II. Métiers...

Louise de Bescé ne retourna pas aux magasins de la Tour de Nesle. Mais elle ne trouva aucun négoce où l’on consentît à l’employer sans prendre des renseignements. La jeune fille connut donc promptement les conditions de vie faites partout aux vendeuses, comptables et manutentionnaires. Les salaires de famine qu’on allouait à ces malheureuses, choisies avec le même soin que s’il se fût agi d’une épouse de prince, avaient je ne sais quelle apparence ironique. La fille du marquis de Bescé commença seulement à comprendre la société.

Louise fut bientôt sans le sou. Elle défendit ses derniers billets avec âpreté, mais ils fondirent peu à peu. Alors sa lutte fut ardente. Son âme était combative et forte. Intelligente et douée du rare pouvoir de mettre sa volonté en accord avec son esprit, rien ne la décourageait. Elle tenta de travailler dans une entreprise financière. On l’y reçut avec des façons patelines et on la convoqua pour écrire des adresses sur des bandes de prospectus. Après une journée de travail acharné, elle avait gagné quatre francs soixante centimes. En sus, la promiscuité du lieu, l’insolence des gens qui commandaient ce bétail humain, et la misère avachie des ouvrières de cet étrange travail lui apportèrent un dégoût invincible. Le hasard la conduisit ensuite dans une droguerie, pour y faire des emballages de « Pilules Khoku » contre le rhume, la constipation et les varices. C’était le remède à la mode. Une publicité énorme l’imposait à la crédulité des sots. On voyait dans toutes les rues de Paris des affiches géantes, portant la phrase consacrée : Khoku est bienfaisant, Khoku vous guérira, essayez Khoku.

Louise de Bescé, qui se faisait appeler Louise Jalaviac, nom de sa mère, empaqueta des pilules Khoku deux jours durant. On la payait dix-huit francs par jour. Le troisième matin, le directeur la fit demander.

On l’introduisit dans un somptueux cabinet tendu de cuir rouge, avec des divans profonds comme des tombeaux. Un homme était là, porteur d’une tête d’hydrocéphale, barbu du front à la mâchoire, mais glabre sous le nez et sous le menton. C’était monsieur Khoku aîné, l’inventeur des pilules, un Russe de Tchita, à masque de Kalmouk, et qui bredouillait en parlant comme s’il eût la bouche pleine de bouillie. Il dit :
- Mademoiselle, vous avez mal emballé mes pilules.

Louise répondit hardiment :
- Vous vous trompez, monsieur, je fais mon travail très consciencieusement.

L’autre reprit, d’une voix plus pâteuse encore :
- Si ! Si… Je vais être obligé de vous mettre à la porte, à moins que…
- À moins que ? demanda naïvement la fille du marquis de Bescé.
- À moins que vous vous excusiez des malfaçons.
- Monsieur, si j’ai mal réussi certains emballages, je vous prie de m’en excuser, et d’être assuré que je m’efforcerai désormais de ne plus le faire.
- Ce n’est pas ce genre d’excuses, dit l’hydrocéphale.
- Lesquelles, monsieur ?
- Voilà ! Mademoiselle, voilà, venez ici…

Louise s’approcha sans penser à mal.

Quand elle fut sur le côté du bureau, l’autre l’appela encore.
- Plus près !

Elle fit un pas de plus.

Alors une main vigoureuse la saisit et l’immobilisa, puis un bras la ceintura et, reculant son fauteuil d’un coup de talon, monsieur Khoku se trouva nanti de la jeune fille, soudain assise sur ses genoux, et qui resta quelques secondes avant de comprendre.

Enfin elle tenta de se dégager. Vain effort ! Ce Tartare était d’une vigueur de taureau. D’une seule prise il immobilisait les deux poignets de sa partenaire et, de l’autre main, fouillait sous la jupe.
- Laissez-moi, monsieur, ou je vais crier !
- Crie, petite !… On a l’habitude, ici, de me laisser libre de tout faire, tant que moi-même je ne sonne pas. Je suis le maître.

Il avait la main sur le bas-ventre de la jeune fille. Il dit :
- C’est joli ! tu n’as presque pas de poils. Je raffole de ça.

Elle s’efforçait de limiter l’emprise du gros homme, sentant bien la vanité de pousser des cris et des appels auxquels nul ne répondrait. Mais comment échapper à ces mains de gorille, se libérer, et enfin sauter à la porte pour s’enfuir ?…

Brusquement l’homme la courba en avant et, d’un geste preste, releva la robe jusqu’aux seins. Il encapuchonna la tête de Louise, qui se trouva les mains tenues et le haut du corps comme dans un sac. L’autre dit alors, d’un air satisfait :
- Je suis un vieux lutteur ; j’ai de l’expérience. Une femme entrée ici n’en sort qu’après m’avoir satisfait. Tu feras de même. Il vaut toujours mieux y consentir de bon gré…

Durant ce discours, elle sentait une main habile abaisser sa culotte et relever sa chemise, puis elle perçut que, des hanches aux genoux, son corps était à la disposition du personnage. En se débattant encore, quoique faiblement, elle attendait une sensation aiguë et douloureuse, ou pénible, ou répugnante. Rien ne vint. D’un mouvement rapide, sa robe lui fut seulement enlevée. Sa stupeur était si grande qu’en un tournemain elle se trouva dépouillée de tout son linge et resta absolument nue devant le marchand de pilules goguenard.

Il plaça les vêtements de la jeune fille sous son bureau, puis demanda :
- Voulez-vous, mademoiselle, faire ce que je désire maintenant, sinon, j’appelle et un de mes domestiques russes va venir vous chercher. Il vous emportera dans un cachot où vous réfléchirez ainsi jusqu’à ce que vous acceptiez d’accomplir mes ordres.

Louise dit, d’une voix coléreuse :
- Que voulez-vous ?
- Je veux que vous vous placiez sur ce petit fauteuil-là.

Rétive, mais se sentant prise et dominée, elle s’assit sans mot dire.
- Bien, ça ! Je vous vois docile. Vous serez récompensée. Bon ! Approchez-vous ! Je vous veux très près de moi, dit-il en ricanant. Là ! entre mes jambes !

Elle y vint sans comprendre ce que lui voulait cet homme, dans une posture où précisément son sexe était protégé.
- C’est très bien. Êtes-vous à l’aise ? Vous devez me comprendre, maintenant ?

Elle était assise à le toucher, plus basse que lui et craignit qu’on ne lui demandât de faire sexe avec sa bouche. Mais ce ne fut point cela. Monsieur Khoku tira de son pantalon une verge cordée de veines bleues et circoncise. Le bout en était d’un rouge sombre et le gland comme laqué. Pour la première fois, la jeune fille vit de près cet objet, dont elle avait subi deux étranges contacts, mais sans examen préalable…
- Tenez, petite, placez cela entre vos deux seins. Là ! pesez sur eux de l’extérieur, de façon à ménager le passage, et maintenant, vous allez me faire jouir. Vous ne connaissiez pas cela ?
- Non ! dit-elle avec un demi-sourire, tant cet acte lui semblait comique, compliqué et incapable de procurer aucune satisfaction.

Elle ne savait pas faire le mouvement lent qui aggrave les contacts de la verge mâle, près du frein qui sert de base au gland. Mais l’homme l’aida ; il était d’une bonne humeur charmante et bientôt tout s’accomplit selon ses voeux.

Au dixième passage des seins au ras du filet de ce sexe turgide, visiblement parvenu au maximum d’excitation, l’homme se renversa dans son fauteuil avec un grondement. Il avait la bouche tordue, ses mains s’ouvraient, puis se refermaient convulsivement.
- Continue ! dit-il, avec une sorte d’aboiement.

Au sommet du sexe, sortant du méat dilaté, une goutte blanche parut. Elle coula lentement au long du membre, mais une autre plus grosse jaillit, puis une troisième, qui sauta sur le menton de Louise, puis cinq ou six, pressées, jaillissant comme sous l’effort de l’organe qu’une détente agitait. Une goutte de ce sperme vint s’écraser sur la lèvre de la jeune fille, qui perçut une odeur forte, marine et amère. Enfin les dernières, sans force, coulèrent en un flot lent et lacté, autour de la verge, jusqu’aux seins de Louise, qui sentit le contact de ce liquide et retira ses mains. L’homme, toujours affaissé, respirait lourdement. II murmura :
- Branle-moi !…

Elle ne comprenait pas, il redit :
- Comme ça, branle-moi vite !

Elle prit la verge de sa main fine et devina qu’il s’agissait de l’acte qu’accomplissait debout la paysanne, sous la terrasse du château de Bescé. Cela ne lui sembla point du tout avilissant. En somme, où elle en était venue, peu importait une complaisance de plus.

Elle passa la main au long de cette forme charnue, curieuse et redevenue raide. Le sperme qui venait de couler donnait une douceur parfaite au toucher. Sa main vint au sommet de la verge, près de l’orifice violacé, puis descendit précautionneusement jusqu’au ventre. Au bord du gland, la rigole arrêta son geste. Louise comprit que là se tenait le lieu de l’excitation virile. Elle revint sur la même place. Un frisson agita l’homme. Elle repassa, s’efforçant de prolonger et d’irriter la sensation. Se tendant soudain comme un arc, la virilité lui échappa et un liquide incolore en jaillit.

La jeune fille devinait maintenant la jouissance des hommes. D’un seul doigt, elle attoucha au-dessous du méat, puis frotta légèrement. C’était bien le lieu d’élection. Une sorte de détente galvanique secoua monsieur Khoku, qui dit d’une voix morte :
- Oui !… oui !…

Louise recommença, puis, du pouce, tourna autour du gland, dans la rainure qui était d’une peau plus rose et unie, avec des taches claires.

Elle faisait cela avec une telle attention et un tel désir de s’instruire, sa face était si près du membre, que le jaillissement du sperme la surprit. Au lieu d’être un lent écoulement, comme tout à l’heure, ce fut l’éruption d’un geyser. À intervalles pressés, la liqueur se répandit, sautant haut. D’abord le jet frappa Louise en plein visage. La jeune fille recula et vit alors les gouttes décrire une volute en l’air. Elle tenait toujours ses doigts en contact avec l’organe.

Soudain, dans un désir confus de vengeance, elle revint à l’homme avachi et tenta de nouveau d’en extraire du plaisir. La curieuse sentait bien qu’à la fin ce serait lui qui capitulerait. Mais le membre se dégonflait lentement, malgré ses efforts. Louise en suivait l’évolution avec curiosité. Alors, pour rendre le contact plus agaçant, elle y mit les deux mains, et ironiquement, voulut constater les limites de son pouvoir.

La verge grossit de nouveau. Louise avait compris que les points délicats de cet organe sont autour du gland et au-dessous du rebord qui le limite. Son jeu tournait avec précision et minutie sur ce petit segment de peau, certain désormais de l’action provoquée par la caresse dans l’économie de ce corps bandé et dévoré par le plaisir.

Louise comprenait maintenant la paysanne acharnée à faire jouir son compagnon, et Julia masturbant son amant dans la serre de Bescé. Elle aussi voulait extirper de cet être vaincu le délire qui signe la défaite des hommes. Énervée et attentive, une idée lui vint : peut-être fallait-il chatouiller les testicules ? Ses doigts fins s’y activèrent, malgré la répugnance que lui apportait cette peau ridée et velue. Un gémissement secoua soudain l’homme, en un sursaut brusque. Pourtant rien ne jaillit encore. Louise, qui s’acharnait à vaincre, se pencha enfin.

Elle se souvenait de la première leçon donnée par les rustres de Bescé. De la langue, elle frotta alors doucement le devant de la verge, là où le prépuce dessine, chez les mâles non circoncis, une sorte de coeur. En même temps, ses doigts légers palpaient doucement les bourses et le pouce passait sur le devant du membre.
- Ah ! fit le patient, avec un grincement de dents.

Louise vit de nouveau le tremblement de la forme roide et les soubresauts qui accompagnaient tout à l’heure le giclement du sperme, mais le méat largement ouvert restait sec cette fois. Les convulsions s’accentuèrent pourtant et la verge lui échappa. Elle décrivit une sorte de geste en l’air, puis un jet de sang, fin comme une aiguille, gicla, fut coupé, reprit et s’arrêta encore. Horrifiée, Louise se leva. Monsieur Khoku eut deux ou trois détentes, puis ses jambes s’allongèrent, en même temps que son visage prenait la couleur d’une cire rancie. Ses bras tombèrent mollement… Il était mort.

Louise de Bescé venait de tuer le premier homme auquel elle offrait le plaisir de sang-froid. De la verge soudain amollie et qui tombait comme un chiffon, le sang continuait cependant de couler…

*

Louise était sortie de chez monsieur Khoku sans se faire remarquer. Vivement habillée, elle avait pris la porte en hâte. Personne d’ailleurs ne s’inquiéta d’elle. Une fois dans Paris, elle compta sa bourse. Il lui restait trente francs. Avant trois jours, il lui fallait trouver à s’employer ailleurs.

Déjà cette aventure amoureuse et tragique lui semblait vieille. Au fond de son esprit subsistait seulement la satisfaction d’une vengeance certaine. Ce marchand de pilules réclamait des sensations. Subjuguée, elle lui avait fait cadeau de la mort par-dessus le marché…

Elle entra peu après dans un petit journal financier, où l’on demandait des employées. On la conduisit chez le chef de service. C’était, au cinquième étage de la rue de Châteaudun, une série de bureaux minuscules et crasseux. Elle attendit un moment, puis fut introduite près d’un jeune homme, qui, sitôt son entrée, alla fermer la porte au verrou.

Que voulait-il, celui-là ?

Il demanda :
- Mademoiselle, vous savez ce que je demande ?
- Non, monsieur ! Je sais qu’il s’agit d’employées qui aient un peu d’instruction et qui sachent écrire. Je possède peut-être ces vertus, mais je ne sais pas taper à la machine.

Le jeune homme la regarda attentivement, comme pour savoir s’il pouvait dire certaines choses, puis il se décida :
- Ce n’est pas tout, mademoiselle, il me faut ces qualités, mais il m’en faut d’autres.
- Lesquelles, monsieur ? Je crains alors de ne pouvoir.
- Si ! si ! Vous pourrez ; vous avez au moins la moitié des choses que je veux, à savoir la beauté et la grâce. Mais…
- Que vous faut-il encore ?

Il articula tout à trac :
- De la complaisance…
- Laquelle ?
- Je vais vous le montrer, tenez…

Il se leva, vint à Louise, se pencha, puis déposa un baiser sur les lèvres rouges.
- Jusqu’ici monsieur, c’est encore supportable, mais je pense que vous vous en tenez à ces marques d’amitié ?
- Mais non, mademoiselle ! Il faut encore que…

Il s’interrompit.
- Faites-moi voir vos mollets.
- C’est facile, monsieur, voilà !

Elle voulait connaître jusqu’où irait cette aventure, et espérait en rester maîtresse, car ce jeune homme n’avait rien de tragique, ni de menaçant.
- Vos cuisses ?
- Voilà encore ! Mais vite elle laissa retomber sa jupe, après l’avoir haut levée.
- Vos fesses ?
- Ah ! cela, c’est trop. Non, monsieur !

Le jeune homme, sans façons, repartit tranquillement :
- Ce n’est rien, mademoiselle, et en voilà la preuve :

Et il baissa froidement son pantalon, montrant à Louise de Bescé ses fesses maigres.

Elle se mit à rire :
- Vous vous oubliez, monsieur ! Que signifie ce spectacle ?

L’homme, sans se retourner, dit d’une voix fluette :
- Voulez-vous me prendre ?
- Mais, monsieur, je ne vois pas…
- Si ! Si !

Il alla au bureau, tout entravé par ses culottes tombantes, ouvrit un tiroir et en retira une verge d’homme merveilleusement imitée.
- Tenez, mademoiselle, prenez-moi avec cela…

Elle resta tout à fait éberluée, avec cet organe de caoutchouc dans la main. L’homme s’était remis en posture.
- Prenez-moi, mademoiselle, vite !… vite !…

Louise n’aurait voulu, pour une fortune, se trouver ailleurs. Elle se plaça derrière le jeune homme et tenta d’introduire le phallus de fantaisie dans l’anus qui lui était offert.
- Plus fort ! se plaignit l’autre.

Brutale, elle inséra l’objet et se mit à le remuer frénétiquement. Alors, elle vit que dans tous leurs vices les hommes se ressemblaient. Le râle de volupté déjà entendu chez tous se manifesta, et la virilité du personnage, jusque-là molle et pendante, s’affermit violemment. Il dit :
- Relevez votre jupe, maintenant !
- Mais non ! repartit Louise, je ne veux pas de votre mécanique…
- Je n’espère pas vous l’introduire non plus, ne craignez rien.

Il s’étendit sur le dos, au milieu de la pièce.
- Relevez votre jupe, baissez votre pantalon. Bon ! Accroupissez-vous, que j’aie la bouche en contact.

Elle le fit, dans une curiosité toujours renaissante.

L’homme se mit à se masturber seul. Sa bouche cherchait seulement l’anus de Louise pour se poser dessus ardemment.

Il éjacula enfin, puis resta comme foudroyé à terre. Louise s’assit pour attendre qu’il revînt de cette pâmoison. Quand il reprit connaissance, son premier mot fut :
- Je vous garde. On le fera tous les jours, dites ?

Elle se mit à rire.
- Cela vous est agréable, vrai ?

Sombre, il répondit :
- Plus que ma vie.