Deuxième partie

HISTOIRE DE MADAME BOIS-LAURIER

Tu vois en moi, ma chère Thérèse, un être singulier : je ne suis ni homme, ni femme, ni fille, ni veuve, ni mariée. J’ai été une libertine de profession et je suis encore pucelle. Sur un pareil début, tu me prends sans doute pour une folle. Un peu de patience, je te prie : tu auras le mot de l’énigme. La nature, capricieuse à mon égard, a semé d’obstacles insurmontables la route des plaisirs qui font passer une fille de son état à celui de femme : une membrane nerveuse en ferme l’avenue avec assez d’exactitude pour que le trait le plus délié que l’Amour ait jamais eu dans son carquois n’ait pu atteindre le but. Et, ce qui te surprendra davantage, on n’a jamais pu me déterminer à subir l’opération qui pouvait me rendre habile aux plaisirs, quoique pour vaincre ma répugnance on me citât à chaque instant l’exemple d’une infinité de filles qui, dans le même cas, s’étaient soumises à cette épreuve. Destinée dès ma plus tendre enfance à l’état de courtisane, ce défaut, qui semblait devoir être l’écueil de ma fortune dans ce honteux métier, en a été au contraire le principal mobile. Tu comprends donc que lorsque je t’ai dit que mes aventures t’instruiraient des caprices des hommes, je n’ai pas entendu parler des différentes attitudes que la volupté leur fait varier pour ainsi dire à l’infini dans leurs embrassements réels avec les femmes. toutes les nuances des attitudes galantes ont été traitées avec tant d’énergie par le célèbre Pierre Arétin – qui vivait dans le XVe siècle – qu’il n’en reste rien à dire aujourd’hui. Il n’est donc question, dans ce que j’ai à t’apprendre, que de ces goûts de fantaisie, de ces complaisances bizarres, que quantité d’hommes exigent de nous et qui, par prédilection ou par certains défauts de conformation, leur tiennent lieu d’une jouissance parfaite. J’entre présentement en matière.
Je n’ai jamais connu mon père ni ma mère. Une femme de Paris, nommée la Lefort, logée bourgeoisement, chez laquelle j’avais été élevée comme étant sa fille, me tira mystérieusement un jour en particulier pour me dire ce que tu vas entendre (j’avais alors quinze ans) :
– Vous n’êtes point ma fille, me dit Madame Lefort, il est temps que je vous instruise de votre état. A l’âge de six ans, vous étiez égarée dans les rues de Paris, je vous ai retirée chez moi, nourrie et entretenue charitablement jusqu’à ce jour sans avoir jamais pu découvrir quels sont vos parents, quelque soin que je me sois donné pour cela.
« Vous avez dû vous apercevoir que je ne suis pas riche, quoique je n’aie rien négligé pour votre éducation. C’est à vous présentement à être vous-même l’instrument de votre fortune. Voici, ajouta-t-elle, ce qui me reste à vous proposer pour y parvenir : vous êtes bien faite, jolie, plus formée que ne l’est ordinairement une fille de votre âge : Monsieur le président de *** mon protecteur et mon voisin, est amoureux de vous, il s’est déterminé à vous faire plaisir et à vous entretenir honnêtement pourvu que, de votre part, vous ayez pour lui toutes les complaisances qu’il exigera de vous. Voyez, Manon, ce que vous voulez que je lui dise. Mais je ne dois pas vous taire que, si vous n’acceptez pas sans restriction les offres qu’il m’a chargée de vous faire, il faut vous déterminer à quitter ma maison dès aujourd’hui, parce que je suis hors d’état de vous nourrir et de vous habiller plus longtemps.
Cette confidence accablante, et la conclusion de Madame Lefort qui l’accompagnait, me glacèrent d’effroi. J’eus recours aux larmes : point de quartier, il fallut me décider. Après quelques explications préliminaires, je promis de faire tout ce qu’on exigeait, au moyen de quoi Madame Lefort m’assura qu’elle me conserverait toujours les soins et le doux nom de mère.
Le lendemain matin, elle m’instruisit amplement des devoirs de l’état que j’allais embrasser et des procédés particuliers qu’il convenait que j’eusse avec Monsieur le président. Ensuite elle me fit mettre toute nue, me lava le corps du haut en bas, me frisa, me coiffa, et me revêtit d’habits beaucoup plus propres que ceux que j’avais coutume de porter.

Première aventure qu’elle eut avec le président de ***

A quatre heures après midi, nous fumes introduites chez Monsieur le président. C’était un grand homme sec, dont le visage jaune et ridé était enfoui dans une très longue et très ample perruque carrée. Ce respectable personnage, après nous avoir fait asseoir, dit gravement, en adressant la parole à ma mère :
– Voilà donc la petite personne en question ? Elle est assez bien : je vous avais toujours dit qu’elle avait des dispositions à devenir jolie et bien faite. Et jusqu’à présent ce n’est pas de l’argent mal employé. Mais êtes-vous sûre au moins qu’elle a son pucelage ? ajouta-t-il. Voyons un peu, Madame Lefort.
Aussitôt ma bonne mère me fit asseoir sur le bord d’un lit et, me couchant renversée sur le dos, elle releva ma chemise et se disposait à m’ouvrir les cuisses, lorsque Monsieur le président lui dit d’un ton brusque :
– Hé ! ce n’est pas cela, madame ! Les femmes ont toujours la manie de montrer des devants. Hé non ! Faites tourner !
– Ah ! monseigneur, je vous demande pardon ! s’écria ma mère, je croyais que vous vouliez voir… Ça, levez-vous, Manon, me dit-elle. Mettez un genou sur cette chaise et inclinez le corps le plus que vous pourrez.
Moi, semblable à une victime, les yeux baissés, je fis ce qu’on me prescrivait. Ma digne mère me troussa dans cette attitude jusqu’aux hanches, et Monsieur le président s’étant approché, je sentis qu’elle ouvrait les lèvres de mon…, entre lesquelles monseigneur tentait d’introduire le doigt en tâchant, mais inutilement, de pénétrer.
– Cela est fort bien, dit-il à ma mère, je suis content : je vois qu’elle est sûrement pucelle. Présentement faites-la tenir ferme dans l’attitude où elle est, occupez-vous à lui donner quelques petits coups de votre main sur les fesses. Cet arrêt fut exécuté. Un profond silence succéda. Ma mère soutenait de la main gauche mes jupes et ma chemise élevées, tandis qu’elle me fessait légèrement de la droite. Curieuse de voir ce qui se passait de la part du président, je tournai tant soit peu la tête : je l’aperçus posté à deux pas de mon derrière, un genou en terre, tenant d’une main sa lorgnette braquée sur mon postérieur et, de l’autre, secouant entre ses cuisses quelque chose de noir et de flasque que tous ses efforts ne pouvaient faire guinder. Je ne sais s’il finit ou non sa besogne, mais enfin, après un quart d’heure d’une attitude que je ne pouvais plus supporter, monseigneur se leva, et gagna son fauteuil en vacillant sur ses vieilles jambes étiques. Il donna à ma mère une bourse dans laquelle il lui dit qu’elle trouverait les cent louis d’or promis. Et, après m’avoir honorée d’un baiser sur la joue, il m’annonça qu’il aurait soin que rien ne me manquât pourvu que je fusse sage, et qu’il me ferait avertir lorsqu’il aurait besoin de moi.
Dès que nous fumes rentrées au logis, ma mère et moi, continua Madame Bois-Laurier, je fis d’aussi sérieuses réflexions, sur ce que j’avais appris et vu depuis vingt-quatre heures, que celles que vous fîtes ensuite de la fustigation de Mademoiselle Éradice par le père Dirrag. Je me rappelais tout ce qui s’était dit et fait dans la maison de Madame Lefort depuis mon enfance, et je rassemblais mes idées pour en tirer quelque conclusion raisonnable, lorsque ma mère entra et mit fin à mes rêveries.
– Je n’ai plus rien à te cacher, ma chère Manon, me dit-elle en m’embrassant, puisque te voilà associée aux devoirs d’un métier que j’exerce avec quelque distinction depuis vingt ans. Écoute donc attentivement ce que j’ai encore à te dire, et par ta docilité à suivre mes conseils mets-toi en état de réparer le tort que te fait le président. C’est par ses ordres, continua ma mère, que je t’ai enlevée il y a huit ans. Il m’a payé depuis ce temps une pension très modique, que j’ai bien employée, et au-delà, pour ton éducation. il m’avait promis qu’il nous donnerait à chacune cent louis lorsque ton âge lui permettrait de prendre ton pucelage. Mais si ce vieux paillard a compté sans son hôte, si son vieil outil rouillé, ridé et usé le met hors d’état de tenter cette aventure est-ce notre faute ? Cependant il ne m’a donné que les cent louis qui me regardent. Mais ne t’inquiète pas, ma chère Manon, je t’en ferai gagner bien d’autres. Tu es jeune, jolie, point connue. Je vais, pour te faire plaisir, employer cette somme à te bien nipper, et si veux te laisser conduire je te ferai faire à toi seule le profit que faisaient ci-devant dix ou onze demoiselles de mes amies.
Après mille autres propos de cette espèce, à travers lesquels j’aperçus que ma bonne maman débutait par s’approprier les cent louis donnés par le président, les conditions de notre traité furent qu’elle commencerait par m’avancer cet argent, qu’elle retirerait sur le produit de mes premiers travaux journaliers, et qu’ensuite nous partagerions consciencieusement les profits de la société.
La Lefort avait un fonds inépuisable de bonnes connaissances dans Paris. En moins de six semaines je fus présentée à plus de vingt de ses amis, qui échouèrent successivement au projet de recueillir les prémices de ma virginité. Heureusement que, par le bon ordre que Madame Lefort tenait dans la conduite de ses affaires, elle avait exactement soin de se faire payer d’avance les plaisirs d’un travail qui était impraticable Je crus même un jour qu’un gros docteur en Sorbonne, qui s’obstinait à vouloir gagner les dix louis qu’il avait financés, y mourrait à la peine ou qu’il me désenchanterait.

La Bois-Laurier est présentée successivement à plus de cinq cents personnes qui échouent à recueillir les prémices de son pucelage

Ces vingt athlètes furent suivis de plus de cinq cents autres pendant l’espace de cinq ans. Le clergé, l’épée, la robe et la finance me placèrent tour à tour dans les attitudes les plus recherchées. Soins inutiles : le sacrifice se faisait à la porte du temple ou bien, la pointe du couteau s’émoussant, la victime ne pouvait être immolée.

La solidité du pucelage de la Bois-Laurier et les épreuves font du bruit à la police

Enfin, la solidité de mon pucelage fit trop de bruit, et parvint aux oreilles de la police, qui parut vouloir faire cesser le progrès des épreuves. J’en fus avertie à temps, et nous jugeâmes, Madame Lefort et moi, que la prudence exigeait que nous fissions une petite éclipse à trente lieues de Paris.
Au bout de trois mois, le feu s’apaisa. Un exempt de cette même police, compère et ami de Madame Lefort, se chargea de calmer les esprits moyennant une somme de douze louis d’or que nous lui fîmes compter. Nous retournâmes à Paris avec de nouveaux projets.
Ma mère, qui avait insisté longtemps sur ce que l’opération du bistouri me fut faite, avait changé de système. Elle trouvait dans la difformité de ma conformation un fonds inaltérable qui produisait un gros revenu sans être cultivé, sans craindre des orvales [plante médicinale] : point d’enfants, point de rhumes ecclésiastiques à redouter. Quant à mes plaisirs, je me repaissais, ma chère Thérèse, par nécessité de ceux dont tu sais te contenter par raison. Cependant, poursuivit la Bois-Laurier, nous prîmes de nouvelles allures et nous guidâmes sur de nouveaux principes. En arrivant de notre exil volontaire, notre premier soin fut de changer de quartier, et, sans dire un mot au président, nous nous transplantâmes dans le faubourg Saint-Germain.

La Bois-Laurier y fait connaissance avec une baronne qui lui procure pour amant un riche Américain

La première connaissance que j’y fis fut celle d’une certaine baronne qui, après avoir pendant sa jeunesse travaillé utilement, et de concert avec une comtesse sa sœur, aux plaisirs de la jeunesse libertine, était devenue directrice de la maison d’un riche Américain, à qui elle prodiguait les débris de ses appas surannés, qu’il payait bien au-delà de leur juste valeur. Un autre Américain, ami de celui-ci, me vit et m’aima : nous nous arrangeâmes. La confidence que je lui fis du cas où j’étais l’enchanta au lieu de le rebuter. Le pauvre homme sortait d’entre les mains du célèbre Petit : il sentait qu’entre les miennes il était assuré de ne pas craindre la rechute.
Mon nouvel amant d’outremer avait fait vœu de se boxer aux plaisirs de la petite oie, mais il mêlait dans l’exécution un tic singulier. Son goût était de me placer assise à côté de lui sur un sofa, découverte jusqu’au-dessus du nombril, et, tandis que j’empoignais le rejeton de la racine du genre humain et lui donnais de légères secousses, il fallait que j’eusse la complaisance de souffrir qu’une femme de chambre qu’il m’avait donnée s’occupât à couper quelques poils de ma toison. Sans ce bizarre appareil, je crois que la vigueur de dix bras comme le mien ne fut pas venue à bout de guinder la machine de mon homme, et encore moins d’en tirer une goutte d’élixir.

Goût bizarre de cet Américain dans ses plaisirs libidineux. Effets singuliers de la musique

Du nombre de ces hommes à fantaisies était l’amant de Minette, troisième sœur de la baronne. Cette fille avait de beaux yeux, elle était grande, assez bien faite, mais laide, noire, sèche, minaudière, jouant l’esprit et les sentiments sans avoir ni l’un ni les autres. La beauté de sa voix lui avait procuré successivement nombre d’adorateurs. Celui qui était alors en fonctions n’était ému que par ce talent, et les seuls accents de la voix mélodieuse de cet Orphée femelle avaient la vertu d’ébranler la machine de cet amant et de l’exciter au plus grand des plaisirs.
Un jour, après avoir fait entre nous trois un ample dîner libertin pendant lequel on avait chanté, on m’avait plaisantée sur la difformité de mon…, on avait dit et fait toutes les folies imaginables. Nous nous culbutâmes sur un grand lit. Là, nos appas sont étalés, les miens sont trouvés admirables pour la perspective. L’amant se met en train, il campe Minette sur le bord du lit, la trousse, l’enfile et la prie de chanter. La docile Minette, après un petit prélude, entonne un air de mouvement à trois temps coupés. L’amant part, pousse et repousse toujours en mesure, ses lèvres semblent battre les cadences, tandis que ses coups de fesses marquent les temps. Je regarde, j’écoute en riant aux larmes, couchée sur le même lit. Tout allait bien jusque-là, lorsque la voluptueuse Minette, venant à prendre plaisir au cas, chante faux, détonne, perd la mesure. Un bémol est substitué à un bécarre.
– Ah ! chienne ! s’écrie sur-le-champ notre zélateur de la bonne musique, tu as déchiré mon oreille, ce faux ton a pénétré jusqu’à la cheville ouvrière, elle se détraque. Tiens, dit-il en se retirant, regarde l’effet de ton maudit bémol.
Hélas ! le pauvre diable était devenu mol, le meuble qui battait la mesure n’était plus qu’un chiffon.
Mon amie, désespérée, fit des efforts incroyables pour ranimer son acteur, mais les plus tendres baisers, les attouchements les plus lascifs furent employés en vain. Ils ne purent rendre l’élasticité à la partie languissante.
– Ah ! mon cher ami ! s’écria-t-elle, ne m’abandonne pas ! C’est mon amour pour toi, c’est le plaisir qui a dérangé mon organe. Me quitteras-tu dans cet heureux moment ? Manon ! ma chère Manon ! secours-moi, montre-lui ta petite moniche, elle lui rendra la vie, elle me la rendra à moi-même, car je meurs s’il ne finit ! Place-la, mon cher Bibi, dit-elle à son amant, dans l’attitude voluptueuse où tu mets quelquefois la comtesse ma sœur. L’amitié de Manon pour moi répond de sa complaisance.
Pendant toute cette singulière scène, je n’avais cessé de rire jusqu’à perdre la respiration. En effet, a-t-on jamais vu faire pareille besogne en chantant, et battre la mesure avec un pareil outil ? Et jamais a-t-on pu imaginer qu’un bémol au lieu d’un bécarre dût faire rater et rentrer aussi subitement un homme en lui-même ?

Attitude originale où l’amant d’une troisième sœur de la baronne place la Bois-Laurier pour restaurer sa vigueur éteinte

Je concevais bien que la sœur de la baronne se prêtait à tout ce qui pouvait plaire à son amant, moins par volupté que pour le retenir dans ses liens par des complaisances qu’elle lui faisait payer chèrement. Mais j’ignorais encore quel avait été le rôle de la comtesse que l’on me priait de doubler. Je fus bientôt éclaircie. Voici quel il fut :
Les deux amants me couchent sur le ventre, sous lequel ils mettent trois ou quatre coussins qui tiennent mes fesses élevées. Puis ils me troussent jusqu’au-dessus des hanches, la tête appuyée sur le chevet du lit. Minette s’étend sur le dos, place sa tête entre mes cuisses, ma toison jointe à son front, auquel elle sert comme de toupet. Bibi lève les jupes et la chemise de Minette, se couche sur elle et se soutient sur les bras. Remarque, ma chère Thérèse, que, dans cette attitude, Monsieur Bibi avait pour perspective, à quatre doigts de son nez, le visage de son amante, ma toison, mes fesses et le reste. Pour cette fois, il se passa de musique : il baisait indistinctement tout ce qui se présentait devant lui, visage, cul, bouche, et, nulle préférence marquée, tout lui était égal. Son dard, guidé par la main de Minette, reprit bientôt son élasticité et rentra dans son premier gîte. Ce fut alors que les gonds coups se donnèrent : l’amant poussait, Minette jurait, mordait, remuait la charnière avec une agilité sans égale. Pour moi, je continuais de rire aux larmes en regardant de tous mes yeux la besogne qui se faisait derrière moi. Enfin, après un assez long travail, les deux amants se pâmèrent et nagèrent dans une mer de délices.

La Bois-Laurier est présentée à un prélat dont on est obligé de matelasser l’appartement, et pourquoi…

Quelque temps après, je fus introduite chez un évêque dont la manie était plus bruyante, plus dangereuse pour le scandale et pour le tympan de l’oreille le mieux organisé. Imagine-toi que, soit par un goût de prédilection, soit par un défaut d’organisation, dès que Sa Grandeur sentait les approches du plaisir, elle mugissait et criait à haute voix haï ! haï ! haï ! en forçant le ton à proportion de la vivacité du plaisir dont il était affecté, de sorte que l’on aurait pu calculer les gradations du chatouillement que ressentait le gros et ample prélat par les degrés de force qu’il employait à mugir haï ! haï ! haï ! Tapage qui, lors de la décharge de monseigneur, aurait pu être entendu à mille pas à la ronde, sans la précaution que son valet de chambre prenait de matelasser les portes et les fenêtres de l’appartement épiscopal.

Elle est envoyée chez un homme de considération qui a, dans ses plaisirs, une manie particulière

Je ne finirais pas si je te faisais le tableau de tous les goûts bizarres, des singularités que j’ai connus chez les hommes, indépendamment des diverses postures qu’ils exigent des femmes dans le coït.
Un jour, je fus introduite par une petite porte de derrière chez un homme de nom et fort riche à qui, depuis cinquante ans, tous les matins une fille nouvelle pour lui rendait pareille visite. Il m’ouvrit lui-même la porte de son appartement. Prévenue de l’étiquette qui s’observait chez ce paillard d’habitude, dès que je fus entrée je quittai robe et chemise. Ainsi nue, j’allai lui présenter mes fesses à baiser dans un fauteuil où il était gravement assis.
– Cours donc vite, ma fille, me dit-il en tenant d’une main son paquet, qu’il secouait de toute sa force, et, de l’autre, une poignée de verges dont mes fesses étaient simplement menacées.
Je me mets à courir, il me suit : nous faisons cinq à six tours de chambre, lui, criant comme un diable :
– Cours donc, coquine ! cours donc ! Enfin, il tombe pâmé dans son fauteuil. Je me rhabille, il me donne deux louis et je sors.

Autre goût bizarre d’un homme chez qui elle est introduite

Un autre me plaçait assise sur le bord d’une chaise, découverte jusqu’à la ceinture. Dans cette posture, il fallait que, par complaisance, quelquefois aussi par goût, je me servisse du frottement de la tête d’un godemiché pour me provoquer au plaisir. Lui, posté dans la même attitude vis-à-vis de moi à l’autre extrémité de la chambre, travaillait de la main à la besogne, ayant les yeux fixés sur mes mouvements, et singulièrement attentif à ne terminer son opération que lorsqu’il apercevait que ma langueur annonçait le comble de la volupté.

Un vieux médecin se fait fouetter par la Bois-Laurier, remède souverain pour la génération

Un troisième (c’était un vieux médecin) ne donnait aucun signe de virilité qu’au moyen de cent coups de fouet que je lui appliquais sur les fesses, tandis qu’une de mes compagnes, à genoux devant lui la gorge nue, travaillait avec ses mains à disposer le nerf érecteur de cet Esculape moderne, d’où exhalaient enfin les esprits qui, par la fustigation mis en mouvement, avaient été forcés de se porter dans la région inférieure. C’est ainsi que nous le disposions, ma camarade et moi par ces différentes opérations, à répandre le baume de vie. Tel était le mécanisme par lequel ce docteur nous assurait qu’on pouvait restaurer un homme usé, un impuissant, et faire concevoir une femme stérile.

Manie d’un courtisan usé de débauche

Un quatrième (c’était un voluptueux courtisan usé de débauches) me fit venir chez lui avec une de mes compagnes. Nous le trouvâmes dans un cabinet environné de glaces de toutes parts, disposées de manière que toutes faisaient face à un lit de repos de velours cramoisi, qui était placé dans le milieu.
– Vous êtes des dames charmantes, adorables, nous dit affectueusement le courtisan. Cependant vous ne trouverez pas mauvais que je n’aie pas l’honneur de vous… Ce sera, si vous le trouvez bon, un de mes valets de chambre, garçon beau et bien fait, qui aux celui de vous amuser. Que voulez-vous, mes belles enfants ! ajouta-t-il, il faut savoir aimer ses amis avec leurs défauts, et j’ai celui de ne goûter de plaisirs que par l’idée que je me forme de ceux que je vois prendre aux autres. D’ailleurs, chacun se mêle de… Eh ! ne serait-il pas pitoyable que gens comme moi sayons les singes d’un gros vilain paysan ?
Après ce discours préliminaire, prononcé d’un ton mielleux, il fit entrer son valet de chambre, qui parut en petite veste courte de satin couleur de chair, en habit de combat. Ma camarade fut couchée sur le lit de repos, bien et dûment troussée par le valet de chambre qui m’aida ensuite à me déshabiller nue de la ceinture en haut. Tout était compassé et se faisait avec mesure. Le maître, dans un fauteuil, examinait, et tenait son instrument mollet à la main. Le valet de chambre, au contraire, qui avait descendu ses culottes jusque sur ses genoux et tourné le bas de sa chemise autour de ses reins, en laissait voir un des plus brillants. Il n’attendait pour agir que les ordres de son maître, qui lui annonça qu’il pouvait commencer. Aussitôt le fortuné valet de chambre grimpe ma camarade, l’enfile et reste immobile. Les fesses de celui-ci étaient immobiles.
– Prenez la peine, mademoiselle, dit notre courtisan, de vous placer à l’autre côté du lit et de chatouiller cette ample paire de couilles qui pendent entre les cuisses de mon homme, qui est, comme vous voyez, un fort honnête Lorrain. Cela exécuté de ma part, nue, comme je te l’ai dit, de la ceinture en haut, l’ordonnateur de la fête dit à son valet de chambre qu’il pouvait aller son train. Celui-ci pousse sur-le-champ, et repousse avec une mobilité de fesses admirables. Ma main suit leur mouvement, ne quitte point les deux énormes verrues. Le maître parcourt des yeux ses miroirs, qui lui rendent des tableaux diversifiés selon les côtés dont les objets sont réfléchis. Il vient à bout de faire roidir son instrument qu’il secoue avec vigueur. Il sent que le moment de la volupté approche.
– Tu peux finir, dit-il à son valet de chambre.
Celui-ci redouble ses coups. Tous deux enfin se pâment et répandent la liqueur divine.

Aventure de trois capucins en partie fine avec la Bois-Laurier

Chère Thérèse, dit la Bois-Laurier en poursuivant ses propos, je me rappelle fort à propos une plaisante aventure qui m’arriva ce même jour avec trois capucins. Elle te donnera une idée de l’exactitude de ces bons pères à observer leurs vœux de chasteté.
Après être sortie de chez le courtisan dont je viens de te parler, et avoir dit adieu à ma compagne, comme je tournais le premier coin de rue pour monter dans un fiacre que m’attendait, je rencontrai la Dupuis, amie de ma mère, digne émule de son commerce, mais qui en exerçait les travaux dans un monde moins bruyant.
– Ah ! ma chère Manon, me dit-elle en m’abordant, que je suis ravie de te rencontrer ! Tu sais que c’est moi qui ai l’honneur de servir presque tous nos moines de Paris. Je crois que ces chiens-là se sont tous donné le mot aujourd’hui pour me faire enrager : ils sont tous en rut. J’ai, depuis ce matin, neuf filles en campagne pour eux en diverses chambres et quartiers de Pais, et je cours depuis quatre heures sans en pouvoir trouver une dixième pour trois vénérables capucins qui m’attendent encore dans un fiacre bien fermé sur le chemin de ma petite maison. Il faut, Manon, que tu me fasses le plaisir d’y venir : ce sont de bons diables, ils t’amuseront.
J’eus beau dire à la Dupuis qu’elle savait bien que je n’étais pas un gibier de moines, que ces messieurs ne se contentaient pas des plaisirs de fantaisie, de ceux de la petite oie, mais qu’il leur fallait au contraire des filles dont les ouvertes fussent très libres :
– Parbleu ! répliqua la Dupuis, je te trouve admirable de t’inquiéter des plaisirs de ces coquins-là ! Il suffit que je leur donne une fille, c’est à eux à en tirer tel parti qu’ils pourront. Tiens, voilà six louis qu’ils m’ont mis en mains, il y en a trois pour toi. Veux-tu me suivre ?
La curiosité autant que l’intérêt me détermina. Nous montâmes dans mon fiacre et nous nous rendîmes près de Montmartre à la petite maison de la Dupuis.
Un instant après entrent nos trois capuchons qui, peu accoutumés à goûter d’un morceau aussi friand que je paraissais l’être, se jettent sur moi comme trois dogues affamés. J’étais dans ce moment debout, un pied élevé sur une chaise, nouant une de mes jarretières. L’un, avec une barbe rousse et une haleine infectée, vint m’appuyer un baiser sur la parole, encore cherchait-il à chiffonner avec la langue. Un second tracassait grossièrement sa main dans mes tétons. Et je sens le visage du troisième, qui avait levé ma chemise par-derrière, appliqué contre mes fesses tout près du trou mignon. Quelque chose de rude comme du crin, passé entre mes cuisses, me farfouillait le quartier de devant. J’y porte la main. Qu’est-ce que je saisis ? La barbe du père Hilaire qui, se sentant pris et tiré par le menton, m’applique, pour m’obliger à lâcher prise, un assez vigoureux coup de dents dans une fesse. J’abandonne en effet la barbe, et un cri perçant, que la douleur m’arrache, en impose heureusement à ces effrénés et me tire pour un moment de leurs pattes. Je m’assis sur un lit de repos près duquel j’étais. Mais à peine eus-je le temps de m’y reconnaître que trois instruments énormes se trouvent braqués devant moi.
– Ah ! mes pères, m’écriai-je, un moment de patience, s’il vous plaît : mettons un peu d’ordre dans ce qui nous reste à faire. Je ne suis point venue ici pour jouer la vestale : voyons donc avec lequel de vous trois je…
– C’est à moi ! s’écrièrent-ils tous ensemble sans me donner le temps d’achever.
– A vous, jeunes barbes ? reprit l’un d’eux en nasillant. Vous osez disputer le pas à père Ange, ci-devant gardien de…, prédicateur du carême de…, votre supérieur ? Où est donc la subordination ?
– Ma foi, ce n’est pas chez la Dupuis, reprit l’un d’eux sur le même ton ; ici père Anselme vaut bien père Ange.
– Tu as menti, répliqua ce dernier en apostrophant un coup de poing dans le milieu de la face du très révérend père Anselme.
Celui-ci, qui n’était rien moins que manchot, saute sur le père Ange. Tous deux se saisissent, se collettent, se culbutent, se déchirent à belles dents. Leurs robes, relevées sur leurs têtes, laissent à découvert leurs misérables outils qui, de saillants qu’ils s’étaient montrés, se trouvent réduits en forme de lavettes. La Dupuis accourt pour les séparer, elle n’y réussit qu’en appliquant un grand seau d’eau fraîche sur les parties honteuses de ces deux disciples de saint François.
Pendant le combat, père Hilaire ne s’amusait point à la moutarde [ne perdait point son temps]. Comme je m’étais renversée sur le lit, pâmée de rire et sans forces, in fourrageait mes appas et cherchait à manger l’huître disputée à belles gourmades [sic] par ses deux compagnons. Surpris de la résistance qu’il rencontre, il s’arrête pour examiner de près les débouchés. Il entrouvre la coquille : point d’issue. Que faire ? Il cherche à nouveau à percer : soins perdus, peines inutiles. Son instrument, après des efforts redoublés, est réduit à l’humiliante ressource de cracher au nez de l’huître qu’il ne peut gober.
Le calme succéda tout à coup aux fureurs monacales. Père Hilaire demande un instant de silence : il informe les deux combattants de mon irrégularité et de la barrière insurmontable qui ferait l’entrée du séjour des plaisirs. La vieille Dupuis essuya de vifs reproches, dont elle se défendit en plaisantant. Et, en femme qui sait son monde, elle tâcha de faire diversion par l’arrivée d’un convoi de bouteilles de vin de Bourgogne, qui furent bientôt sablées.
Cependant les outils de nos pères reprennent leur première consistance. Les libations bachiques sont interrompues de temps à autre par des libations à Priape. Tout imparfaites que fussent celles-ci, nos frappards [moine débauché] semblent s’en contenter, et tantôt mes fesses, tantôt leur revers servent d’autel à leurs offrandes.
Bientôt une excessive gaieté s’empare des esprits. Nous mettons à nos convives du rouge, des mouches. Chacun d’eux s’amble de quelqu’un de mes ajustements de femme : peu à peu je suis dépouillée toute nue et couverte d’un simple manteau de capucin, équipage dans lequel ils me trouvent charmante.
– N’êtes-vous pas trop heureux, s’écria la Dupuis qui était à moitié ivre, de jouir du plaisir de voir un minois comme celui de la charmante Manon ?
– Non, ventrebleu ! répliqua père Ange d’un ton bachique. Je ne suis point venu ici pour voir un minois, c’est pour foutre un con que je m’y suis rendu ! J’ai bien payé, ajouta-t-il, et ce vit que je tiens en mains n’en sortira ventredieu pas qu’il n’ait foutu fût-ce le diable !
Écoute bien cette scène, me dit la Bois-Laurier en s’interrompant, elle est originale. Mais je t’avertis (peut-être un peu tard) que je ne puis rien retrancher à l’énergie des termes sans lui faire perdre toutes ses grâces.
La Bois-Laurier avait trop élégamment commencé pour ne pas la laisser finir de même. Je souris. Elle continua ainsi le récit de son aventure :
– Fût-ce le diable ! répéta la Dupuis en se levant de dessus sa chaise et élevant la voix du même ton nasillant que celui du capucin. Eh bien ! baise, dit-elle en se troussant jusqu’au nombril. Regarde ce con vénérable, qui en vaut bien deux. Je suis une bonne diablesse… Fous-moi donc, si tu l’oses, et gagne ton argent !
Elle prend en même temps père Ange par la barbe et l’entraîne sur elle en se laissant tomber sur le petit lit. Le père n’est point déconcerté par l’enthousiasme de sa Proserpine, il se dispose à l’enfiler et l’enfile à l’instant.
A peine la sexagénaire Dupuis eut-elle éprouvé le frottement de quelques secousses du père que ce plaisir délicieux, qu’aucun mortel n’avait eu la hardiesse de lui faire goûter depuis plus de vingt-cinq ans, la transporte et lui fait bientôt changer de ton :
– Ah ! mon papa, disait-elle en se démenant comme une enragée, mon cher papa ! Fous donc… donne-moi du plaisir… je n’ai que quinze ans, mon ami. Oui, vois-tu ? je n’ai que quinze ans… Sens-tu ces allures ?… Va donc, mon petit chérubin !… Tu me rends la vie… tu fais une œuvre méritoire…
Dans l’intervalle de ces tendres exclamations, la Dupuis baisait son champion, elle le pinçait, elle le mordait avec les deux uniques chicots qui lui restaient dans la bouche.
D’un autre côté le père, qui était surchargé de vin, ne faisait que haniquiner, mais, ce vin commençant à faire son effet, la galerie, composée des révérends pères Anselme, Hilaire, et de moi, s’aperçut bientôt que père Ange perdait du terrain et que ses mouvements cessaient d’être régulièrement périodiques.
– Ah ! bordel ! s’écria tout à coup la connaisseuse Dupuis, je crois que tu débandes… Chien, si tu me faisais un pareil affront…
Dans l’instant l’estomac du père, fatigué par l’agitation, fait capot, et l’inondation portant directement sur la face de l’infortunée Dupuis au moment d’une de ses exclamations amoureuses qui lui tenait la bouche béante, la vieille se sentant infectée de cette exlibation [vomissure] infecte, son cœur se soulève et elle paie l’agresseur de la même monnaie.
Jamais spectacle fut plus affreux et plus risible en même temps ! Le moine s’appesantit, s’écroule sur la Dupuis, celle-ci fait de puissants efforts pour le renverser de côté, elle y réussit. Tous deux nagent dans l’ordure, leurs visages sont méconnaissables. La Dupuis, dont la colère n’était que suspendue, tombe sur père Ange à grands coups de poing. Mes ris immodérés et ceux des deux spectateurs nous ôtent la force de leur donner du secours. Enfin nous les joignîmes et nous séparâmes les champions. Père Ange s’endort, la Dupuis se nettoie. A l’entrée de la nuit, chacun se retire et gagne tranquillement son manoir.

Dissertation sur le goût des amateurs du péché antiphysique, où l’on prouve qu’ils ne sont ni à plaindre, ni à blâmer

Après ce beau récit, qui nous apprêta à rire de grand cœur, la Bois-Laurier continua à peu près dans ces termes :
« Je ne te parle point du goût de ces monstres qui n’en ont que pour le plaisir antiphysique [sodomite], soit comme agents, soit comme patients. L’Italie en produit moins aujourd’hui que la France. Ne savons-nous pas qu’un seigneur aimable, riche, entiché de cette frénésie, ne put venir à bout de consoler son mariage avec une épouse charmante la première nuit de ses noces que par le moyen de son valet de chambre, à qui son maître ordonna, dans le fort de l’acte, de lui faire même introduction par-derrière que celle qu’il faisait à sa femme par-devant ?
« Je remarque cependant que Messieurs les antiphysiques se moquent de nos injures et défendent vivement leur goût, en soutenant que leurs antagonistes ne se conduisent que par les mêmes principes qu’eux. "Nous cherchons tous le plaisir, disent ces hérétiques, par la voie où nous croyons le trouver." C’est le goût qui guide nos adversaires ainsi que nous. Or, vous conviendrez que nous ne sommes pas les maîtres d’avoir tel ou tel goût. Mais, dit-on, lorsque les goûts sont criminels, lorsqu’ils outragent la nature, il faut les rejeter. Point du tout : en matière de plaisir, pourquoi ne pas suivre son goût ? Il n’y en a point de coupables. D’ailleurs, il est faux que l’antiphysique soit contre nature puisque c’est cette même nature qui nous donne le penchant pour ce plaisir. Mais, dit-on encore, on ne peut pas procréer son semblable. Quel pitoyable raisonnement ! Où sont les hommes, de l’un et de l’autre goût, qui prennent le plaisir de la chair en vue de faire des enfants ?
« Enfin, continua la Bois-Laurier, Messieurs les antiphysiques allèguent mille bonnes raisons pour faire croire qu’ils ne sont ni à plaindre, ni à blâmer. Quoi qu’il en soit, je les déteste, et il faut que je te conte un tour assez plaisant que j’ai joué une fois en ma vie à l’un de ces exécrables ennemis de notre sexe.

Camouflet donné par la Bois-Laurier à un de ces amateurs

« J’étais avertie qu’il devait venir me voir, et quoique je sois naturellement une terriblement péteuse, j’eus encore la précaution de me farcir l’estomac d’une forte quantité de navets, afin d’être mieux en état de le recevoir suivant mon projet. C’était un animal que je ne souffrais que par complaisance pour ma mère. Chaque fois qu’il venait au logis, il s’occupait pendant deux heures à examiner mes fesses, à les ouvrir, à les refermer, à porter le doigt au trou où il eût volontiers tenté de meure autre chose si je ne m’étais pas expliquée nettement sur l’article. En un mot, je le détestais. Il arrive à neuf heures du soir. Il me fait coucher à plat ventre sur le bord d’un lit, puis, après avoir exactement levé mes jupes et ma chemise, il va, selon sa louable coutume, s’armer d’une bougie dans le dessein de venir examiner l’objet de son culte. C’est où je l’attendais. Il met un genou en terre et, approchant la lumière et son nez, je lui lâche à brûle-pourpoint un vent moelleux que je retenais avec peine depuis deux heures. Le prisonnier, en s’échappant, fit un bruit enragé et éteignit la bougie. Le curieux se jette en arrière en faisant, sans doute, une grimace de tous les diables. La bougie, tombée de ses mains, est rallumée. Je profite du désordre et me sauve en éclatant de rire dans une chambre voisine où je m’enferme, et de laquelle ni prières ni menaces ne purent me tirer, jusqu’à ce que mon homme au camouflet eût vidé la maison. »
Ici Madame Bois-Laurier fut obligée de cesser sa narration par les ris immodérés qu’excita en moi cette dernière aventure. Par compagnie, elle riait aussi de tout son cœur, et je pense que nous n’eussions pas fini de sitôt sans l’arrivée de deux messieurs de sa connaissance que l’on vint nous annoncer. Elle n’eut que le temps de me dire que cette interruption la fâchait beaucoup en ce qu’elle ne m’avait encore montré que le mauvais côté de son histoire, qui ne pouvait que me donner une fort mauvaise opinion d’elle, mais qu’elle espérait me faire bientôt connaître le bon et m’apprendre avec quel empressement elle avait saisi la première occasion qui s’était présentée de se retirer du train de vie abominable dans lequel la Lefort l’avait engagée.
Je dois en effet rendre justice à la Bois-Laurier : si j’en excepte mon aventure avec Monsieur R***, dont elle n’a jamais voulu convenir d’avoir été de moitié, sa conduite n’a rien eu d’irrégulier pendant le temps que je l’ai connue. Cinq ou six amis formaient sa société, elle ne voyait de femme que moi, et les haïssait. Nos conversations étaient décentes devant le monde : rien de si libertin que celles que nous tenions dans le particulier depuis nos confidences réciproques. Les hommes qu’elle voyait étaient tous gens sensés. On jouait à de petits jeux de commerce, ensuite on soupait, chez elle, presque tous les soirs. Le seul B***, ce prétendu oncle financier, était admis à l’entretenir en particulier.
J’ai dit que deux messieurs nous avaient été annoncés. Ils entrèrent. Nous fîmes un quadrille [jeu de cartes], nous soupâmes gaiement. La Bois-Laurier, qui était d’une humeur charmante et qui, peut-être, était bien aise de ne pas me laisser seule, livrée aux réflexions de mon aventure du matin, m’entraîna dans son lit. Il fallut coucher avec. On hurle avec les loups : nous dîmes et nous fîmes toutes sortes de folies.

Thérèse fait connaissance à l’Opéra avec Monsieur le comte de ***, aujourd’hui son amant

Ce fut, mon cher comte, le lendemain de cette nuit libertine que je vous parlai pour la première fois. Jour fortuné ! Sans vous, sans vos conseils, sans la tendre amitié et l’heureuse sympathie qui nous lièrent d’abord, je coulais insensiblement à ma perte. C’était un vendredi. Vous étiez, il m’en souvient, dans l’amphithéâtre de l’opéra, presque au-dessous d’une loge où nous étions placées, la Bois-Laurier et moi. Si nos yeux se rencontrèrent par hasard, ils se fixèrent par réflexion. Un de vos amis, qui devait être le même soir l’un de nos convives, nous joignit :
- vous l’abordâtes peu de temps après. On me plaisantait sur les principes de morale. Vous parûtes curieux de les approfondir, et ensuite charmé de les connaître à fond. La conformité de vos sentiments aux miens éveilla mon attention. Je vous écoutais, je vous voyais avec un plaisir qui m’était inconnu jusqu’alors. La vivacité de ce plaisir m’anima, me donna de l’esprit, développa en moi des sentiments que je n’y avais pas encore aperçus. Tel est l’effet de la sympathie des cœurs : il semble que l’on pense par l’organe de celui avec qui elle agit. Dans le même instant que je disais à la Bois-Laurier qu’elle devait vous engager à venir souper avec nous, vous faisiez la même proposition à votre ami. Tout s’arrangera. L’opéra finit, nous montâmes tous quatre dans votre carrosse pour nous rendre dans votre petit hôtel garni où, après un quadrille dont nous payâmes amplement les frais par les fautes de distraction que nous fîmes, on se mit à table et on soupa. Enfin, si je vous vis sortir avec regret, je me sentis agréablement consolée par la permission que vous exigeâtes de venir me voir quelquefois, d’un ton qui me convainquit du dessein où vous étiez de n’y pas manquer.
Lorsque vous fûtes sorti, la curieuse Bois-Laurier me questionna et tâcha insensiblement de démêler la nature de la conversation particulière que nous avions eue, vous et moi, après le souper. Je lui dis tout naturellement que vous m’aviez paru désirer de savoir quelle espère d’affaire m’avait conduite et me tenait à Paris, et je convins que vos procédés m’avaient inspiré tant de confiance que je n’avais pas hésité à vous informer de presque toute l’histoire de ma vie et de l’état de ma situation actuelle. Je continuai de lui dire que vous m’aviez paru touché de mon état et que vous m’aviez fait entendre que, par la suite, vous pourriez me donner des preuves des sentiments que je vous avais inspirés.
– Tu ne connais pas les hommes, reprit la Bois-Laurier, la plupart ne sont que des séducteurs et des trompeurs qui, après avoir abusé de la crédulité d’une fille, l’abandonnent à son malheureux sort. Ce n’est pas que j’aie cette idée du caractère du comte personnellement, au contraire tout annonce en lui l’homme qui pense, l’honnête homme, qui est tel par raison, par goût et sans préjugés.
Après quelques autres discours de la Bois-Laurier, qui visaient à me servir de leçons propres à m’apprendre à connaître les différents caractères des hommes, nous nous couchâmes et, dès que nous fûmes au lit, nos folies prirent la place du raisonnement.

Madame Bois-Laurier achève son histoire et informe Thérèse de la manière dont elle s’est retirée de la vie libertine

Le lendemain matin, la Bois-Laurier me dit en s’éveillant :
– Je t’ai conté hier, ma chère Thérèse, à peu près toutes les misères de ma vie, tu as vu le mauvais côté de la médaille : aie la patience de m’écouter, tu en connaîtras le bon.
« Il y avait longtemps, poursuivit-elle, que mon cœur était bourrelé, que je gémissais de la vie indigne, humiliante, dans laquelle la misère m’avait plongée, et où l’habitude et les conseils de la Lefort me retenaient, lorsque cette femme, qui avait eu l’art de conserver sur moi une sorte d’autorité de mère, tomba malade et mourut. chacun me croyant sa fille, je restai paisible héritière de tout. Je trouvai, tant en argent comptant qu’en meubles, vaisselle, linge, de quoi former une somme de trente-six mille livres. En me conservant un honnête nécessaire, tel que tu le vois aujourd’hui, je vendis le superflu et, dans l’espace d’un mois, j’arrangeai mes affaires de manière que je m’assurai trois mille quatre cents livres de rente viagère. Je donnai mille livres aux pauvres, et je partis pour Dijon dans le dessein de m’y retirer et d’y passer tranquillement le reste de mes jours.
« Chemin faisant, la petite vérole me prit à Auxerre, qui changea tellement mes traits et mon visage qu’elle me rendit méconnaissable. Cet événement, joint au mauvais secours que j’avais reçu pendant ma maladie dans la province que je m’étais proposé d’habiter, me fit changer de résolution. Je compris aussi, retournant à Paris et m’éloignant des deux quartiers que j’avais habités pendant mes deux caravanes, que je pourrais facilement y vivre tranquille dans un autre, sans être reconnue. J’y suis donc de retour depuis un an. Monsieur B*** est le seul homme qui m’y connaisse pour ce que je suis. Il veut bien que je me dise sa nièce parce que je me fais passer pour une femme de qualité. Tu es aussi, Thérèse, la seule femme à qui je me sois confiée, bien persuadée qu’une personne qui a des principes tels que les tiens est incapable d’abuser de la confiance d’une amie que tu t’es attachée par la bonté de ton caractère et par l’équité qui règne dans tes sentiments.


SUITE DE L’HISTOIRE DE THÉRÈSE

Lorsque Madame Bois-Laurier eut fini, je l’assurai qu’elle devait faire fond sur ma discrétion et je la remerciai de bon cœur de ce qu’elle avait vaincu, en ma faveur, la répugnance que l’on a naturellement à informer quelqu’un de ses dérèglements passés.
Il était alors près de midi. Nous en étions aux politesses mutuelles, la Bois-Laurier et moi, lorsqu’on m’annonça que vous demandiez à me voir. Mon cœur tressaillit de joie. Je me levai, je volai auprès de vous, nous dînâmes et passâmes ensemble le reste de la journée.
Trois semaines s’écoulèrent, pour ainsi dire sans que nous nous quittions et sans que j’aie l’esprit de m’apercevoir que vous employiez ce temps à connaître si j’étais digne de vous. En effet, enivrée du plaisir de vous voir, mon âme n’apercevait aucun autre sentiment en moi, et quoique je n’eusse d’autre désir que celui de vous posséder toute ma vie, il ne me vint jamais dans l’idée de forer un projet suivi pour m’assurer ce bonheur.
Cependant, la modestie de vos expressions et la sagesse de vos procédés avec moi ne laissaient pas de m’alarmer. S’il m’aimait, me disais-je, il aurait auprès de moi les airs de vivacité que je vois à tels et tels qui m’assurent qu’ils ont pour moi l’amour le plus vif. Cela m’inquiétait. J’ignorais alors que les gens sensés aiment avec des procédés sensés, et que les étourdis sont des étourdis partout.

Le comte de *** propose à Thérèse de l’entretenir et de la conduire dans ses terres

Enfin, cher comte, au bout d’un mois vous me dîtes un jour assez laconiquement que ma situation vous avait inquiété dès le jour même que vous m’aviez connue, que ma figure, mon caractère, ma confiance en vous, vous avaient déterminé à chercher des moyens qui pussent me tirer du labyrinthe dans lequel j’étais à la veille d’être engagée.
– Je vous parais sans doute bien froid, mademoiselle, ajoutâtes-vous, pour un homme qui vous assure qu’il vous aime. Cependant, rien n’est si certain, mais comptez que la passion qui m’affecte le plus est celle de vous rendre heureuse. Je voulus en ce moment vous interrompre pour vous remercier.
– Il n’est pas temps, mademoiselle, reprîtes-vous. Ayez la bonté de m’écouter jusqu’à la fin. J’ai douze mille livres de rente : je puis, sans m’incommoder, vous en assurer deux mille pendant votre vie. Je suis garçon, dans la ferme résolution de ne jamais me marier, et déterminé à quitter le grand monde, dont les bizarreries commencent à m’être trop à charge, pour me retirer dans une assez belle terre que j’ai à quarante lieues de Paris. Je pars dans quatre jours. Voulez-vous m’y accompagner comme amie ? Peut-être, par la suite, vous déterminerez-vous à vivre avec moi comme ma maîtresse. Cela dépendra du plaisir que vous aurez à m’en faire. Mais comptez que cette détermination ne réussira qu’autant que vous sentirez intérieurement qu’elle peut contribuer à votre félicité.

Définition du plaisir et du bonheur ; ils dépendent l’un et l’autre de la conformation des sensations

« C’est une folie, ajoutâtes-vous, de croire qu’on est maître de se rendre heureux par sa façon de penser. Il est démontré qu’on ne pense pas comme on veut. Pour faire son bonheur, chacun doit saisir le genre de plaisir qui lui est propre, qui convient aux passions dont il est affecté, en combinant ce qui résultera de bien ou de mal de la jouissance de ce plaisir, et en observant que ce bien et ce mal soient considérés non seulement eu égard à soi-même, mais encore eu égard à l’intérêt public.

L’homme, pour vivre heureux, doit être attentif à contribuer au bonheur des autres. Il doit être honnête homme

« Il est constant que, comme l’homme, par la multiplicité de ses besoins, ne peut être heureux sans le secours d’une infinité d’autres personnes, chacun doit être attentif à ne rien faire qui blesse la félicité de son voisin. Celui qui s’écarte de ce système fuit le bonheur qu’il cherche. D’où on peut conclure avec certitude que le premier principe que chacun doit suivre pour vivre heureux dans ce monde est d’être honnête homme et d’observer les lois humaines, qui sont comme les liens des besoins mutuels de la société. Il est évident, dis-je, que ceux ou celles qui s’éloignent de ce principe ne peuvent être heureux : ils sont persécutés par la rigueur des lois, par la haine et par le mépris de leurs concitoyens.
« Réfléchissez donc, Mademoiselle, continuâtes-vous, à tout ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire. Consultez, voyez si vous pouvez être heureuse en me rendant heureux. Je vous quitte. Demain je viendrai recevoir votre réponse. »
Votre discours m’avait ébranlée. Je sentis un plaisir inexprimable à imaginer que je pouvais contribuer à ceux d’un homme qui pensait comme vous. J’aperçus en même temps le labyrinthe dont j’étais menacée et sur lequel votre générosité devait me rassurer. Je vous aimais. Mais que les préjugés sont puissants et difficiles à détruire ! L’état de fille entretenue, auquel j’avais toujours vu attacher une certaine honte, me faisait peur. Je craignais aussi de mettre un enfant au monde : ma mère, Madame C***, avaient failli périr dans l’accouchement. D’ailleurs, l’habitude où j’étais de me procurer par moi-même un genre de volupté que l’on m’avait dit être égal à celui que nous recevons dans les embrassements d’un homme amortissait le feu de mon tempérament, et je ne désirais jamais rien à cet égard parce que le soulagement suivait immédiatement les désirs. Il n’y avait donc que la perspective d’une misère prochaine, ou l’envie de me rendre heureuse en faisant votre bonheur, qui pussent me déterminer. Le premier motif ne fit qu’effleurer, le second me décida.

Thérèse se livre au comte de *** en qualité d’amie et part avec lui pour ses terres

Avec quelle impatience n’attendis-je pas votre retour chez moi dès que j’eus pris mon parti ! Le lendemain, vous parûtes, je me précipitai dans vos bras :
– oui, monsieur, je suis à vous ! m’écriai-je, ménagez la tendresse d’une fille qui vous chérit. Vos sentiments m’assurent que vous ne contraindrez jamais les miens. Vous savez mes craintes, mes faiblesses, mes habitudes. Laissez agir le temps et vos conseils. Vous connaissez le cœur humain, le pouvoir des sensations sur la volonté. Servez-vous de vos avantages pour faire naître en moi celles que vous croirez les plus propres pour le déterminer à contribuer sans réserve à vos plaisirs. En attendant, je suis votre amie, etc.
Je me rappelle que vous m’interrompîtes à ce doux épanchement de mon cœur. Vous me promîtes que vous ne contraindriez jamais mon goût et mes inclinations. Tout fut arrangé. J’annonçai le lendemain mon bonheur à la Bois-Laurier, qui fondit en larmes en me quittant. Et nous partîmes enfin pour votre terre le jour que vous aviez fixé.
Arrivée dans cet aimable séjour, je ne fus point étonnée du changement de mon état, parce que mon esprit n’était occupé que du soin de vous plaire.

Elle réduit le comte aux plaisirs de la petite oie

Deux mois s’écoulèrent sans que vous me pressiez sur les désirs que vous cherchiez à faire naître insensiblement en moi. J’allais au-devant de tous vos plaisirs, excepté de ceux de la jouissance dont vous me vantiez les ravissements, que je ne croyais pas plus vifs que ceux que je goûtais par habitude et que j’offrais de vous faire partager. Je frémissais au contraire à la vue du trait dont vous menaciez de me percer. Comment serait-il possible, me disais-je, que quelque chose de cette longueur, de cette grosseur, avec une tête aussi monstrueuse, puisse être reçu dans un espace où je puis à peine introduire le doigt ? D’ailleurs, si je deviens mère, je le sens, j’en mourrai.
– Ah ! mon cher ami, continuais-je, évitons cet écueil fatal. Laissez-moi faire.
Je caressais, je baisais ce que vous nommez votre docteur. Je lui donnais des mouvements qui, en vous dérobant comme malgré vous cette liqueur divine, vous conduisaient à la volupté et rétablissaient le calme dans votre âme.

Démonstration sur l’amour-propre ; c’est lui qui décide de toutes les actions de notre vie

Je remarquais que, dès que l’aiguillon de la chair était émoussé, sous prétexte du goût que j’avais pour les matières morale et métaphysique vous employiez la force du raisonnement pour déterminer ma volonté à ce que vous désiriez de moi.
– C’est l’amour-propre, me disiez-vous un jour, qui décide de toutes les actions de notre vie. J’entends par amour-propre cette satisfaction intérieure que nous sentons à faire telle ou telle chose. Je vous aime, par exemple, parce que j’ai du plaisir à vous aimer. Ce que j’ai fait pour vous peut vous convenir, vous être utile, mais ne m’en ayez aucune obligation : c’est l’amour-propre qui m’y a déterminé, c’est parce que j’ai fixé mon bonheur à contribuer au vôtre, et c’est par ce même motif que vous ne me rendrez parfaitement heureux que lorsque votre amour-propre y trouvera sa satisfaction particulière. Un homme donne souvent l’aumône aux pauvres, il s’incommode même pour les soulager : son action est utile au bien de la société, elle est louable à cet égard, mais par rapport à lui, rien moins que cela, il a fait l’aumône parce que la compassion qu’il ressentait pour ces malheureux excitait en lui une peine, et qu’il a trouvé moins de désagrément à se défaire de son argent en leur faveur qu’à continuer de supporter cette peine excitée par la compassion. Ou peut-être encore que l’amour-propre, flatté par la vanité de passer pour un homme charitable, est la véritable satisfaction intérieure qui l’a décidé. Toutes les actions de notre vie sont dirigées par ces deux principes : se procurer plus ou moins de plaisir, éviter plus ou moins de peine.

Démonstration sur l’impuissance où est l’âme d’agir ou de penser de telle ou telle manière

D’autre fois vous m’expliquiez, vous étendiez les courtes leçons que j’avais reçus de Monsieur l’abbé T*** :
– Il vous a appris, me disiez-vous, que nous ne sommes pas plus maîtres de penser de telle et de telle manière, d’avoir telle ou telle volonté, que nous ne sommes les maîtres d’avoir ou de ne pas avoir la fièvre. En effet, ajoutiez-vous, nous voyons, par des observations claires et simples, que l’âme n’est maîtresse de rien, qu’elle n’agit qu’en conséquence des sensations et des facultés du corps, que les causes qui peuvent produire du dérangement dans les organes troublent l’âme, altèrent l’esprit, qu’un vaisseau, une fibre, dérangés dans le cerveau peuvent rendre imbécile l’homme du monde qui a le plus d’intelligence. Nous savons que la nature n’agit que par les voies les plus simples, que par un principe uniforme. Or, puisqu’il est évident que nous ne sommes pas libres dans de certaines actions, nous ne le sommes dans aucune.
« Ajoutons à cela que si les âmes étaient purement spirituelles elles seraient toutes les mêmes. Étant toutes les mêmes, si elles avaient la faculté de penser et de vouloir par elles-mêmes, elles penseraient et se détermineraient toutes de la même manière dans des cas égaux. Or c’est ce qui n’arrive point. Donc elles sont déterminées par quelque autre chose, et ce quelque autre chose ne peut être que la matière puisque les plus crédules ne connaissent que l’esprit et la matière.

Réflexions sur ce que c’est que l’esprit

« Mais demandons à ces hommes crédules ce que c’est que l’esprit. Peut-il exister et n’être dans aucun lieu ? S’il est dans un lieu, il doit occuper une place, s’il occupe une place, il est étendu, s’il est étendu, il a des parties, et s’il a des parties, il est matière. Donc, l’esprit est une chimère, ou il fait partie de la matière.
De ces raisonnements, disiez-vous, on peut conclure avec certitude : premièrement que nous ne pensons de telle et telle manière que par rapport à l’organisation de nos corps, jointe aux idées que nous recevons journellement par le tact, l’ouïe, la vue, l’odorat et le goût ; secondement que le bonheur ou le malheur de notre vie dépendent de cette modification de la matière et de ces idées, qu’ainsi les génies, les gens qui pensent, ne peuvent trop se donner de soins et de peines pour inspirer des idées qui soient propres à contribuer efficacement au bonheur public, et particulièrement à celui des personnes qu’ils aiment. Et que ne doivent pas faire à cet égard les pères et les mères envers leurs enfants, les gouverneurs, les précepteurs envers leurs disciples ?

Gageure du comte avec Thérèse

Enfin, mon cher comte, vous commenciez à vous sentir fatigué de mes refus, lorsque vous vous avisâtes de faire venir de Paris votre bibliothèque galante avec votre collection de tableaux dans le même genre. Le goût que je fis paraître pour les livres et encore plus pour la peinture vous fit imaginer deux moyens qui vous réussirent.
– Vous aimez donc, Mademoiselle Thérèse, me dites-vous en plaisantant, les lectures et les peintures galantes ? J’en suis ravi : vous aurez du plus saillant. Mais capitulons, s’il vous plaît : je consens de vous prêter et de placer dans votre appartement ma bibliothèque et les tableaux pendant un an, pourvu que vous vous engagiez de rester pendant quinze jours sans porter la main à cette partie qui, en bonne justice, devrait bien être aujourd’hui de mon domaine, et que vous fassiez sincèrement divorce au manuélisme. Point de quartier, ajoutâtes-vous, il est juste que chacun mette un peu de complaisance dans le commerce. J’ai de bonnes raisons pour exiger celle-ci de vous. Optez : sans cet arrangement, point de livres, point de tableaux.
J’hésitai peu : je fis vœu de continence pour quinze jours.
– Ce n’est pas tout, me dites-vous encore. Imposons-nous des conditions réciproques : il n’est pas équitable que vous fassiez un pareil sacrifice pour la vue de ces tableaux ou pour une lecture momentanée. Faisons une gageure, que vous gagnerez sans doute : je parie ma bibliothèque et mes tableaux contre votre pucelage que vous n’observerez pas la continence pendant quinze jours ainsi que vous le promettez.
– En vérité, monsieur, vous répondis-je d’un air un peu piqué, vous avez une idée bien singulière de mon tempérament, et vous me croyez bien peu maîtresse de moi-même.
– Oh ! mademoiselle, répliquâtes-vous, point de procès, je vous prie, je n’y suis pas heureux avec vous. Je sens, au reste, que vous ne devinez point l’objet de ma proposition. Écoutez-moi. N’est-il pas vrai que toutes les fois que je vous fais un présent votre amour-propre paraît blessé de le recevoir d’un homme que vous ne rendez pas aussi content qu’il pourrait l’être ? Eh bien ! la bibliothèque et les tableaux, que vous aimez tant, ne vous feront pas rougir puisqu’ils ne seront à vous que parce que vous les aurez gagnés.
– Mon cher comte, repris-je, vous me tendez des pièges, mais vous en serez la dupe, je vous en avertis. J’accepte la gageure ! m’écriai-je, et je m’oblige, qui plus est, à ne m’occuper toutes les matinées qu’à lire vos livres et à voir vos tableaux enchanteurs.

Effets de la peinture et de la lecture

Tout fut porté par vos ordres dans ma chambre. Je dévorai des yeux ou, pour mieux dire, je parcourus tour à tour pendant les quatre premiers jours l’histoire du Portier des Chartreux, celle de La Tourière des Carmélites, L’Académie des Dames, Les Lauriers ecclésiastiques, Thémidore, Frétillon, etc., et nombre d’autres de cette espèce, que je ne quittai que pour examiner avec avidité des tableaux où les postures les plus lascives étaient rendues avec un coloris et une expression qui portaient un feu brûlant dans mes veines.
Le cinquième jour, après une heure de lecture, je tombai dans une espèce d’extase. Couchée sur mon lit, les rideaux ouverts de toutes parts, deux tableaux – les Fêtes de Priape, les Amours de Mars et de Vénus – me servaient de perspective. L’imagination échauffée par les attitudes qui y étaient représentées, je me débarrassai des draps et des couvertures et, sans réfléchir si la porte de ma chambre était bien fermée, je me mis en devoir d’imiter toutes les postures que je voyais. Chaque figure m’inspirait le sentiment que le peintre y avait donné. Deux athlètes, qui étaient à la partie gauche du tableau des Fêtes de Priape, m’enchantaient, me transportaient par la conformité du goût de la petite femme au mien. Machinalement, ma main droite se porta où celle de l’homme était placée, et j’étais au moment d’y enfoncer le doigt lorsque la réflexion me retint. J’aperçus l’illusion, et le souvenir des conditions de notre gageure m’obligea de lâcher prise.
Que j’étais bien éloignée de vous croire spectateur de mes faiblesses, si ce doux penchant de la nature en est une, et que j’étais folle, grands dieux, de résister aux plaisirs inexprimables d’une jouissance réelle ! Tels sont les effets du préjugé : ils sont nos tyrans. D’autres parties de ce premier tableau excitaient tour à tour mon admiration et ma pitié. Enfin je jetai les yeux sur le second. Quelle lascivité dans l’attitude de Vénus ! Comme elle, je m’étendis mollement. Les cuisses un peu éloignées, les bras voluptueusement ouverts, j’admirais l’attitude brillante du dieu Mars. Le feu dont ses yeux, et surtout sa lance, paraissaient animés passa dans mon cœur. Je me coulai sous les draps, mes fesses s’agitaient voluptueusement comme pour porter en avant la couronne destinée au vainqueur.
– Quoi ! m’écriai-je, les divinités mêmes font leur bonheur d’un bien que je refuse ! Ah ! cher amant ! je n’y résiste plus. Parais, comte, je ne crains point ton dard, tu peux percer ton amante, tu peux même choisir où tu voudras frapper, tout m’est égal, je souffrirai tes coups avec confiance, sans murmurer. Et pour assurer ton triomphe, tiens ! voilà mon doigt placé.

Le comte gagne sa gageure et jouit enfin de Thérèse

Quelle surprise ! Quel heureux moment ! Vous parûtes tout à coup, plus fier, plus brillant que Mars ne l’était dans le tableau. Une légère robe de chambre qui vous couvrait fut arrachée.
– J’ai eu trop de délicatesse, me dites-vous, pour profiter du premier avantage que tu m’as donné : j’étais à la porte d’où j’ai tout vu, tout entendu, mais je n’ai pas voulu devoir mon bonheur au gain d’une gageure ingénieuse. Je ne parais, mon aimable Thérèse, que parce que tu m’as appelé. Es-tu déterminée ?
– Oui, cher amant ! m’écriais-je, je suis toute à toi. Frappe-moi, je ne crains plus tes coups.
A l’instant vous tombâtes entre mes bras. Je saisis sans hésiter la flèche qui, jusqu’alors, m’avait paru si redoutable, et je la plaçai moi-même à l’embouchure qu’elle menaçait. Vous l’enfonçâtes sans que vos coups redoublés m’arrachassent le moindre cri. Mon attention, fixée sur l’idée du plaisir, ne me laissa pas apercevoir le sentiment de la douleur.
Déjà l’emportement semblait avoir banni la philosophie de l’homme maître de lui-même, lorsque vous me dites avec des sons mal articulés :
– Je n’userai pas, Thérèse, de tout le droit qui m’est acquis. Tu crains de devenir mère, je vais te ménager. Le grand plaisir s’approche, porte de nouveau ta main sur ton vainqueur dès que je le retirerai, et aide-le par quelques secousses à… il est temps, ma fille, je… de… plaisirs…
– Ah ! je meurs aussi ! m’écriai-je, je ne me sens plus, je… me… pâ… me…
Cependant j’avais saisi le trait, je le serrais légèrement dans ma main qui lui servait d’étui, et dans laquelle il acheva de parcourir l’espace qui le rapprochait de la volupté. Nous recommençâmes, et nos plaisirs se sont renouvelés depuis dix ans dans la même forme, sans trouble, sans enfants, sans inquiétude.
Voilà je pense, mon cher bienfaiteur, ce que vous avez exigé que j’écrivisse des détails de ma vie. Que de sots, si jamais ce manuscrit venait à paraître, se récrieraient contre la lascivité, contre les principes de morale et de métaphysique qu’il contient ! Je répondrais à ces sots, à ces machines lourdement organisés, à ces espèces d’automates accoutumées à penser par l’organe d’autrui, qui ne font telle ou telle chose que parce qu’on leur dit de les faire, je leur répondrais, dis-je, que tout ce que j’ai écrit est fondé sur l’expérience et sur le raisonnement détaché de tout préjugé.

Curieuse réflexion de Thérèse pour prouver que les principes renfermés dans son livre doivent contribuer au bonheur des humains

Oui, ignorants ! la nature est une chimère, tout est l’ouvrage de Dieu. C’est de lui que nous tenons les besoins de manger, de boire et de jouir des plaisirs. Pourquoi donc rougir en remplissant ses desseins ? Pourquoi craindre de contribuer au bonheur des humains en leur apprêtant des ragoûts variés propres à contenter avec sensualité ces divers appétits ? Pourrai-je appréhender de déplaire à Dieu et aux hommes en annonçant des vérités qui ne peuvent qu’éclairer sans nuire ?

Elle donne un résumé de tout ce qu’il renferme

Je vous le répète donc, censeurs atrabilaires, nous ne pensons pas comme nous voulons. L’âme n’a de volonté, n’est déterminée que par les sensations, que par la matière, La raison nous éclaire, mais elle ne nous détermine point. L’amour-propre (le plaisir à espérer ou le déplaisir à éviter) sont le mobile de toutes nos déterminations. Le bonheur dépend de la conformation des organes, de l’éducation, des sensations externes, et les lois humaines sont telles que l’homme ne peut être heureux qu’en les observant, qu’en vivant en honnête homme. Il y a un Dieu, nous devons l’aimer parce que c’est un être souverainement bon et parfait. L’homme sensé, le philosophe, doit contribuer au bonheur public par la régularité de ses mœurs. Il n’y a point de culte, Dieu se suffit à lui-même : les génuflexions, les grimaces, l’imagination des hommes, ne peuvent augmenter sa gloire. Il n’y a de bien et de mal moral que par rapport aux hommes, rien par rapport à Dieu. Si le mal physique nuit aux uns, il est utile aux autres : le médecin, le procureur, le financier, vivent des maux d’autrui, tout est combiné. Les lois établies dans chaque région pour resserrer les liens de la société doivent être respectées, celui qui les enfreint doit être puni parce que, comme l’exemple retient les hommes mal organisés, mal intentionnés, il est juste que la punition d’un infractaire contribue à la tranquillité générale. Enfin, les rois, les princes, les magistrats, tous les divers supérieurs, par gradations, qui remplissent les devoirs de leur état, doivent être aimés et respectés parce que chacun d’eux agit pour contribuer au bien de tous.

FIN