui peut flatter les passions du libertinage, dans l'un et l'autre genre. Chère excellente, climat divin, abondance d'objets de luxure ; en fallait-il plus pour y fixer un débauché tel que moi ! Je n'avais point repris le costume ecclésiastique ; sûr d'en recouvrer les droits dès que je le voudrais, j'étais bien aise de jouir quelque temps des libertés de l'habit du monde. Je louai une jolie maison sur le port, un excellent cuisinier, deux filles pour me servir, et deux excellents maquereaux, à l'un desquels je distribuai la classe des gitons, tandis que je chargeai l'autre de la partie des femmes : tous deux me servirent si bien, que, dans ma première année, j'avais déjà vu plus de mille fiançons et près de douze cents jeunes filles. Il existe à Marseille une caste de ces créatures, connue sous le nom de Chaffrecane, absolument composée d'enfants de douze à quinze ans, travaillant aux manufactures ou dans les ateliers, qui fournit aux paillards de cette ville les plus jolis objets qu'il soit possible de trouver. J'épuisai promptement cette classe, et ne fus pas longtemps à me blaser sur cela, comme je l'avais fait sur le reste. Toutes les fois que le crime n'accompagnait pas ma jouissance, il me devenait impossible de la trouver bonne. Je recherchai bientôt, d'après ces principes, les moyens de mettre à la fois en circulation mes heureux talents et mes goûts.
Tels étaient mes projets lorsqu'un de mes émissaires m'amena un jour une fille de dix-huit à vingt ans, de la plus délicieuse figure qu'il fût possible de voir, et sage, m'assura-t-on, comme Minerve elle-même. L'extrême misère dans laquelle elle se trouvait la déterminait seule à cette affreuse démarche ; et l'on me suppliait de la placer, si je le pouvais, sans abuser de sa détresse. Cette jeune fille n'eût-elle pas été belle comme le jour, il suffisait de l'état dans lequel on me la présentait pour m'échauffer la tête. M'en divertir et l'escroquer fut la première rouerie que mon imagination me suggéra ; et ce fut pour accomplir ce pieux projet que j'ordonnai à mon homme de se retirer, après avoir fait entrer sa proie dans mon boudoir. Frappé des traits de cette fille, il me devint impossible de pouvoir rien entreprendre, avant de l'avoir interrogée sur sa naissance.
- Hélas, monsieur, répondit-elle, je suis née à Lyon ; ma mère s'appelait Henriette ; on me nomme Hélène. Victime de la scélératesse d'un frère qui avait abusé d'elle, ma malheureuse mère périt, dit-on, sur l'échafaud. Je suis le fruit de cet horrible inceste ; et les terribles revers de ma naissance ont été cause de tous ceux de ma vie. Jusqu'à onze ans, je n'ai vécu que de charités. Une dame me prit à cet âge, m'apprit à travailler ; et je ne serais pas dans l'affreuse position où vous me voyez, si je n'avais eu le malheur de la perdre. L'ouvrage m'a manqué depuis, et j'ai mieux aimé demander mon pain, que de me jeter dans le libertinage. Soyez généreux, monsieur ; soulagez-moi, sans abuser de mon état, et vous serez couvert des bénédictions du ciel et des miennes.
Hélène baissa les yeux après ce discours, sans se douter du désordre étonnant qu'elle venait de porter dans toutes les parties de mon organisation. Il m'était impossible de ne pas reconnaître, dans cette charmante créature, l'enfant que j'avais eue de ma cousine Henriette... de cette victime infortunée de la scélératesse de mon cousin Alexandre, et de mon affreuse méchanceté... Jamais aucune fille ne ressembla davantage à sa mère ; Hélène n'eût pas dit un mot, qu'il ne m'en eût pas moins été facile de me rappeler sa naissance, rien qu'en l'examinant.
- Mon enfant, dis-je, vos récits sont pleins d'intérêt ; peut-être doivent-ils me toucher plus qu'un autre ; mais il n'en est pas moins certain que vous n'obtiendrez rien de moi, sans la plus aveugle soumission à tout ce qui va vous être prescrit. Commencez par vous mettre nue.
- Oh ! monsieur !
- Point de résistance, mon cœur, je ne les aime pas ; et vous n'avez rien à attendre de moi, si vous ne vous prêtez avec la plus entière résignation à toute l'étendue de mes caprices.
Des larmes furent la réponse d'Hélène ; et, quand elle crut s'apercevoir, à la brutalité de mes actions, que j'avais peu envie d'écouter ses prières, elle céda, en couvrant mon sein de ses pleurs. Hélène avait trop de charmes et trop de titres sur l'âme d'un libertin tel que moi, pour que je pusse seulement concevoir l'idée de la ménager. On n'eut jamais une plus belle peau, jamais un cul si frais et si potelé, jamais un pucelage plus certain. Mon vit, furieux, le pourfendit bientôt ; j'atteins le fond, j'y darde un foutre écumeux ; et ma triste fille devient bientôt mère à son tour. Telle fut, mes amis, l'origine de la naissance d'Olympe, que vous me voyez foutre encore tous les jours dans votre sérail, et qui réunit, comme vous le voyez, le triple honneur d'être à la fois ma fille, ma petite-fille et ma nièce.
Je passai bientôt, avec Hélène, de l'inceste à la sodomie. J'encule ce délicieux résultat de ma couille. Du cul je passe à la bouche : elle eût eu mille jouissances à me présenter, que mes fougueux désirs n'eussent pas encore été satisfaits. Las de foutre, je la fustigeai, je la souffletai, je la fis chier. Il n'y eut pas une seule lubricité dont je ne la rendisse victime, pendant plus de quatre heures que dura cette première séance. Rassasié de luxure, je crus devoir lui déclarer enfin à qui elle avait eu à affaire.
- Hélène, lui dis-je en la tenant encore toute nue sur mes genoux, aurais-tu quelque répugnance à retrouver ce père incestueux qui fit pendre ta mère après l'avoir foutue ?
- Vous me faites frémir.
- Et si ce monstre existait... s'il était dans tes bras, Hélène... dans ton cul... Et je m'y enfonçais en disant cela. Hélène s'évanouit. Mes violentes secousses au fond de son derrière la rappelèrent bientôt à la vie. Je déchargeai. Mon enfant, dis-je dès que j'eus fini,

Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur
Eh bien, connais ton père et toute sa fureur.

Oui, c'est à moi que tu dois la vie. Le frère de ta mère et moi fûmes cause de la mort de cette mère infortunée ; mais tout est réparé par l'enfant que je viens de travailler à te faire. Demeure avec moi ; j'ai besoin d'une femme qui serve mes plaisirs, et qui veille à mes intérêts ; sois cette femme ; et point de scrupules. Souviens-toi qu'il faut se prêter à tout avec moi. Tantôt victime, et tantôt directrice, il n'est pas un seul de mes désirs que tu ne doives servir ; et, à la plus petite résistance, je ne m'en tiendrais peut-être pas à te replonger dans l'affreux état où tu t'es offerte à mes yeux : l'un des conspirateurs des jours de ta mère, pourrait bien devenir ton bourreau.
Hélène se jette à mes pieds ; elle me supplie de ne plus penser aux torts de celle qui lui a donné le jour et me promet de me les faire oublier par une soumission sans bornes. De ce moment, je l'installai dans ma maison, à titre de gouvernante ; et la douce Hélène, dans Marseille, remplaça ma Clementia de Messine.
Ce fut quelques temps après cette rencontre que je devins éperdument amoureux d'un jeune garçon de seize ans, beau comme Adonis, mais dont la froideur, occasionnée par l'amour qu'il ressentait pour une jeune fille de son âge, me désespérait chaque jour. Imbert, c'était le nom du jeune homme, m'avait pourtant accordé sa confiance, et bientôt même son amitié, en raison des facilités que je lui procurais de voir sa maîtresse chez moi. Euphémie était grande, faite à peindre, d'une figure agréable, sans doute, mais infiniment inférieure en attraits au délicieux jeune homme dont j'avais la tête tournée. Ami du père et de la mère d'Euphémie, avec lesquels je m'étais lié, uniquement par rapport au dessein que j'avais de servir Imbert, il se passait peu de jours que nous ne nous visitassions mutuellement. Ce fut au sein de cette intimité que je conçus, pour jouir d'Imbert, le plus infernal projet qui fût encore sorti de mon cerveau. Je commentai par noircir étonnamment le jeune Imbert dans l'esprit des parents d'Euphémie ; et, à force d'art et de ruses, je fis tomber le jeune homme dans de tels piéges, que j'achevai de le rendre odieux aux auteurs des jours de sa maîtresse. Les choses une fois en cet état, il ne me fut pas difficile d'aigrir Imbert à son tour contre des gens dont il paraissait si mal vu ; et de l'aigreur au crime, dans une âme ardente il n'y a bien souvent qu'un pas. Imbert comprit qu'aussi longtemps que les parents d'Euphémie seraient au monde, il ne devait jamais compter sur le bonheur. Cependant ceux-ci étaient jeunes et Imbert très impatient. Je profite d'un moment d'ardeur. Par un discours insidieux, j'offre à la fois le mal et le remède. Imbert, séduit, n'est plus inquiet que d'une chose.
- Euphémie voudra-t-elle du meurtrier de ses parents ?
- Et pourquoi lui révéler cette action ?
- Elle s'en doutera.
- Jamais. D'ailleurs, j'agirai, moi ; ce n'est que votre consentement que je demande.
- Oh ! ciel, doutez-vous que je ne vous le donne ?
- C'est par écrit que je le veux.
- J'y consens... Et voici l'écrit qu'Imbert me donna :

« Excédé des persécutions que j'endure, je prie mon ami Jérôme de m'acheter du réalgar, pour faire promptement périr les parents d'Euphémie, qui s'obstinent à me refuser leur fille. »

La débilité, la confiance de la jeunesse, la fait, comme on le voit, tomber dans bien des pièges. Quelque peu fardé que fût celui-ci, le brave Imbert s'y prit sans réflexion ; et je ne fus pas plutôt maître du billet, que j'empoisonnai dans un souper les ennemis de mon amant. Euphémie n'eut aucun soupçon ; mais le grand deuil et sa douleur l'obligèrent néanmoins à s'absenter quelques semaines. Une vieille tante l'emmena à la campagne.
- Imbert, dis-je au jeune homme, voilà une manœuvre que je n'aime pas. L'absence peut refroidir votre maîtresse ; on peut renouveler dans son âme les impressions de ses parents. Ne la laissons point là ; donnez-moi de nouveaux pouvoirs et je cours l'arracher.
Imbert signe une seconde fois tout ce que je veux.
A la tête d'une troupe de bandits que je paye au poids de l'or, je m'introduis dans la campagne de la tante ; je la poignarde de ma main ; mes gens, à qui j'abandonne le pillage de cette riche métairie, se défont promptement de tous les domestiques. Euphémie est conduite dans une campagne isolée, à dessein louée par moi, près de Marseille ; j'y mène Imbert et Hélène. Et là :
- Mon ami, dis-je au jeune homme, vous voyez tout ce que je fais pour vous ; il est bien temps de m'en récompenser.
- Qu'exigez-vous ?
- Votre cul.
- Mon cul ?
- Vous ne posséderez pas Euphémie que je n'aie obtenu ma demande.
- Oh ! Jérôme, vous savez combien j'ai ce crime en horreur !
- Imbert, voilà votre maîtresse ; vous l'entendez, poursuivis-je en l'engageant à prêter l'oreille à une conversation que je faisais exprès tenir entre Hélène et Euphémie ; si vous ne vous laissez pas enculer, jamais vous ne la posséderez.
- Eh bien, satisfaites-vous donc, méchant homme ; mais qu'Euphémie n'en sache rien... Elle me prendrait en horreur...
- Oh ! croyez que jamais... Et mon vit furieux pénétrait, en disant ces mots, dans le plus délicieux derrière que j'eusse foutu depuis longtemps. Je lime, je pourfends ce beau jeune homme ; je lui remplis le cul de foutre, mais sans calmer la violente agitation dans laquelle je suis. Ce sont des horreurs que j'ai conçues, ce sont des horreurs, qu'il faut à mon âme pourrie. Un moment, dis-je au jeune homme en me retirant de son derrière. Et, après l'avoir enfermé dans ma chambre, je vole dans celle où est Euphémie.
- Tenez-moi cette fille, dis-je à Hélène ; il faut que je la foute.
Des cris se font entendre ; de barbares précautions les étouffent bientôt, et me voilà dans le joli con vierge de la maîtresse, encore tout palpitant des plaisirs que vient de me donner le cul de l'amant.
- Allez me chercher le jeune homme que j'ai enfermé dans cette chambre voisine, dis-je à Hélène, faites-vous aider d'un de mes gens, et surtout contenez-le bien quand il entrera.
Imbert paraît. Si son étonnement est inexprimable, le plaisir que j'éprouve au moment qu'il entre l'est bien autrement sans doute.
- Scélérat ! me dit Imbert en voulant se jeter sur moi, ô monstre infernal ! Mais il est bien tenu.
- Mon ami, répondis-je au jeune homme, sans m'effrayer de ses menaces, tu vois ce poignard, j'en perce à l'instant le cœur de l'objet de tes vœux, si tu ne viens pas me faire baiser ton cul, pendant que je le fous.
Imbert tremble ; son amie, qui ne peut parler, l'encourage du doigt ; il se place. C'est pour moi le signal d'un changement de main ; je passe lestement du con au cul, sans varier l'attitude de ma jouissance, et je m'enivre du divin plaisir de baiser les fesses de l'amant, en sodomisant la maîtresse. Mais le malheureux Imbert, qu'Hélène contient à mes transports, ne sait pas jusqu'où j'ai porté la perfidie au moment précieux de la crise... En ce moment terrible, où le libertin sans principe se plonge avec tant de délices aux derniers raffinements de l'infamie. Je le fais descendre ; je lui montre sa maîtresse, noyée dans le sang, et traîtreusement percée par moi de seize coups de poignard dans le cœur et dans les tétons. Il s'évanouit. Hélène le rappelle au jour ; mais il ne reprend ses sens que pour voir expirer Euphémie, et pour m'accabler d'invectives.
- Jeune imprudent, lui dis-je en jouissant délicieusement de mon crime ; vois tes billets, et tous les droits que tu m'as donnés sur toi... Si tu dis un mot, je te perds ; ce meurtre-ci, lui-même, sera réputé ton ouvrage ; Hélène et moi témoignerons de tes atrocités, et tu périras sur un échafaud. Je bande encore ; voyons ton cul. Je foutis autrefois une maîtresse sur le cadavre de son amant ; je veux aujourd'hui foutre l'amant sur celui de sa maîtresse, afin de pouvoir prononcer sur celle de ces deux actions qui procure le plus de plaisir. Jamais égarement ne fut semblable. Hélène me faisait baiser son beau cul ; pendant tout cela, le valet qui l'avait aidée, m'enculait ; je foutis le cadavre d'Euphémie ; je le fis foutre à son amant. Rassasié d'horreurs, j'envoie chercher l'officier de justice. Hélène et moi nous déposons contre Imbert ; les billets font foi. J'ajoute qu'ayant, malgré nous, conduit sa maîtresse dans cette maison, voilà où sa jalousie l'a porté. Imbert, malgré son jeune âge, se trouve convaincu de crimes si atroces qu'il est exécuté. Et je respire ! et moi, l'instrument, l'auteur de tous ces désordres, je vis en paix ! Le ciel me réservait à en commettre d'autres ; j'y mis un peu d'intervalle. Hélène n'était pas sûre ; elle bavardait. Je suivis le système de Machiavel : « Ou il ne faut jamais de complices, dit ce grand homme, ou il faut les égorger, après s'en être servi. » Dans le même mois, dans la même campagne, dans la même chambre, Hélène fut condamnée par moi au supplice le plus violent que j'eusse encore fait endurer à aucune victime. Je revins de là tranquillement à Marseille bénir le sort du succès toujours assuré qu'il lui plaisait de donner à mes crimes.
Je passai encore quelques années dans cette ville, sans qu'il m'arrivât rien de fait pour vous intéresser : beaucoup de libertinage, d'escroqueries, de petits meurtres secrets, mais rien d'éclatant. Ce fut alors que j'entendis parler de votre célèbre abbaye de Sainte-Marie-des-Bois. Le désir de m'associer avec vous me fit naître celui d'une conversion simulée d'une reprise d'habit. J'appris que cela était possible, moyennant quelques sacrifices à la daterie de Rome. Je volai dans cette capitale de la superstition chrétienne ; je fis au Saint Père une espèce de confession générale ; je demandai ma rentrée dans l'ordre ; je donnai la moitié de mon bien à l'Église, et j'obtins, par cette généreuse cession, la réintégration de tous mes droits, et la permission d'habiter Sainte-Marie. Telle est l'époque qui m'a réuni à vous, mes chers confrères. Dieu veuille m'y conserver longtemps ! Car si le crime a quelques attraits ailleurs, il en a sans doute bien plus ici, où, commis dans l'ombre et dans le silence, il est exempt de toutes les craintes et de tous les dangers, qui ne l'accompagnent que trop souvent dans le monde !