Chapitre XV

Mauricette bondit jusqu’à moi, ravie que j’eusse écourté la scène aux dépens de l’art dramatique. Elle ne voulait ni que Charlotte fût toujours la cause de l’état où elle m’avait mis, ni que je retombasse dans l’indifférence par distraction ou faute de soins.

Aussitôt, elle eut la pensée d’une nouvelle scène ; mais auparavant, elle lança une de ces phrases que les filles de Teresa disaient si naturellement et qui me laissaient chaque fois dans une stupeur sans bornes.

« Lili, cria-t-elle. Fourre-moi ta langue dans le cul pour voir si j’ai encore de la moutarde ! »

Et pendant que Lili soulevait le losange de l’arlequine, Mauricette répéta :

« C’est effrayant ce que le trou du cul me démange ! Non ! maman l’a fait exprès de me mettre en chaleur par-derrière. Oh ! tu m’enculerais douze coups avant de me dépuceler cette nuit !… Eh bien, Lili ? Quoi ?

— Ben, dit Lili, ça sent le foutre, la gousse, le caca, la putain, la moutarde, la guimauve, la queue, le jus de chat, la peau d’Espagne, le caoutchouc du godmiché, les suppositoires, le fond de bidet, le rouge pour les lèvres, la serviette à cul, la vaseline, l’amidon, le musc, les chiottes de bordel et des saloperies que je n’ose pas dire.

— Que je n’ose pas dire ! répéta Ricette. Merci ! oh ! merci ! Viens que je te foute une claque.

— Rends-moi plutôt ce que je viens de te faire, dit Lili avec toupet et en s’approchant sans la moindre défiance.

— Regarde, me dit Ricette. Regarde si elle le sait qu’elle ne l’aura pas, sa claque ! Regarde si c’est malin pour son âge ! La seule putain de la famille, je te dis ! Elle vient de me faire une de ces feuilles de rose à fond… Je la sens encore.

— Oui ! T’en ferais pas autant, dit Lili très calme. Mais si je suis putain, ça vaut bien six sous, comme dit Charlotte.

— Un ! Deux ! Trois ! Quatre ! Cinq ! Six ! Payé ! dit Ricette avec six baisers. Plus… »

Et elle lança gaiement ce « plus » en faisant l’s, comme il est de tradition à la Comédie-Française quand on annonce le crocodile de l’usurier moliéresque.

« Plus ! en l’honneur des circonstances, une prime exceptionnelle et gratuite. Ce que je tiens à la main est à moi pour toute la nuit, mais une fois maman l’a eu par le con et Charlotte par la bouche, pendant que Lili soupire et nous dit qu’elle se brosse la fente en regardant si ses poils poussent.

— Ils poussent pas ! insista Lili gravement.

— Alors, à titre de prime et avec la permission de monsieur, nous allons faire une scène à trois où l’écolière ici présente aura mon amoureux pendant une minute, à la condition de me le rendre.

— Fais attention ! fit Lili, sérieuse. Devant Charlotte, il a bandé sans le vouloir. Avec une aussi belle femme que moi, il est foutu de décharger. »

Ce jeu présentait à mes yeux une curiosité franchement négative, donc assez rare et intéressante, comme tout ce qui est le contraire d’un idéal connu. Pour le dire en d’autres termes, ces petites scènes érotiques avaient aussi peu de rapport avec la dramaturgie qu’avec l’amour.

Je le répète sans craindre les redites. Ayez la bonté de ne pas croire que j’invente ce théâtre enfantin. Si vous jugez que mon style n’est pas celui d’un primaire, faites-moi la grâce de supposer que ces dialogues de courtisanes ne sont pas le fruit de mes veilles. Je les ai notés parce qu’ils m’ont paru plus « jeunes filles » que « putains », malgré leurs jeux de scène et leur vocabulaire : contraste qui m’amusait ; mais, comme les dessins d’une enfant, ils perdraient tout caractère sous la retouche.

Avant de jouer, je prévins Ricette que je reprenais un état physique moins rehaussé d’ostentation, et que je n’aimais point à me montrer sous un aspect ridicule ! On me donna donc un peu de repos à cet égard ; pas pour longtemps.

La scène commença par un fortissimo comme une symphonie classique.

Sans avoir rien préparé :

« Tu sors de l’école, ma petite fille ? dit Ricette. Ce n’est pas vrai. Il est sept heures. Ta maman a dû te gronder.

— Oui, elle m’a foutu la main sur la gueule parce que je suis rentrée avec un godmiché dans le derrière. Que je m’en doutais même pas. »

Les débuts de Lili étaient toujours imprévus, mais délibérés. Lili dirigeait la scène ; et de toutes les choses singulières que j’ai vues dans sa famille, c’est aujourd’hui celle qui m’étonne le moins. Ricette encore s’en étonnait pourtant et rit derrière sa main avant de reprendre :

« Tu l’as encore ? À qui est-il ?

— Est-ce que je sais ? Y a tant de salopes qui m’enculent… Et comme je leur tourne le dos, je peux pas les reconnaître. Ma mère a gueulé comme ça : “Encore une putain de gougnotte qui t’a oublié sa pine dans le cul !” ; c’est pas vous, mademoiselle ?

— Moi ? C’est moi la salope qui t’encule ? C’est moi la putain de gougnotte qui…

— Oh ! moussez pas ! J’ai répondu : “C’est dans l’escalier, maman. — Ben ! qu’elle a dit, va donc chez la grue d’en face voir si c’est pas à elle, ce godmiché-là.” Je fais un acte de probité, mademoiselle, en vous le rapportant.

— Et moi je te le renfonce ! A-t-on jamais vu des gosselines pareilles qui font des visites de cérémonie avec un godmiché dans le derrière ? Et qui ne vous passent même pas la langue par-devant ?

— Non ! Je m’y reconnaîtrai jamais avec toutes les espèces de gousses : Y en a qui vous enculent ! Y en a qui vous débarbouillent avec ce qu’elles déchargent… On baise plus avec elles qu’avec les michetons…

— Comment, tu es dépucelée à ton âge ?

— Oh ! là ! là ! Miséricorde ! Qu’est-ce qui me tombe sur le bout du nez ! Il faudrait que je sois pucelle pour vous passer la langue dans le cul ! Ben ! vous en avez pas, du vice ! Pourquoi le Bon Dieu m’a-t-il donné deux trous si c’est pas pour que je m’en serve ?

— Moi, je ne me sers que d’un.

— N’y a pas de quoi vous vanter. »

Jamais Lili ne cherchait une réplique ; et Mauricette, dont le bagout nous avait amusés une heure auparavant, sentit qu’il valait mieux pour elle quitter le dialogue pour le couplet où elle brillait davantage :

« Et si, au lieu d’un godmiché, je te donnais une queue toute vivante ?

— J’aimerais mieux ça que la queue d’un macchabée dit Lili avec calme. Je ne suce que les queues vivantes.

— Attention ! si tu en veux une, tu vas me dire merci d’avance et me faire un joli petit travail de gousse pendant que mon ami dort dans la chambre à côté. Des baisers sur la figure, la langue autour de l’oreille et les dents derrière le cou ; c’est le commencement. Ensuite, tu me fais minette au bout du nichon droit et au bout du nichon gauche jusqu’à ce que je dise : “assez”. Tu laisses trembler ta langue tout autour du ventre, légèrement et sans mouiller ; tu mordilles les babines du chat, ta langue passe dessous, me fait à peine feuille de rose comme si elle n’osait pas, puis se fourre dedans, revient, et travaille mon pucelage dans tous les petits coins… Enfin, elle attaque le bouton ; et quand j’aurai fini de jouir, je te donnerai une belle queue chaude pour jouer avec.

— Oh ! mademoiselle, fit Lili sans aucun enthousiasme, ça vaut plus qu’une queue, ce petit travail-là. Ça vaut cinquante francs. »

La réponse qui fit la joie de Teresa me prouva que Ricette voyait juste en prétendant que Lili avait l’instinct de son métier ; mais c’était à moi de jouer : je faillis rater mon entrée.

Dès le premier mot, Lili redressa le sujet et se mit en avant :

« Bonjour, m’sieu. Mademoiselle vient de me dire qu’elle est vraiment trop moche pour vous et qu’il y a longtemps que vous l’auriez plaquée si elle ne vous donnait pas des distractions. Alors, elle est obligée de s’habiller en arlequine et de vous présenter des écolières. Vous êtes un peu maboul, n’est-ce pas ? Oh ! ça fait rien ! Je suis habituée. »

On ne lui avait rien dit de tout cela. « Quel culot ! » fit Mauricette entre ses dents. Mais Lili continuait :

« Ces grandes filles-là, ça sait rien faire, voyez-vous. Elles ont des pucelages partout, on les tourne dans tous les sens avant de trouver où est l’entrée. Et quand une fois elles sucent la queue, alors c’est tellement épatant qu’elles invitent toute la famille pour avoir des applaudissements, comme si elles avalaient un sabre !

— Ah ! mais tu vas te taire, morpionne ! dit Ricette, énervée par les rires de sa mère.

— Oh ! mademoiselle, fit Lili, très calme, ne vous donnez pas la peine de me fouetter. Je n’aurai pas besoin de ça pour faire bander votre amant, et je ne marche pas comme vous pour les scènes de torture. Allez donc faire pipi. Revenez dans cinq minutes, apportez-moi le fafiot et je vous rendrai monsieur. En bon état. Allez. »

L’autorité de Lili s’affirmait à chaque réplique. Mauricette elle-même, après deux regards jetés à sa mère et à moi, prit le parti de rire, de se retirer, de ne pas répondre et enfin « d’aller faire pipi » comme on venait de l’y inviter.

La suite de la scène me gênait par avance et, ne sachant comment jouer le rôle du monsieur qui se fait présenter des petites filles par sa maîtresse en arlequine, je fus content de voir Lili redresser le sujet pour la seconde fois par un tutoiement que je n’attendais guère :

« Ah ! ce qu’elle est vicieuse, ta poule ! Elle sait que t’as couché avec moi ; elle m’a fait une leçon de gousserie pendant une demi-heure ; et puis, elle est allée se branler aux cabinets et elle veut que tu m’enfiles quand elle rentrera. Le président de la cour d’appel n’en demande pas tant avant de se mettre à poil. »

Je conte mal cette histoire si vous ne comprenez pas le fou rire qui m’empêcha de répondre à la dernière phrase. Lili seule ne riait pas. Elle était même pressée et releva sa robe d’écolière jusqu’à la ceinture.

« Dépêchons-nous ! C’est sérieux ! Si tu ris, tu vas me rater ! »

Je le savais bien ; mais Lili me donnait beaucoup plus de gaieté qu’elle ne m’inspirait de concupiscence, et la jovialité bruyante de Teresa troublait sans cesse les efforts que je faisais pour rester grave. Il s’en fallut de peu que le flagrant délit ne fût manqué. Par hasard, Mauricette prolongea son absence de quelques minutes : cela seul permit à Lili de continuer la scène selon ses conceptions et lui donna l’accessoire qui lui était indispensable.

Dès la rentrée de sa sœur, Lili reprit son rôle :

« C’est vrai, mademoiselle, que vous travaillez monsieur depuis avant-hier, sans arriver à rien ?

— Penses-tu, grenouille ! Je l’ai sucé à dix heures et demie, il m’a enculée à onze heures…

— Que vous dites ! mais il était mou comme une loque devant vous, et voilà comment j’ai le plaisir de vous le rendre. C’est vingt francs. Voulez-vous une facture ? »

Mauricette fit un geste de la main qui menaçait Lili de quelques représailles ; mais elle resta de bonne humeur et, sans se martyriser l’imagination, elle dirigea son rôle de façon à tenir sa promesse :

« Je n’ai pas d’argent, dit-elle, mais ce que tu tiens vaut mieux. Prends-le la première, ne me l’abîme pas, rends-le-moi et nous serons quittes. »

Lili eut alors l’expression la plus comique de toutes : un mélange de désillusion, de politesse et d’indifférence, et, cessant de me toucher, elle dit à sa sœur :

« Ce sera vingt francs de plus. »

Visiblement, Mauricette n’attendait qu’un prétexte pour se montrer bonne joueuse : un mot qui ne serait pas une raillerie à son adresse. Elle embrassa Lili en riant, puis l’empoigna par la taille, lui releva les jupes et me dit :

« Tiens ! Prends-la par où tu voudras ! »

Une autre gosse eût trouvé drôle de crier : « Maman ! on me viole ! ». Mais Lili ne faisait jamais de gaffes et d’ailleurs elle avait quelque chose de plus pressé à nous dire, ou plutôt à nous rappeler :

« Mademoiselle ! Mademoiselle ! mais je suis une écolière ! J’ai mon pot de vaseline dans mon petit panier !

— Ah ! fais donc ton étroite ! dit Mauricette. Est-ce que tu as besoin de vaseline ? Je vais te cracher dessus. Tiens-toi bien ! »

Et Lili s’étant placée comme pour jouer à saute-mouton, Ricette se mit à cheval sur elle, mais à rebours et sur la nuque pour lui fourrer la langue partout où je pouvais m’introduire. Puis, lui tenant la taille entre ses deux cuisses, elle me dit avec entrain :

« Maman a deux cons, parce qu’elle a autant de poils derrière que devant ; mais quand Lili ouvre ses fesses, dirait-on pas qu’elle a deux trous du cul ?

— C’est encore mieux », dit Lili qui répondit la tête en bas.

Celui que je pris était pourtant bien un petit sexe et ai-je besoin de dire avec quelles précautions ? Oui ; il est même utile que j’y insiste pour accentuer le caractère moralisateur de mon écrit. Apprenez donc, lecteur ingénu, que le jour où vous baiserez une petite fille en levrette, si vous ne la ménagez pas, vous la défoncerez et vraisemblablement elle ne survivra guère ni à vos maladresses ni même à vos excuses. Rien n’est plus dangereux que de prendre une enfant dans une telle posture. Je ne dis pas cela pour les lycéens qui enculent leurs petites sœurs ; je le dis pour ceux qui les baisent et qui risquent de les crever tant qu’ils n’auront pas lu cette page.

Une des erreurs populaires les plus répandues est celle qui concerne les déflorations précoces. Beaucoup d’hommes se sont laissé dire que pour bien dépuceler une petite fille, il faut que le pénis la perce par la vulve et ressorte par la bouche, ou bien que, vice versa, il pénètre par le pharynx et reparaisse entre les pattes. Je n’ai jamais essayé ce tour de force. Les bons anatomistes à qui j’en ai parlé m’ont déconseillé d’en faire l’expérience. Je vous le déconseille à mon tour. Vous ne me direz plus que mon livre ne peut être laissé entre toutes les mains.

Comme la vertu n’est pas toujours récompense, ma prudence et mes scrupules reçurent peu de plaisir en échange.

Cessons toute mauvaise plaisanterie. Jouir d’une femme à l’instant où j’en étreins une autre… ah ! que cela est contraire à mon tempérament ! Je goûte si peu la tromperie en amour que je répugne même à l’adultère, et j’aime mieux vous conter cette histoire de putains que d’écrire ici par quels stratagèmes j’ai mystifié un homme cent fois pour escamoter sa femme.

Sous Mauricette et moi, la petite Lili me parut jouer son rôle tout à fait ridicule, car la plus cocue des deux n’était pas pour moi celle qui m’embrassait ; et cette complication plus sentimentale que charnelle, ce renversement des réalités sous les chimères me causa un tel trouble que je fis à Mauricette un signe de tête.

On ne pouvait nous entendre. Elle me dit tout bas :

« À moi, maintenant ?

— Plus que tu ne penses. Ne me répète plus cette histoire de moutarde, c’est fini. Je te dépucelle. »

Son regard flamba ; elle dressa les seins, ouvrit les lèvres pour crier : « Oui ! ». Mais elle se tut ; et, par un brusque virage de sa volonté fantasque, elle murmura :

« Viens ! je te dirai ça derrière la porte ! »

Gentille, elle embrassa Lili, lui chatouilla les côtes, la fit rire, la jeta, pour l’occuper, dans les jambes de sa mère et sortit vivement sur mes pas.

« Lequel de nous deux en a le plus envie ? dit-elle en me serrant.

— C’est moi.

— Ce que tu te fourres le doigt dans l’œil… Enfin ! Merci de le dire et tant mieux si tu le crois… Attends encore une heure, veux-tu ? »

Mon visage pâlit, changea et elle me vit mécontent avant que j’eusse ouvert la bouche.

« Alors, il faut que je te dise tout ! fit-elle en me serrant davantage. Tu n’as pas entendu ce que disait maman ? J’ai un pucelage en cuir comme était celui de Charlotte… Ce sera une boucherie… »

Ah ! elle avait trouvé le mot qu’il fallait dire pour ne plus me tenter du tout.

« Je suis contente, poursuivit-elle. Plus tu me feras du mal, plus tu me feras du bien ; mais quand ce sera fini, je serai à moitié morte… D’abord, je voulais tout de suite. Mais maintenant… on joue… je m’amuse… Je ne m’amuse pas toujours…

Elle acheva ces mots en inclinant la tête et presque avec la voix de Charlotte. Je me sentis si confus de l’avoir attristée que je lui promis de faire tout ce qu’elle voudrait et que je résolus même de m’amuser autant qu’elle. Comme je prends rarement une résolution, j’aime qu’elle soit conçue avec témérité.