III. Le Choc

Le docteur de Laize, crispé, avait les yeux toujours fixés sur la forme élégante qui, dans la pièce voisine, et ne se sentant pas regardée, accomplissait avec un naturel parfait ces actes taxés d’infamie que seul justifie le plus ardent des amours.

Il avait chassé Thea Racovitza et l’Anglais aux fesses accueillantes. Il restait seul. Le front moite, il but un verre de champagne sans quitter des yeux le honteux spectacle.

C’était bien Louise de Bescé. Elle n’avait rien perdu de sa dignité, ni de sa grâce. Elle n’avait aucunement l’air d’une prostituée et non plus d’une maîtresse passionnée. Elle s’attestait femme du monde, un peu distante, sereine, impassible, et qui accomplit des choses… délicates aussi naturellement qu’elle offrirait des petits fours. Quelles choses ? Ah ! de Laize n’avait pas tout vu.

Louise avait, elle aussi, bu du champagne. Elle était revenue ensuite vers l’homme pantelant. Il se relevait alors et lui demandait quelque chose. Elle allait remplir son verre d’une liqueur rouge et le lui rapportait. Il buvait, puis paraissait vouloir que Louise accomplît un acte auquel la jeune fille se refusait doucement, avec un sourire mondain qui ne voulait pas expressément dire non.

Il insistait. Louise se retroussait et lui montrait sa croupe. II l’embrassait avec une ardeur véhémente et de Laize ne voyait plus que le visage de la jeune fille, lui faisant face, et qui gardait un demi-sourire narquois.

L’homme paraissait enfin désolé de quelque chose et de Laize vit de quoi il s’agissait : sa verge était maintenant molle et pendante. Il la désignait avec ennui. Son désir était de jouir encore mais il lui fallait le coup de fouet d’un type particulier de volupté.

Louise avait rabattu ses jupes, elle se tenait debout, semblant attendre les ordres de l’homme laineux, qui, navré, montrait toujours son sexe, maintenant réduit à rien.

Elle tentait d’animer le membre de la main, mais ne réussissait point. Elle s’assit sur les genoux de l’homme, ayant relevé sa robe et placé sa chair en contact avec le priape amolli. Elle s’agita un instant, puis se retira. En vain.

Évidemment, cet individu ne voulait ni faire ordinairement l’amour, ni même user de moyens normaux dans les actes de remplacement.

De Laize avait vu que Louise consentait à recevoir cette virilité dans sa bouche. Quel acte pouvait donc être pire, pour qu’elle s’y refusât ?

Et le médecin, durant toute cette scène, ne pouvait toutefois pas mépriser cette femme, qu’il aimait depuis trois ans d’une folie croissante, et dont rien n’aurait pu l’éloigner désormais.

Toujours en lui cet amour subsistait. Mieux, il constata avec horreur que le spectacle inattendu auquel il assistait aggravait encore sa passion et la rendait moins supportable. II aimait…

Louise refusait toujours, mais que refusait-elle ? De Laize eût donné une fortune pour le savoir.

Enfin, avec une gaieté apparente et délicate, la fille du marquis de Bescé se dévêtit. L’homme lui faisait des discours suppliants. Quand elle fut en chemise, il tira de sa poche un carnet de chèques et signa un papier, puis le tendit à la jeune fille. Elle le prit et le plaça avec tranquillité dans un sac à mailles d’or qui pendait au dossier d’une chaise. Louise, presque nue, s’étira alors. Elle était encore d’une prodigieuse correction. Elle avait beau lever ses bras en l’air et montrer ses aisselles rousses ; ses seins, si admirablement faits et d’une rondeur idéale, avaient beau être dehors, et son sexe aussi, que de Laize ne voyait pas encore… Elle avait beau prendre les attitudes d’une fille, elle restait une femme de bonne éducation, chaste même dans la débauche, par le naturel, la simplicité et l’aisance de ses actes. Et ce paradoxe enivrait le médecin, transporté d’un désir furieux.

Louise but encore. Elle devait se donner du courage. Mais quelle pouvait être la monstruosité réclamée par cet homme à pelage entortillé ?

De Laize passa en revue les pratiques de l’amour. Il ne trouva rien qui parût devoir effaroucher aujourd’hui cette jolie personne qu’il avait connue pure au château de Bescé, mais qui, depuis…

Il souffrait de ne pas comprendre ce qui devait s’accomplir et craignait l’inconnu. Il guettait de ses yeux fous le couple tranquille, dont les paroles lui échappaient.

Alors il vit l’homme quitter son frac, puis son gilet, puis son pantalon. L’étonnement du médecin devint pareil à un torrent, ii l’entraînait à tel degré que de Laize dut se retenir en son envie d’aller frapper à la porte du cabinet voisin pour demander : Mais qu’allez-vous donc faire ? Il bouillait.

L’homme enleva encore sa chemise. Il restait vêtu d’une sorte de maillot en cellular. Il avait posé son caleçon.

De Laize l’estima en physiologiste :
- Voilà un garçon qui, toute sa jeunesse, s’est masturbé deux ou trois fois par jour. Il a fait du sport tout de même, de sorte qu’il n’est pas trop affaissé. Mais cette verge allongée et dont le gland est écrasé témoigne d’une manualisation ardente. Et il devait se la serrer violemment, comme les enfants que la passion possède. Alors il lui faut désormais du piment.

Louise et son compagnon restèrent face à face une minute. La jeune fille parut encore une fois faire une objection et demander de différer ou d’annuler sa promesse. Mais l’autre montra de nouveau sa virilité tombante. Il parut poser un dilemme.

Il vint à l’esprit du médecin que l’inconnu voulait sodomiser Louise. Il avait vu les belles fesses féminines, et cette gaine de l’anus, encore vierge, ou certes peu utilisée. Car dilaté par force et coutumièrement, le sphincter ne retrouve plus son étroitesse. Mais de Laize verrait-il cette nuit déflorer ainsi la femme qu’il aimait ? À y songer avec anxiété, à évoquer cet orifice charnu où la volupté s’embusque aussi, l’excitation sexuelle le saisissait lui-même. En ce moment, s’il avait eu devant lui cette croupe souple et mouvante, il aurait été tenté jusqu’à la fureur par sa possession. En ce corps harmonieux, toutes les courbes s’infléchissaient vers l’anus. Il le constatait pour la première fois. C’est là le véritable centre artistique de la femme. On dirait que le reste des lignes convergentes désigne le milieu des fesses et y attire… C’est l’invitation : Hic habitat felicitas…

De Laize eut honte de se découvrir soudain sodomiste.

Mais le moyen, devant une forme féminine semblable, de ne pas sentir tout en vous se bander vers le désir, et quel désir…

Le médecin se demandait toujours, jusqu’à en souffrir, ce que voulait cet amant d’une femme que lui, de Laize, aimait depuis des années et qu’il voyait offerte là, à deux pas… mais point à sa propre passion…

Alors, l’inconnu prit sa pelisse suspendue à une patère et l’étendit sur le sol. Ces préparatifs faisaient bouillir le spectateur caché, qui se crut dans un cachot d’inquisition et soumis au supplice de la question. Toujours, à mesure qu’il voulait deviner ce qui se préparait à côté, la réponse était différée. Il s’agaçait, tandis que son propre sexe gonflé le gênait presque et réclamait, malgré la saignée pédérastique pratiquée par l’Anglais tout à l’heure, une nouvelle libération de ses canaux engorgés.

Ayant allongé la pelisse, l’homme s’assit dessus. À ce moment, Louise lui fit une remarque ou une objection. Mais il passa outre. Il était tout congestionné et à l’idée seule de ce qu’il allait faire ou subir, sa verge retrouvait déjà rigidité et couleurs.
- Le dénouement approche… se dit de Laize.

L’inconnu, assis à terre ou plutôt sur la pelisse, fit des recommandations à Louise, qui les écouta avec un air d’ironie. Elle dit encore une chose qui, elle, enthousiasma son compagnon, comme si on lui eût révélé un grave mystère. Alors il s’étendit sur le dos. Il était de trois quarts par rapport à la glace qui rapportait tout à de Laize et… Louise s’approcha, s’assit près de la figure de l’homme, en une position qui ne pouvait vraiment pas être celle de la cunnilingie, et le médecin comprit enfin d’un coup. Son coeur allégé se mit alors à battre.

En effet, sitôt Louise placée, le périnée au ras du menton de l’homme, celui-ci ouvrit la bouche toute grande et sa virilité ardente se mit à battre comme sous l’impression d’un désir qui n’a plus qu’un pas à faire vers la jouissance. L’homme se faisait pisser dans la bouche…

La posture était parfaite, mais Louise, souriante, dit encore quelque chose. Le personnage trouva cela juste. Elle alla donc chercher les serviettes qui attendaient sur la table le moment où le couple voudrait souper et les plaça, l’une à terre devant le front de l’individu couché, l’autre sous sa tête, en contact avec la pelisse. Puis elle reprit sa position.

De Laize voyait admirablement l’anus un peu dilaté, dans l’effort fait par la jeune fille qui voulait pisser. C’était une petite chose rose et bouillonnée, entre les fesses glacées et fortes.

Sous les cuisses, la chair tassée dessinait ces plis délicats que les Grecs ont donné à la Vénus accroupie. Le sexe s’ouvrait légèrement par l’écartement des jambes et cela faisait une ligne coralline autour de laquelle un pelage très fin, pareil à une ombre de crêpe, dessinait un petit triangle limité par les plis des aines et du ventre. Car la jeune fille, penchée en avant, ne voulait rien perdre du spectacle, et sa face moqueuse avait une expression ingénue et intéressée à la fois. Cette opération lui était vraisemblablement demandée pour la première fois.

Elle s’efforça. On voyait, sous le léger effort, son dos osciller et la chair se gonfler au périnée. Enfin elle dit un mot à son compagnon, qui ouvrit une bouche énorme. Ses yeux luisaient et les transes de la volupté le saisissaient déjà.

Et Louise pissa. Le premier jet frôla l’oreille droite de l’homme, mais la jeune fille rectifia le tir. D’un décalage de la croupe, elle trouva la bonne posture et de Laize vit alors le filet blond, giclant du sommet du sexe féminin, dessiner une courbe parfaite et venir s’engloutir dans la bouche grande ouverte. Et l’homme avalait cela à mesure, de sorte que le débit restait exactement proportionné à l’absorption.

En même temps, de la verge du buveur, la liqueur séminale jaillit, avec une force qui témoignait de la violence du désir enfin satisfait. Depuis qu’il voulait cela, une sorte de compression ou de jouissance différée s’était amassée dans ses organes. Et l’aboutissement venu enfin, la joie réalisée selon le voeu, libérait le plaisir avec une vigueur magnifique. Le plus curieux, pour de Laize, fut de voir le jet spermatique se briser exactement sur la rose anale de Louise.

Mais la jeune fille n’avait qu’une médiocre envie de pisser et tout s’arrêta. Elle attendit une minute en cette position. L’homme semblait réclamer une nouvelle irrigation.

Elle vint, courte et liquoreuse, et le membre qui, sitôt l’éjaculation obtenue, s’était amolli se redressa encore.

Alors Louise se releva, dit en souriant quelque chose de moqueur, puis se vêtit lentement.

Avachi, l’individu, les yeux creux et les membres mous, le sexe ratatiné et le nez pincé, semblait incapable de bouger désormais.

Quand Louise fut vêtue, elle le questionna et exprima son désir de sortir.

L’autre lui dit de l’aider. II se mit debout péniblement, s’habilla, et fit signe à la jeune fille qu’elle eût à boire ou manger. Mais, très froide et très digne, avec des excuses que de Laize devina courtoises et élégantes, elle exprima visiblement le désir de se retirer.

Le médecin refit la lumière, appela le maître d’hôtel, lui remit mille francs et lui donna son nom précipitamment. Une fois dans la rue, devant la porte de l’établissement, il commença par allumer un cigare, puis s’immobilisa, comme regardant passer la foule. Haut en couleur et vêtu avec une extrême recherche, il avait l’air d’un clubman, et d’ailleurs bien des gens faisaient le pied de grue comme lui.

- Tiens ! comme c’est curieux !… Bonjour, ma chère Louise !

De Laize avait entendu une robe de soie crisser derrière lui. Il s’était lentement retourné. Somptueuse, enveloppée d’une cape brodée d’or, coiffée d’une sorte de chapeau d’aigrettes et portant une ferronnière au front, Louise de Bescé se tenait devant lui.

En voyant cette femme parfumée et souple, hautaine, avec des yeux durs et fixes, mais gardant un sourire méprisant sous une insaisissable pureté dans la face et dans l’allure, qui donc eût dit qu’une demi-heure plus tôt elle faisait… ce que de Laize avait vu ?

Le médecin fut figé. Il chercha ses mots avec désespoir. Il y avait un tel monde entre Louise de Bescé — celle qu’il avait devant les yeux — et la femme qui, voici un instant, pissait dans la bouche d’un Oriental burlesque et passionné, que nul n’aurait pu se décider à traiter celle-ci comme l’autre… Et pourtant c’était la même que, trois ans plus tôt, de Laize avait à demi possédée, du moins par la bouche, sur le banc de gazon de la grande allée du château de Bescé.

Tous deux se regardèrent un instant. Mais si de Laize avait l’âme troublée et inquiète, sur sa face tendue et puissante rien ne se montrait de ses hésitations intérieures. Elle devina qu’il ne fallait pas heurter de front cet homme qui la connaissait. À feindre de ne le point reconnaître, elle courait le risque d’un scandale. D’autant que les établissements de nuit sont bondés de mouchards et de journalistes à l’affût d’une histoire piquante.

Elle dit donc, en tendant la main, avec l’air d’une grande dame qui reçoit un solliciteur :
- Bonsoir, docteur ! Dites-moi ce qui me vaut de vous rencontrer si tard ?

Cette audacieuse réponse arrêta d’un coup tout ce que de Laize voulait dire. Il fut une seconde à retrouver la maîtrise de soi. Il pensait : Quelle femme prodigieuse !…
- Ma chère Louise, repartit-il enfin avec un air mondain, je m’ennuyais, et j’ai songé que ces établissements nocturnes chasseraient mes idées noires.
- Fort bien, dit-elle. Et la cure a réussi ?
- Non ma foi. Mais dites-moi si vous êtes venue ici dans la même intention ? Cela me permettrait de dresser le graphique des traitements de l’hypocondrie par Phallos.

Elle éclata de rire :
- Par Phallos… Bon pour moi, mon cher. Mais cela pourrait vous détériorer.
- Vous aussi fit-il brutalement.

Elle le dévisagea de près avec une insolente cordialité.
- Il est des détériorations qui embellissent les femmes…

Il avoua :
- De fait, vous êtes prodigieusement belle. Fascinante, émouvante.

Elle se pencha encore vers de Laize et avec un air confidentiel qui lui pinça le coeur :
- Croyez-vous me l’apprendre, mon cher ? J’en vis…

Knock-out, il ne réagit point, et ce parfum musqué mélangé de rose et de violette qui se dégageait d’elle alluma dans son âme un feu dévorant.

Il la prit par le bras, car des curieux, qui l’étaient sans doute par métier, s’attroupaient autour du couple.
- Venez un peu plus loin. Il y a trop de cornets acoustiques autour de nous.

Elle accepta.
- C’est vrai, montons jusqu’aux « Extérieurs ».

Il dit, angoissé :
- Ah ! Louise, vous ne sauriez croire ce que ça me déchire d’entendre la jeune fille connue à Bescé dire avec ce ton-là « les Extérieurs ».

Elle rit :
- Il m’amuse beaucoup de voir moraliser, mon cher de Laize, un homme qui fut l’amant de ma mère…

Assommé, le médecin plia la tête. Il la tenait par le bras et ce bras nu qu’il sentait au long du sien le brûlait.
- Louise, je vous aime toujours !

Elle dit moqueusement :
- Moi aussi !
- C’est vrai ? mâcha-t-il avec colère. Ah ! ne dites pas cela en vous moquant, ou je vous…

Elle retira son bras :
- Ah ! ça, mon ami, vous êtes fou ! Vous dites m’aimer ? Je le mérite, je pense ? Je suis belle, j’ai d’autres vertus et je suis un incomparable instrument de plaisir, pour un homme.
- Je le sais, murmura-t-il férocement à l’oreille. J’étais dans un cabinet voisin du vôtre, tout à l’heure. Je vous ai vue masturbant, suçant et réjouissant Marxweiller (le nom dit par Thea lui était soudain revenu).

Cette fois, Louise eut le dessous. Que de Laize l’eût vue lorsqu’elle se croyait si bien isolée, lui procura au long de l’échine un frisson glacé. Car elle avait senti, avertie aujourd’hui comme elle l’était de tous les secrets psychiques de l’amour, un désir confus la prendre à la rencontre de cet homme qu’elle n’avait pas oublié. Pour cela, et avec une ironique vérité, Louise avait dit l’aimer aussi.

Le médecin, soudain, lut la cruauté hostile sur le beau visage clos. Il comprit que la lutte tournait à son avantage et il se sentit vaincu par son succès. Il chuchota en hâte :
- J’ai oublié déjà. Je ne m’en souviendrai jamais. Ah ! Louise, je regrette de vous avoir dit cela, et mon regret doit m’absoudre, car dans cette lutte entre nos deux orgueils je vous rends les armes.

Elle se tut. Il reprit :
- Je ne vous ai jamais oubliée. Depuis trois ans je pense à vous, Louise. C’en est devenu un cauchemar. Je ne peux plus vivre sans vous. Votre ombre hante mes nuits et mes jours. Vous me possédez comme jamais magnétiseur n’a possédé sa victime ; je vous adore, soyez à moi.

Elle se tut encore. Il prit cela pour une acceptation et son coeur s’emplit d’un bonheur énorme. Il crut tomber, tant la félicité absorbait d’un coup les forces de son être.
- Louise ?

Elle le regarda.

Ah ! ces yeux larges sous lesquels passait une large touche de bistre, ces joues roses et mates, ces épaules arrondies dont il entrevoyait les ondulations harmonieuses, et tout ce corps qu’il devinait rénové du jour où il lui appartiendrait !
- Vous consentez, Louise ? Je suis humble, je vous veux. Je ne puis croire que rien nous sépare. Louise, dites-moi oui ?

Elle se pencha vers l’homme qui la suppliait, et son sourire était un ensorcellement. Sa cape s’ouvrit un peu, en même temps, et il vit la naissance de la gorge. Il connut un désir immense et douloureux de tenir cela dans ses bras, tout de suite…

Elle dit :
- Non !

Il oscilla comme un arbre ébranlé par la hache.
- Non ! mon ami. Il vous fallait garder pour vous, et toute votre vie, et dans l’autre vie, s’il en est une, il fallait garder ce que vous avez vu ce soir. Il fallait que cela fût effacé de votre cerveau…

Elle s’arrêta. Une émotion faisait trembler les commissures de ses lèvres.
De Laize, je t’ai aimé. Je t’aime encore. Vierge, tu m’as révélé un peu de plaisir. Habile au plaisir, j’aurais aimé te le rendre. Une Bescé peut tout faire, rien ne l’avilit et je ne me crois pas au-dessous de ce que je fus jamais. Mais tu as vu ce que tu ne devais pas voir. Oui ! il fallait fermer les yeux, ou bien, les ayant ouverts… voyeur… il fallait oublier, mais d’un oubli sur lequel serait passé le Lethé… Tu as parlé, malheureux… Toi seul est ici sali… Te voilà avec la tache de Lady Macbeth que rien ne pourra plus effacer. Je te plains, de Laize ! Je n’ai pas manqué de lire le désir sur ta face. Et quel désir, dont je te sens rongé comme par un cancer !… Tu m’aimes, mais ne vois-tu pas qu’en cinq mots tu as ravagé — et par vanité d’homme qui tient à avoir en tout le dernier — ce verger où mûrissaient des fruits que je t’aurais laissé cueillir et qui, peut-être, étaient pour toi…