X. Qui es-tu, être humain ?

Une petite chose misérable tinta, comme le bout ferré d’une béquille trébuche et sonne sur du pavé ; une petite chose misérable : minuit épuisa ses douze coups à l’horloge vétuste de Lurance.
Ce bruit terrestre ranima Ellen, qui commençait à s’assoupir de nouveau, cette fois d’un sommeil naturel. Elle compta les pleurs du timbre :
— Ha ha ! les forces humaines ! ricana-t-elle, maussade un peu d’être dérangée par une intrusion si peu importante ; et elle se convulsa à force de rire et se rendormit roulée dans son rire.
La porte s’ouvrait.
Le docteur s’encadrait au seuil.
Bathybius chancela quelques secondes, étourdi par l’odeur d’amour et aveuglé par l’universelle blancheur des lampes électriques toutes allumées par l’immense salle, comme tous les cierges d’un autel paré pour des épousailles prodigieuses.
La femme masquée, les seins dressés, les doigts et les orteils révulsés et tremblant un peu, et dont le rire, dans son sommeil, devenait un râle très doux, gisait en travers de la peau d’ours...
La forme écarlate, nue, musclée et obscène de l’Indien bondit vers cette créature vêtue, chenue et à barbe de singe, qui franchissait la porte sans comprendre quelle démarcation elle enjambait.
Et le Surmâle salua, dans un rugissement de bête troublée dans sa bauge, Bathybius de la même phrase (parce qu’il n’y en avait pas d’autre à dire) dont l’écrit Tonnerre-Tonitruant, dans Les Mille Nuits et Une Nuit, accueille l’ambassade du vizir :
— Qui es-tu, être humain ?
La foule fourmillait par les galeries, et, tout au bout du dernier salon, minuscules, des hommes, joueurs d’instruments, stridulaient, comme des grillons dans une boîte.

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