Chapitre XVI

Charlotte sourit quand nous rentrâmes. II lui avait suffi de serrer sa coiffure, d’essuyer son rouge, d’enlever son tablier et de mettre un col en ôtant son ruban de cou… Dans sa robe noire, avec son air doux et triste, elle avait l’air maintenant d’une institutrice orpheline placée dans une famille par une œuvre charitable.

Elle s’assit devant un guéridon avec sa petite élève et dit sans aucun espoir d’obtenir une bonne réponse :

« Quelles sont les sous-préfectures de la Haute-Loire ?

— Si vous saviez ce que j’m’en fous ! dit Lili.

— Vous n’avez pas appris vos leçons ?

— Si. J’en ai appris une. Montrez-moi vos poils d’abord et je vous la dirai après.

— Quelle enfant ! mon Dieu ! Quelle enfant ! Est-ce que vous allez me demander cela tous les jours parce que j’ai eu la faiblesse de vous l’accorder une fois ?

— Ça m’étonnerait pas de moi.

— Je suis votre institutrice, vous ne faites rien de ce que je vous ordonne et cela ne vous suffit plus de me désobéir, il faut maintenant que je me plie à tous vos caprices ?

— J’allais le dire.

— Et après, vous me réciterez la leçon que vous avez étudiée ?

— Oui.

— Et vous comprendrez que je suis trop bonne, trop indulgente pour une petite fille aussi déréglée, aussi intraitable que vous ?

— Oh ! vot’gueule, mam’zelle ! fit la petite sur un ton inouï. Ça va bien ! ne me faites pas chier. Fermez-la, ouvrez les pattes, montrez-moi vos curiosités et ravalez vos boniments par la gargoulette. Quand je vous demande à voir un con, c’est pas de vous tout entière que je parle. »

Charlotte se ferma la bouche en effet. Elle avait le rire facile comme les larmes. La main sur les lèvres, elle releva ses jupes et laissa Lili se livrer à toutes ses fantaisies d’improvisation :

« Je l’ai bien vu, maintenant ! Je sais comment il est, et si vous ne faites pas ce que je veux, je le dirai à tout le monde que vous me l’avez montré pour me pervertir.

— Qu’est-ce que vous voulez donc, méchante enfant ? dit Charlotte en reprenant sa triste voix.

— C’est moi qui vous ai chipé le paquet de lettres de votre copine où il n’y a que des cochonneries. Je sais tout. Eh ben ! Vous en faites des tours de putains toutes les deux !

— Je suis perdue…

— Oh ! foutue ! vous pouvez le dire, ça ne vous salira pas la langue autant que de me lécher le derrière, comme vous allez me lécher.

— Moi ?

— Oui, vous ! Et si vous ne me le faites pas, je courrai dire à maman que vous avez voulu me le faire ! »

De tous les mots de Lili, celui-ci est un de ceux qui m’ont le moins étonné. J’ai toujours cru que la femme de Putiphar devait avoir une douzaine d’années, et non quarante ans comme certains peintres l’imaginent. J’en appelle d’abord à ceux qui ont vécu en Orient et ensuite à vous, qui me lisez, si la psychologie des petites filles ne vous est pas trop mal connue.

L’écolière obtint de son institutrice la complaisance qu’elle exigeait et qui n’avait rien d’invraisemblable : les maîtresses de pension le font à leurs élèves plus souvent que les parents ne le pensent.

Lili garda quelque silence pendant que Charlotte à genoux, toujours prête à s’humilier, prolongeait un peu le jeu de scène. Mais Lili ne sortait point de son rôle et si elle prit un temps, ce ne fut que pour mieux détacher, de sa petite voix indifférente, un :

« J’aime beaucoup mieux ça, mademoiselle, que de vous réciter les sous-préfectures de la Haute-Loire. »

Et elle ajouta gentiment :

« Voulez-vous aussi ma langue, vous ?

— Par-devant », dit Charlotte, qui s’assit et se renversa, levant sa jupe des deux mains.

Lili s’agenouilla, mais la fit attendre et devint taquine en considérant l’état de sa sœur :

« Oh ! ne mouillez pas tant, mademoiselle ! Vous m’en donnez trop pour mon âge. C’est pas la dose pour enfants, ça doit être la dose pour adultes… Eh ! mais qu’est-ce qui lui prend ! La voilà qui se branle ! Assez ! Assez ! Pas d’inondations ! »

Elle écarta le doigt de Charlotte, colla sa bouche au même point… et la scène à peine commencée fut suspendue par un coup de théâtre.

Teresa, en peignoir, traversa la chambre à grands pas, prit le rôle de la mère, interpella Charlotte :

« Ah ! voilà les leçons que vous donnez à ma fille, mademoiselle ?

— Oh ! madame !…

— Je vous confie une enfant de dix ans pour lui apprendre le français, l’histoire, la géographie, les langues vivantes, et voilà quelles langues vous lui enseignez ? Va dans ta chambre, Lili ! Et vous, mademoiselle, venez dans la mienne. »

Teresa, parlant à la cantonade, se tourna vers Mauricette assise sur mes genoux et dit :

« Je n’ai pas envie de jouer, j’ai envie de jouir. Aussi, ça ne traînera pas. »

Puis, saisissant le bras de Charlotte, elle reprit d’un ton plus doux :

« Mademoiselle, j’ai trouvé cette nuit dans le tiroir de ma fille le paquet de lettres qu’elle vous a pris. Votre amie vous traite de gousse, de putain… C’est effrayant ! Elle parle sans cesse de votre langue… Elle vous demande combien de fois vous vous branlez pour elle.

— Ah ! madame ! Voulez-vous que je me tue ?

— Ne vous troublez pas.

— Je suis une misérable créature.

— Confessez-vous et je vous pardonne.

— Mais j’ai tous les vices.

— Moi aussi. »

Et Teresa nous jeta un regard pour accuser encore sa désinvolture à mener d’un bon train les scènes dramatiques. La conclusion fut celle que l’on devine, et ce qu’elle eut de plus curieux pour moi lui vint de Lili, qui eut assez de tact pour ne pas troubler sa mère en prenant une revanche sur son flagrant délit.

Elle attendit que tout fût terminé ; puis, toujours en travail d’imagination et d’initiatives, elle alla parler tout bas à sa mère et à sa sœur, parut leur dicter la suite de leurs rôles et cria vers nous :

« Second acte, huit jours après ! »

Comme au début du premier acte, l’institutrice et l’écolière s’assirent devant le guéridon.

« Vous savez beaucoup mieux vos leçons depuis huit jours, dit Charlotte. Mais qu’est-ce qui vous fait rire ? Soyez plus respectueuse !

— C’est un de vos poils du cul, mademoiselle, qui m’est resté entre deux dents et qui me chatouille le bout de la langue… Non, je crois que c’est plutôt un poil de maman… Mais je ris pour ça, je vous assure. Je ne ris pas parce que vous avez l’air tourte.

— Lili !… Allons ! récitez les deux pages que vous avez apprises hier. Qu’est-ce qu’une petite fille ? »

Mauricette, au dernier mot, tressauta sur mes genoux et me dit tout haut :

« Écoute ça ! C’est le catéchisme qu’on avait écrit pour Charlotte quand elle était petite et Lili le sait par cœur. »

Charlotte répéta… et Lili répondit en ânonnant exprès, comme si elle ne comprenait rien, ce qui donna quelque drôlerie à ses antiennes.

« Qu’est-ce qu’une petite fille ?

— C’est une petite saloperie qui ne pense qu’à tâter les cons et les pines, qui se branle du matin au soir, pisse partout, lève sa robe et montre son cul pour voir celui des autres.

— À quoi peut servir une petite fille ?

— On se le demande.

— Quel miracle a fait la bonté de Dieu en faveur des petites filles ?

— Ce miracle est le don qu’elles ont reçu presque toutes de faire bander les messieurs comme si elles étaient des femmes.

— Expliquez-vous.

— C’est un mystère.

— Et qu’est-ce que la bonté du Créateur leur a donné de plus ?

— Le Créateur leur a percé d’avance deux trous et une bouche, afin qu’elles n’aient pas l’humiliation d’avoir fait bander les messieurs pour rien et qu’elles puissent miraculeusement leur servir à quelque chose.

— En retour de ces bontés divines, quel est le devoir des petites filles ?

— Toute petite fille qui fait bander un monsieur a le devoir de le faire décharger.

— Est-ce à elle de choisir le trou qu’elle préfère ?

— Cela ne la regarde pas. Elle n’a qu’à donner celui qu’on lui demande.

— Doit-elle même attendre qu’on lui en demande un ?

— Non. La petite fille qui reste seule avec un monsieur lève sa robe aussi haut que possible, s’excuse de n’avoir pas de poils et dit poliment : “Voulez-vous me baiser ? Voulez-vous m’enculer ? Ou aimez-vous mieux que je vous suce ?”

— Et si le monsieur lui répond : “Va te branler plus loin ! je ne baise que les femmes”, comment doit-elle se comporter ?

— Dans ce cas, la petite fille s’éloigne, mais elle peut s’abstenir de toute masturbation sans manquer à ses devoirs religieux. »

À cet endroit, Lili s’interrompit au milieu de son rôle, ce qui ne lui arrivait guère ; elle tenait à me dire :

« Crois-tu qu’on m’en a fait apprendre, des conneries ! »

Et, aussitôt, Charlotte ajouta :

« Pour elle, ce n’est rien. Mais moi ! Pense que j’ai appris tout ça en même temps que mon catéchisme ! Je m’embrouillais à la chapelle et j’ai manqué vingt fois d’en réciter des phrases à monsieur le Curé ! »

Sur un signe de Lili, elle revint au jeu :

« Très bien. Vous ne savez rien de plus pour aujourd’hui ?

— Si, mademoiselle, je sais encore quelque chose, c’est que les pires saloperies qu’il y ait sur terre, ça n’est pas les petites filles, c’est les institutrices.

— Ah ! cela devait m’arriver ! Je n’ai que ce que je mérite ! Je me disais aussi : “qu’est-ce que cette enfant doit penser de moi ?”

— Voulez-vous que je vous le dise ? »

Ricette, qui s’agitait beaucoup sur ma jambe, me chuchota dans l’oreille : « Si on lui dit, elle va se branler. » Mais Lili n’en doutait pas davantage et, comme le fameux capitaine qui suivait les soldats parce qu’il était leur chef, elle ordonna ce qu’elle ne pouvait empêcher :

« Perdons pas de temps ! fit-elle. Donnez-moi ma leçon de masturbation et je vous répondrai avant qu’elle finisse.

— Où suis-je tombée ? dit Charlotte en levant sa jupe. Est-ce pour donner des leçons de masturbation à une petite fille que j’ai passé mes brevets ?

— Vos brevets de putain ? Mais oui ! Et vous ne les avez pas volés ! Ni les félicitations !

— C’est ainsi que vous osez me parler ? Vous traitez de putain votre institutrice ?

— Ah ! la barbe ! Je vous écoute, mademoiselle. J’attends ma leçon. Déchargez d’abord, vous baverez après. »

Le ton que prenait Lili pour lancer une réplique avait la même aisance que le choix de ses expressions ; mais ce sont là des indescriptibilités.

« Je suis deux fois honteuse, commença Charlotte. Je vous apprends des horreurs et je ne suis même pas capable de vous les enseigner comme il faut.

— Ça se voit bien, mademoiselle, que vous êtes un peu conne. Allez ! ne vous troublez pas ; je comprends tout.

— Commençons par le cours élémentaire. C’est celui que je sais le mieux, dit Charlotte, en riant. Ce n’est pas difficile. Vous mouillez le troisième doigt là-dedans, vous le remuez ici… Voilà.

— Et vous servez chaud ? demanda Lili. Eh ! là donc ! la voilà qui se branle et elle ne m’a rien appris. Quelle gourde que cette institutrice ! Elle est aussi bête que putain. Voulez-vous continuer ma leçon ? fit-elle en arrêtant la main de sa sœur.

— Je répète, fit patiemment Charlotte en cherchant les termes savants que toutes ses pareilles connaissent plus ou moins. Ce que vous voyez là est ma vulve.

— On dirait un con, observa Lili.

— Vous trempez votre doigt ici, dans le vagin et vous le mouillez de… de… comment ça s’appelle, le foutre des femmes ?

— Vous le direz demain. Continuez.

— Si vous pouvez attendre, vous vous chatouillez par-dedans avec deux doigts, ou par-dehors en vous tiraillant ces petites lèvres, là. Si vous êtes pressée, vous touchez tout de suite le… le clitoris que voici ; vous appuyez, vous remuez de droite à gauche ou vous tournez autour…

— Mais la voilà qui recommence ! À la quatrième vitesse !

— Je n’en peux plus ! murmura Charlotte.

— Quelle éducation ! fit Lili en se tournant vers les spectateurs. Croyez-vous que c’est dégoûtant d’avoir une maîtresse pareille ! Au lieu de me montrer à écrire, elle me montre à me branler ! À une petite fille innocente qui sait même pas réciter les sous-préfectures de la Haute-Loire !

— Moi non plus…

— Elle se fait juter sur tous les fauteuils, elle bouffe le chat de maman qui est une sainte femme, elle sent le foutre comme moi la fleur d’oranger et quand on fouille dans sa table à ouvrage, voilà ce qu’on trouve ! dit Lili en tirant de sa poche un godmiché.

— Oh ! entre les mains de cette enfant.

— Vous me dégoûtez bien, mademoiselle.

— Je me dégoûte encore plus.

— Et vous allez voir comment je vous respecte. D’abord, finissez de vous branler ! Assez ! dit la petite en tirant le bras de Charlotte.

— Oh ! Lili ! Lili ! j’allais jouir… je vais avoir une attaque. »

Lili obtint pourtant une minute d’arrêt. Elle ceignit le godmiché en pinçant avec une épingle le ruban trop large, et, tenant sa robe d’écolière que l’instrument retroussait comme le phallus énorme d’un petit dieu grotesque, elle déclara :

« Une putain d’institutrice peut bien être aussi polie qu’une saloperie de petite fille, pas vrai ? Rappelez-vous ce que vous venez de me faire réciter…

— Quoi ? fit Charlotte égarée.

— Encore plus andouille que putain ! répéta Lili avec compassion ! Voyons, ne vous troublez pas, ma fille, ça va venir. Regardez-moi : je suis un monsieur et vous me faites bander, il me semble que ça se voit ? Alors, qu’est-ce que vous devez me montrer ? Eh bien ! Mais levez donc vos frusques, pochetée !… Oh ! là ! là ! j’en ai chaud.

— Je sais même pas ce qu’elle me dit, murmura Charlotte, en se troussant, mais comme en rêve.

— Et quand une saloperie comme vous montre ses deux trous à un monsieur qui bande, qu’est-ce qu’elle dit ?

— Voulez-vous… me baiser… m’enculer… que je vous suce…

— Mettez-vous à genoux ! Donnez-moi vos fesses !… Non, mais voyez donc comme elle ouvre ça ! et comme on entre là-dedans !… Si c’est pas un malheur pour une petite fille d’avoir une institutrice qui lui montre son cul pendant toute la leçon et qui se laisse fourrer à la fin un godmiché dans le derrière. Ce qui me dégoûte le plus, mademoiselle, c’est pas que vous soyez putain, c’est que vous êtes assez tourte pour que je vous encule. »

Et alors…


Alors, que se passa-t-il ? Le plus triste incident de cette aventure.

Charlotte avait-elle trop présumé de son goût maladif pour l’humiliation ? Lili, comme tous les enfants, manquait de mesure dans la farce ; avait-elle abusé du rôle qu’elle achevait d’improviser ?

Non. L’explication que j’entrevois est la plus difficile à donner, parce que j’écris ce livre à la première personne. Mais, devant l’amour de Charlotte, « il n’y a pas de quoi se vanter », comme disait Lili. Ce n’est certes pas cette histoire que je choisirais entre mes souvenirs si je voulais vous faire imaginer l’éblouissement de mes séductions et vous ne serez pas émue à l’excès, mademoiselle, si je vous dis que cette nuit-là, où je ne quittai guère Mauricette, Charlotte, plus nerveuse d’heure en heure, me parut aussi plus infortunée.

Car ce fut Mauricette qui déchaîna la crise. Elle rit. Je ne sais pas pourquoi. Le dernier couplet de Lili était ce qu’elle avait dit de moins drôle depuis une heure ; mais il était fort injurieux, Mauricette éclata de rire. Immédiatement, Charlotte éclata en sanglots.

Et quels sanglots ! Je croyais les connaître, les sanglots de Charlotte ! Je fus épouvanté de ce que j’entendis.

Elle se coucha sur le sol, comme une pauvre bête qui meurt, tira sa jupe d’une main errante et maladroite, pendant que Lili, décontenancée, la délivrait par-derrière. Et ce ne furent pas des pleurs, mais des cris qu’elle poussa, des cris, des cris, des cris…

Teresa me dit vite, en passant près de moi :

« On l’a empêchée de jouir. C’est la faute de la gosse. Il ne faut jamais arrêter Charlotte quand elle se branle, ou voilà ce qui arrive. »

La crise était pourtant forte, cette fois, pour inquiéter ses sœurs presque autant que moi-même. Avec Teresa, elles relevèrent Charlotte, l’étendirent sur le divan, la prirent dans leurs bras. Mais les grands orages ne cessent pas aussi brusquement qu’ils éclatent. Quand Charlotte put vagir à travers ses sanglots, ce furent des phrases désespérées :

« Tu as raison, ma Lili… Je suis aussi bête que putain… Je ne suis qu’une salope et une tourte… Et tout le monde se fout de moi… Et on ne m’aimera jamais… »


ÉPILOGUE

Heureusement pour ma santé, mais par un coup fatal au sein de mes plaisirs, cette existence fut rompue quelques jours plus tard.

Un soir, la concierge me remit ce billet énigmatique et pourtant déchiffrable.

« On nous ennuie de là-bas à cause du numéro trois. Je les emmène très loin cette fois-ci ; mais on revient en quinze jours de ces pays-là et nous nous reverrons. Elles t’embrassent. Nous avons été vraiment gentilles, mais toi aussi. Je t’embrasse la dernière. »

Dirai-je que jusqu’à cet instant je n’avais pas assez considéré tout ce qu’une telle aventure m’offrait de singulier, de complexe et d’agréable ? Le désespoir que j’eus à lire ces dix lignes fut cent fois plus violent que n’eût été mon plaisir si elles m’avaient dit : « Viens ce soir. »

Je me rappelai le proverbe espagnol : Ayer putas, hoy comadres (Hier putains, aujourd’hui amies intimes). Ce proverbe fait pour les femmes était plus vrai pour moi que pour aucune commère de Girone ou de Saragosse. Mais avec la gaucherie sentimentale de mes vingt ans, je n’eus d’amour pour ces quatre putains qu’une heure après leur départ.

C’est absurde et cependant, me dirait un prêtre, cette absurdité môme est une grâce de la Providence ; il eût été plus absurde encore que je prisse de l’amour pour elles si elles étaient restées quatorze ans à ma porte.

C’est grand dommage que Dieu n’existe pas, car il fait bien tout ce qu’il fait.

Dès que je pus relire à travers mes larmes le billet de Teresa, je devinai qu’il voulait dire : « J’ai eu des ennuis à Marseille à cause de Lili, qui est un peu jeune ; l’affaire n’est pas classée ; on m’inquiète jusqu’ici. Je pars pour… (le Chili ? La Plata ?)… Nous nous reverrons. »

Et plus tard, quand ma douleur me permit de méditer, je me posai comme une obsession ce problème qui, depuis le premier jour, restait irrésolu :

« Pourquoi, aussitôt après mon aventure avec Ricette, ai-je vu tomber dans mes bras sa mère, sa sœur cadette et sa sœur aînée ? »

Le problème, à la réflexion, me parut plus facile que je ne le pensais.

Ricette… oui. C’est tout simple.

Teresa… Je ne comprends pas.

Charlotte… Mollesse et docilité.

Lili… toute petite fille, désire l’amant de ses sœurs.

Et, en fait, rien n’est plus commun que de voir trois sœurs se suivre dans le même lit et prendre tour à tour le même homme pour amant. Ceci est formellement condamné par les vieux maîtres de la théologie morale, mais les mères ne mettent point entre les mains de leurs filles les bons livres où l’on imprime :

« Ne couchez pas avec l’amant de votre sœur, vous commettriez un inceste. »

Les jeunes filles ont bien des excuses.